© Stanley Greene / NOOR
Le mois d'octobre 2013 a accueilli le dernier livre de Stanley Greene, publié aux éditions André Frère. Un ouvrage inédit, dont le sujet est tout à fait différent de ceux qui l'ont rendus célèbre : loin des conflits et de la misère humaine, de l'Irak, du Kashmiri ou de la Tchétchénie, le photographe réconcilie son travail avec sa première passion depuis mise de coté : la Musique.
The Western Front incarne les années 70 et son élan de renouveau. Le livre présente avec précision le mouvement Punk, mais surtout et plus largement l'état d'esprit, l'idéologie dont il était question à l'époque. C'est donc en 1975, et à travers les œuvres représentées dans le livre, que le fan de Jimmy Hendrix démarre avec le format reportage et la photographie.
© Stanley Greene / NOOR
« QUOI? NON NON, C'EST FLOU, C'EST TROP RECADRE, C'EST QUOI CES PHOTOS ? QU'EST CE QUI S'Y PASSE ? »
En grand format et noir et blanc, The Western Front transpire l’excès, le trop plein. Sur les photographies prises au Leica, les gobelets de bières débordent et les cheveux mouillés dépassent.
Stanley Greene a probablement choisi de retranscrire la musicalité de cette façon, de faire cadeau d'une sonorité aux images fixes, d'une harmonie aux corps figés, sur lesquels l'élan et la gestuelle sont pourtant évidents.
Les photographies de Greene sont Punk. Une véritable métaphore de l'ambiance et du mouvement. Affranchies des codes et des normes photographiques de l'époque, elles n'ont ni centre ni cadre. La lumière faible offre des contours flous, un grain grossier, presque pixelisé. Le fond et la forme semblent indissociables, tant les sujets répondent à une esthétique particulière. Comme le faisait Diane Arbus avant lui, Greene s'est aussi mis à limer les porte-négatifs pour obtenir des tirages aux bords irréguliers.
Les expressions, les postures, les regards : une prestance et une nostalgie comme dessinées, des lieux désormais impossible à pénétrer. Tout cela pourrait être visuellement ressenti comme une vielle photo retrouvée de la princesse Diana : une époque révolue qui continue d'être visitée, mais devant laquelle le spectateur se met à douter du véritable héritage, parfois même de la véracité des faits. Dans les années 1970, ce type de photos n'avait pas sa place. Il en va de même pour le mouvement lui même, qui mettra quelques temps avant de pouvoir s'imposer.
Représenter c'est rendre présent l'absent, et c'est bien de cela qu'il s'agit ici.
© Stanley Greene / NOOR
« LES FILLES SONT DES GARCONS ET LES GARCONS SONT DES FILLES, C'EST UN MONDE MIXTE, EMBROUILLE, SECOUE, SAUF POUR LOLA, LO, LO, LO, LO, LOLA »
Ces prises de vues sont le quotidien de Stanley Green à l'époque. Des jours mais surtout des nuits, vécues à l'intérieur d'une sphère musicale et culturelle que représente le mouvement Punk. Velvet Underground, Ramones, Kinks, Nico...Autant de noms d'artistes et de visages côtoyés, figés par Greene. Lui qui arrive dans le milieu sans crier gare, un peu par accident, alors qu'il partage son appartement avec Paul Zahl, ancien batteur de The Yanks.
« Heather (ndlr la petite amie de Paul Zahl) était une petite rousse incendiaire belle à mourir. Elle fut grièvement brulée quand ses cheveux prirent feu à cause d'un bougie mal placée, et décéda plus tard d'une overdose d’héroïne ».
Contrairement à l'Angleterre qui porte déjà les cheveux courts, la scène Punk de San Francisco est la continuité de celle des années 60 et du mouvement Hippie. Elle rend parfaitement hommage à un célèbre mais lassant dicton: « Sex, Drugs, and Rock'n roll », noms communs qui tiennent indéniablement une place majeure dans la vie de Punk.
Greene distingue dans son ouvrage deux grandes phases de ce mouvement : La première, dès 1970, qui démarre avec les New-York Dolls, les Velvet Undergrounds et les Ramones. Elle éclate littéralement en 1976 après un concert des Sex Pistols au Winterland de San Francisco. Lorsque dix ans plus tard, le racisme et les clans néonazis font leurs apparitions dans la ville,
la langue, la musique, et la poésie seront la contre-attaque, la réponse des contestataires. Toutes trois deviennent un véritable cheval de bataille, une opposition d'ordre intellectuel et artistique, qui offre le point de vue et les aspirations d'une jeunesse affranchie des anciens codes ou croyances sociales.
Débute alors une seconde vague, largement influencée par les Clash. London Calling arrive à point nommé alors que le mouvement Punk est jugé sur le déclin. Ce troisième album, et véritable manifeste social, servira de tremplin, d'inspiration pour les groupes à venir.
Comme le disait William Burroughs avec beaucoup de justesse, « le langage est devenu un virus ».
© Stanley Greene / NOOR
« ON PRENAIT AUSSI PAS MAL DE COKE ET DE SPEEDBALL. C'ETAIT UNE SORTE DE FAMILLE. ON TRAINAIT, ON SE DETENDAIT ET ON PARLAIT DE LA VIE ET DE L'ART. »
Serait t-il alors paradoxal de qualifier ces années folles et parfois tendancieuse de brillantes et progressistes ?
L'apparente déchéance et le trash dégoulinant des photographies de Stanley Green sont aussi le moyen d'un dépassement, de la recherche d'un ailleurs et d'une autre vérité, non pas d'une décrépitude absurde. Il est vrai que la désillusion joue un rôle, mais elle est également synonyme de création, de remise en question, et surtout d'une véritable révolution: « Le Punk Rock était une rébellion contre les autorités légitimes dans le domaine de la culture, de la politique, de la société » écrit Stanley Green.
Le San Francisco Art institut était ouvert nuit et jour, sept jour sur sept. Malgré la mode des amphétamines, de l’héroïne et de la colle, l'Université était connue pour être le symbole de nombreuses relations tendres et intellectuelles. Elle fut d'ailleurs le berceau des musiciens Punk des années 70 et 80, la plupart d'entre eux avait en effet expérimentés des études dans les milieux artistiques.
Bien que souvent perçue comme attitude nihiliste, le mouvement Punk découle d'une philosophie, d'une lutte contre l'autorité particulière. Il ne s'agit pas de le penser en terme réducteur et moraliste, mieux vaut l'appréhender comme un élan, comme un retour aux sources qu'il a également su dépasser. La preuve en est que le mouvement a traversé de nombreuses frontières, qu'il continue d'influencer et d'être pris comme référence.
Le livre de Stanley Green n'est pas silencieux : Il rend les mouvements figés audibles, le bruit est désormais visible. « Never quiet on the western front » est la recherche pure et brute de différentes formes du beau, d'un paradis accessible et mille fois arpentés. C'est le moi créatif et la transcendance de l'Art. Il faut dire que cet ouvrage est à la musique ce que la musique est à chacun, une intuition intemporelle, universelle.
Charlotte Courtois
The Western Front de Stanley Greene
Editions André Frère
176 pages / Format 24,5 x 34,5 cm
Couverture rigide
110 images
Anglais + cahier en français
53,50 €