« Juste entre nous ». Le nom de cette collection des éditions André Frère résume parfaitement l'idée de cet ouvrage. Un échange entre deux grands noms de la photographie : Christian Caujolle, fondateur de l'agence VU' et référence du monde de la photographie, et Anders Petersen, photographe Suédois, dont les images argentiques sont exposée à la BNF-Richelieu jusqu'au 2 février 2014.
« Juste entre nous » est plus qu'un échange entre deux amoureux de la photographie, plus qu'une simple conversation. Il est une discussion entre deux amis qui ont fait de la photographie leur vie. Le lecteur est ainsi observateur d'un entretien parfois intime entre les deux hommes, qui se confient sur leurs vies, leurs avis. Christian Caujolle est ici celui qui interroge, qui cherche à comprendre, fouille dans l'univers de Petersen. Ce dernier joue le jeu, même si lui-même inverse parfois les rôles. L'arroseur arrosé, et le lecteur est tapis dans l'ombre, à écouter les dires passionnants de ces deux hommes.
© Anders Petersen
© Anders Petersen
Le propos ? La photographie bien sûr, comme mode de vie, toute une vie même, et une excuse pour parler de la vie au travers de la photographie. Le lecteur découvre alors le point de vue de l'un comme de l'autre, qui ont passé leur vie à comprendre cette photographie qui anime leurs vies. « Je pense que la photo a beaucoup à voir avec l'humanité, de même qu'avec les émotions décisives, les formes, les lumières et leur absence. » confie ainsi Petersen. Caujolle l'interroge, ou s'interroge lui-même, le doute plane mais le propos ne perd en aucun cas de son intérêt.
Au centre de l'ouvrage, quelques images d'Anders Petersen. « Plus ou moins ma première photo » tout d'abord, deux jeunes garçons jouant au bord d'une rivière. Puis, bien sûr, des photographies du café Lehmitz, ces images qui l'ont tant rendu célèbre, celles qu'il a prises dans les années 67-70 dans un café éponyme de Hambourg, en Allemagne. A cette époque, il y côtoie toute une population en marge de la société, qui trouve refuge dans cet endroit bruyant et populaire : prostituées, transsexuels, nains, nombreux sont ceux qui fréquentent ce bar, tel un abri contre le monde qui les repousse. Petersen y passera trois années, de 1967 à 1970, à vivre aux côtés de ces marginaux. Il en fera des images sublimes, qui, encore aujourd'hui, lui collent à la peau.
© Anders Petersen
© Anders Petersen
Le lecteur serait presque déçu d'ailleurs, de ne voir plus d'images illustrer ces propos et agrémenter un échange parfois dense. Les deux hommes, comme dans toute conversation, s'égarent parfois du propos initial, et il est au lecteur de ne pas perdre le fil d'une conversation enflammée.
Ainsi, celui-ci comprend la pensée de Petersen, et ce qui anime son œuvre photographique. « Je ne cherche pas la réalité, je cherche une proximité dans le sentiment » confie en effet Petersen. Quant à son travail réalisé dans l'hôpital psychiatrique en 1995, il lui avoue ceci « Le travail sur l'hôpital psychiatrique, quand je le regarde, je sais, je me répète, mais c'est vraiment un moment charnière. Je n'observais pas autant que dans la prison et l'hospice, mais j'ai eu une nouvelle liberté dans mon approche de la photographie. J'ai ressenti davantage ce qui se passait, et plus profondément. »
© Anders Petersen
© Anders Petersen
Son avis sur la photographie moderne pratiquée au numérique, pour celui qui ne travail qu'à l'argentique, suscite également la curiosité du lecteur : « Aujourd'hui, si tu regardes le monde numérique, ces professionnels sont très... professionnels, tout... le sentiment disparaît parfois, la magie aussi. Toutes ces énergies vitales deviennent évidentes, il faut faire attention à ça, en prendre soin, et avoir une approche humble. C'est ce que je pense. Tu sais, quand je fais des workshops, il y a beaucoup de jeunes, et nombreux sont ceux qui sont obsédés par la technique. Ca les détruit. (…) Je pense qu'il faut être assez... horriblement lucide pour comprendre que la photographie, ce n'est pas une question de photographie, c'est une question de tempérament, se montrer, présenter son travail, c'est une question de personnalité et de présence. »
Ainsi, Anders Petersen (par) Christian Caujolle est un état des lieux de la photographie par Christian Caujolle et Anders Petersen, s'adressant à un public avide de savoirs, et curieux de plonger sans barrières dans l'intimité de ces deux hommes.
© Anders Petersen
Claire Mayer
ANDERS PETERSEN par CHRISTIAN CAUJOLLE
Collection Juste entre nous
Christian Caujolle : texte
Anders Petersen : photographies
128 pages - format 14 x 19 cm
Couverture souple
15 photographies en bichromie
19,50 €