"spoutnik" Ivan et Kloka effectuant leur sortie historique hors de la capsule, 1968 Tirage gélatino-argentique © Joan Fontcuberta
L'exposition de Joan Fontcuberta présentée à la Maison européenne de la photographie déroute le spectateur, autant qu'il l'amuse et le fait réfléchir. Organisée en différentes sections réparties sur l'ensemble des espaces d'exposition, les thèmes sont divers mais questionnent toujours le public sur le même thème, celui de la manipulation de son savoir. Science, médias, biologie, astronomie, histoire, photographie, art, sont autant de valeurs de références qui peuvent parfois être détournées. L'objectif de l'artiste est de prouver que les théories universelles ou avancées par des entités avérées peuvent pourtant être une manipulation du spectateur, qui assiste avec attention à un jeu de mise en scène. Ainsi, l'exposition Camouflages porte en son titre toute l'ironie de ce jeu de manipulation.
Né en 1955 à Barcelone, Joan Fontcuberta est un figure emblématique aux multiples facettes. Enseignant, critique, historien, artiste, commissaire d'exposition, il s'est également imposé comme photographe plasticien contemporain. Son parcours est riche et ses compétences multiples, ce qui lui permet d'avoir un regard tant critique qu'investit dans des domaines qui s'attirent et se complètent. La photographie fait partie intégrante de toutes ses facettes, et nourrit son travail. Il a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'histoire, l'esthétique et la pédagogie de la photographie, organise en 1979 les « Jornadas Catalanas de Fotografia » et cofonde la « Primavera Fotografica » de Barcelone en 1982. Directeur artistique des Rencontres d'Arles en 1996, il sera commissaire invité pour le Mois de la Photographie de Montréal en 2015. Il reçoit également en 2013 le prix Hasselblad pour l'ensemble de sa carrière.
L'image a donc une place centrale dans son travail, et est l'outil comme le dénominateur de son propos. Ainsi, l'exposition de la MEP mêle avec brio traitement de l'image et surtout, manipulation de celle-ci. L'artiste se joue avec humour et ironie de son public, pour lui prouver que la réalité peut être trompeuse.
« Herbarium » Giliandria escoliforcia, 1984 / Tirage gélatino-argentique © Joan Fontcuberta
« Fauna » Solenoglypha Polipodida », 1985 / Tirage gélatino-argentique viré au sélénium © Joan Fontcuberta
Joan Fontcuberta explicite le contenu de son exposition, et la position qu'il choisit : « Chaque salle est dédiée à une discipline de la connaissance : botanique, astronomie, géographie... Comme structure, cette exposition répond à une idée, qui consiste à présenter la photographie comme un élément protéique, c'est à dire qui change, qui se transforme à partir d'endroits où elle habite. J'aime bien l'idée que la photographie ai beaucoup de vies différentes, elle change en fonction de chaque vie. Cette vie peut se dérouler dans le journalisme, dans l'art, dans la publicité, dans la science, dans la religion ect... Ce que je fais ici, c'est m'approprier ces contextes et faire des parodies pour voir comment chacun de ces éléments institutionnels utilise la photographie et impose un certain esthétisme, un certain style. » Manipulant son auditoire tout en faisant de lui le complice de sa supercherie, Fontcuberta lui donne les clés nécessaires à la déambulation de son exposition « Il y a un jeu, j'essaie de piéger les visiteurs. Les images sont toujours trompeuses. Surtout les images photographiques. La photographie n'est pas une technologie innocente, c'est une technologie qui est née de deux technoscientifiques au XIXe, et pourtant elle nous amène toute une idéologie particulière de vérité, de mémoire, d'identité, d'archives, de fragmentation ect. Chaque fois que l'on déclenche l'appareil photo, il y a toutes ces valeurs qui s'échappent, qui s'imposent sur l'image, et qui conditionnent la lecture de chaque spectateur ».
« L'artiste et la Photographie, suite Destino » Deux soeurs et un sauveteur invitent une sirène, 1962 / Page de magazine avec gouache © Joan Fontcuberta
« Constellations » MN77 : CETUS (NGC 1068) AR 02h. 42,7 min. / D -OO O1', 1994 / Tirage Cibachrome © Joan Fontcuberta
L'exposition s'articule en neuf séries indépendantes, qui sont chacune une exposition dans l'exposition. Elle s'ouvre avec « Herbarium » qui traite de la nature par le biais d'herbiers photographiques. « Fauna » parodie la mise en scène des musées de sciences naturelles : « C'est une histoire que je bricole pour confronter les spectateurs sur ce qu'il se passe dans les musées d'histoire naturelle. Vous entrez dans un musée, et à cause de l'autorité de la photographie, et du pouvoir de l'institution muséale, vous allez croire tout ce qu'on vous raconte. Cette exposition est là pour soulever un certain esprit critique, une certaine méfiance, un scepticisme qui réagit à l'information que l'on reçoit. Le fait d'être dans un musée n'implique pas que tous les renseignements que l'on va recevoir ont la certitude absolue. Il faut douter de toutes ces situations, de ces institutions qui se donnent le monopole de la vérité. La science pense qu'elle est la seule institution à nous apprendre sur la loi de la nature, les phénomènes naturels. »
« Orogenesis » Orogenèse : Derain, 2004 / Tirage à développement chromogène © Joan Fontcuberta
« Miracles & Co » Munkki Juhani fait lire un chapitre du Kalevala à des suricates lapons, 2002 / Tirage à développement homogène © Joan Fontcuberta
Les séries qui suivront, « Sirènes », « Constellations », « Orogenesis », « Spoutnik », « Déconstruire Oussama », « Miracles & Co » et « L'artiste et la photographie » seront autant de pôles de découverte d'un public amusé et conquis.
Si la Maison européenne de la photographie propose de découvrir, contempler, renouer avec l'univers de la photographie, elle ouvre, avec l'exposition de Joan Fontcuberta, de nouvelles perspectives et une réflexion palpitante sur l'autorité des discours de notre société.
Claire Mayer