Les Martyrs de la Révolution est le fruit d'un travail entre deux auteurs Arabes et un photographe Français.
Denis Dailleux vit au Caire depuis une dizaine d'années. Son œuvre rassemble plusieurs ouvrages traitant de la capitale égyptienne et de ses habitants. Sa collaboration avec l'écrivain Franco-Marocain Abdellah Taia et l'artiste vidéaste Mahmoud Farag est une dimension importante dans Les Martyrs de la Révolution. Elle permet de mettre en relief des valeurs telles que la fraternité et la solidarité. Elle témoigne aussi d'une forme de modernité plus que jamais nécessaire aux Peuples arabes révolutionnaires.
Denis Dailleux et Mahmoud Farag sont allés à la rencontre des vingts familles cairotes ayant perdus un proche dans les révoltes de Janvier 2011. Tandis que le premier photographiait, le second posait les questions, franches et précises.
Abdellah Taia est celui qui a traduit, adapté et raccourci les textes en arabes.
© Denis Dailleux / Agence VU'
Trois ans de combats incessants, de luttes inter-confessionnelles et anti gouvernementales. Des millions de migrants fuyant le conflit, des centaines de milliers de morts.
Les Morts, ce sont ceux à qui les trois auteurs ont voulu redonner la parole.
Ceux dont les bourreaux doivent se souvenir, et les médias ne pas les réduire à de simples chiffres ou constats.
Il ne s'agit pas de de photos de guerres ici. Ni sang ni blessures, ni foule compacte déchirée ou forces de l'ordre déployées. Il y a seulement le vide, le calme et l'absence.
Pour chaque famille, trois photos. La première fait état du lieu de vie, la seconde est un portrait du ou des parents, la dernière constitue une mise en abyme: une photographie d'un portrait de l'enfant ou du conjoint disparu.
Le format du livre est un compromis entre le portrait et le paysage, il convient autant à l'un qu'à l'autre. Assez de proximité pour sentir la douleur et la misère, mais assez de distance pour propulser les familles et leurs histoires au rang d'intouchables, de martyrs.
© Denis Dailleux / Agence VU'
© Denis Dailleux / Agence VU'
© Denis Dailleux / Agence VU'
Douleur, symboles et dignité.
Derrière les briques oranges baignées du lumière et le linge suspendu aux fenêtres, chaque habitation abrite son histoire douloureusement similaire à celles des autres.
Généralement, c'est le même déroulement aux angles tragiques. Le désir ardent et l'espoir brillant d'un enfant, peut-être galvanisé par une vision romanesque de l’héroïsme. Le départ, contesté par les parents ou inversement. Puis les gaz lacrymogènes, les balles, les matraques, les véhicules blindés et les policiers...
Dans les rues, les pancartes sont souvent suspendues entre les maisons ou aux arbres. Elles portent le visage et le nom des enfants, des parents ou des Frères disparus. A l'intérieur des maisons, les visages défilent sur les écrans d'ordinateurs. Ils sont cousus sur les coussins, imprimés sur les tasses, encadrés au mur, tout dépend. Seules les fleurs demeurent un geste rituel aux défunts.
L'attitude des témoins est souvent la même: mains jointes, expression interrogative, dubitative. Certains regards sont humides et résolument tristes.
Pourtant, Wafaa qui est l'une d'entre eux sourit.
© Denis Dailleux / Agence VU'
Le 25 Janvier 2011, des voisins ont ramené le corps de son fils Walla Eddine. Depuis, un bouquet de fleurs en plastique (pour qu'elles ne fanent pas) trône sur son lave-linge. Cette « machine étrange », pour laquelle son fils avait économisé afin de lui offrir.
Il y aussi le frère d'Ahmed. Après la disparition de ce dernier, l'ainé a construit un sabil (fontaine d'eau publique) avec l'argent que l'Etat lui a versé pour le dédommager. Une fontaine pour que « celui qui boira son eau porte dans son cœur un peu de l'âme de son frère ».
Loin de l'actualité internationale, toute cette symbolique fait écho à une foi inébranlable, solidaire et pacifique.
La place Tarhir est elle aussi devenue symbole. Symbole d'une révolution qui dure. Elle est l'incarnation d'un mouvement de protestation contre les menaces répressives et les promesses creuses de réformes. Ce livre participe au cri de colère qui retentit encore, un cri pour la liberté et contre l'absence d'avenir.
Il est un droit réclamé à la liberté d'expression et d'information.
Droits qui sont doublement bafoués quand les Snipers reçoivent l'ordre de viser les protestataires à balles réelles. En priorité ceux qui filment les scènes de révoltes.
Bien que l'Egypte aie progressé et vu le jour de certains acquis (mise en justice de Mohamed Morsi, Frères Musulmans relayés au rang d'organisation terroriste, adoption de la nouvelle constitution le 18 Janvier dernier), le pays demeure instable.
D'autant plus quand la démocratie n'est plus la garantie d'un bon fonctionnement gouvernemental, ou bien même d'un souhait plus modeste: l'assurance du respect des droits de l'Homme.
Il est donc primordial de prendre le temps d'informer en profondeur, de s’arrêter sur ceux qui ont donné leur vie pour une cause.
«Maintenir l'Espoir»
Expédition, Exposition, Editions. Trois étapes et médiums pour un seul message: soutenir la lutte pour la justice et la liberté.
La participation et la postface d'Amnesty International complètent le témoignage humble et puissant offert par Les Martyrs de la Révolution. Il raconte et met en contraste des évènements qu'il est difficile d'appréhender ou d'imaginer, notamment en ce qui concerne leur ampleur et leurs répercussions réelles.
Les photographies, quand à elles, sont une mise en couleur de ces évènements. Elles sont les images qui rappellent que les mots sont aussi des maux, même si trop souvent écrits et mis à mal par l'habitude, et donc la lassitude des consciences collectives, ils continuent d'être vrais. Ils continuent d'être la vérité d'un ailleurs, qu'il faut désormais considérer comme très proche .
© Denis Dailleux / Agence VU'
Charlotte Courtois
Les Martyrs de la Révolution de Denis Dailleux
Editions le Bec en l'Air
112 Pages / Format 26 x 24,4 x 1,4 cm
28 €