© Sylvia Ceccato
Sandra Calligaro est née en 1981 et a suivi des études d'art et de photographie à Paris 8. Après sa formation, elle quitte la capitale française pour l'Afghanistan.
La relation de la photographe avec l'Afghanistan est complexe ; partie pour un voyage, elle finit par s'y installer pendant plusieurs années. Très vite, elle se rend compte que la réalité qu'elle y vit semble trop décalée de celle que les médias transmettent. Dans une volonté de traduire en images une vision moins froide de l'Afghanistan, elle s'éloigne de la presse pour commencer à s'intéresser à une dimension plus humaine de ce pays.
Penser l'Afghanistan revient très souvent à penser la guerre et la misère. Avec Afghan Dream, Sandra Calligaro tente de montrer une autre facette de ce pays, à contre-courant de l'opinion générale.
Dans le cadre de ses deux expositions, l'une à la BNF et l'autre au 104, Sandra Calligaro nous parle de son plus récent projet et, d'une manière plus générale, de son expérience afghane.
© Sandra Calligaro
Comment votre intérêt pour la photographie est-il né ?
Quand j'étais plus jeune, j'étais plus tournée vers l'art, vers toute pratique artistique en général, mais plutôt le dessin. J'ai toujours pris des cours de dessin et de peinture, donc naturellement après le bac j'ai été dans une école d'art. J'y ait fait une année préparatoire et là-bas j'ai découvert la photo. A partir de ce moment, j'ai laissé tomber mes pinceaux et tout le reste pour me consacrer uniquement à la photographie. A l'époque, en regardant des travaux de grands reporters de guerre, je me suis dit que c'était ce que je voulais faire, plus pour l'aventure que par goût ou passion de la formation. En me renseignant, j'ai vite compris que beaucoup de choses avaient changé depuis les années 1970, qu'il n'y a pas d'école de photographe correspondant de guerre et qu'il fallait donc suivre un cursus général dans une école journalisme - et je n'avais pas envie de le faire. J'ai un peu abandonné tout ces projets et je suis restée dans un cursus artistique, à Paris 8. Donc c'est comme ça que ça a commencé. A la fin de mes études, par le biais de rencontres, j'ai renoué avec cette envie de partir et de témoigner dans des pays agités.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes arrivée en Afghanistan ?
Je voulais partir dans un pays en conflit ou en post conflit, et j'avais un ami qui avait tourné la première partie d'un documentaire en Afghanistan et qui y retournait. Je lui ai demandé de m'emmener dans ses bagages - il m'a dit que ce n'était pas possible mais que je devais y aller si je le voulais, que c'était bien pour commencer. Et je suis partie comme ça. Mais il m'aurait dit qu'il retournait en Somalie, peut-être que cela aurait été la Somalie. Cela aurait pu être un autre pays, mais cela a été l'Afghanistan. Je suis partie au départ pour un mois, j'y suis restée deux, je suis revenue en France, j'ai fait d'autres voyages et j'ai fini par m'y installer. Mais ce n'était pas du tout décidé, ça s'est fait petit à petit, un peu par hasard.
© Sandra Calligaro
Et pourquoi s'installer en Afghanistan ?
Lorsque je suis arrivée, le pays me plaisait déjà, à l'époque je cherchais à voir des choses complètement différentes de ce que je connaissais. Je n'ai pas eu un choc culturel ou visuel parce que nous sommes habitués à voir des images, nous nous informons ; je suis partie par hasard en Afghanistan, mais à partir du moment où je l'ai décidé, je me suis quand même renseignée. Je ne m'attendais pourtant pas à aimer ce pays. Quand je suis arrivée, j'étais comme tout le monde, je pensais l'Afghanistan comme synonyme de la souffrance, des Talibans, des pauvres femmes, et en fait j'ai découvert d'autres choses. Il faut y aller pour s'en rendre compte, mais je pense que je suis restée là-bas parce que le pays, les gens sont vraiment très attachants. Il y a quelques années, le pays était ravagé par la guerre mais pas complètement détruit par la société de consommation, enfin, par le capitalisme, il y avait des valeurs. Les gens étaient donc un peu naïfs, mais dans le bon sens du terme. Avec l'argent, ce n'est pas tout à fait la même chose, mais les gens restent très attachants individuellement.
© Sandra Calligaro
En même temps, j' ai commencé à y travailler en tant que photographe. Avant, je prenais des photos, je finissais mes études et techniquement je savais faire des photos, mais je ne savais pas être photographe - c'est différent. A mon avis, le fait de devenir photographe en Afghanistan a accentué cet attachement. Et puis, on était en 2008, la crise financière commençait, la crise des médias remontait à bien avant. Très vite, j'ai eu du travail en Afghanistan pour la presse, pour les réseaux ONG. J'avais du travail, je m'y plaisais, ça me changeait complètement de ce que j'avais vécu jusqu'à présent à Paris ; pourquoi rentrer alors que cela paraissait (et était) très compliqué de débuter en tant que photographe en France ? Il y a énormément de bons photographes basés à Paris, et je ne voyais pas ce que je pouvais rapporter comme plus-value en rapport aux autres, complètement perdue, fondue dans la masse. Je suis donc restée en Afghanistan – et cela a duré quelques années.
Quand vous dites que vous avez trouvé du travail en Afghanistan, c'était pour la presse locale ou comme correspondante ?
Comme correspondante. Mais j'ai commencé à travailler pour des ONG, principalement françaises et européennes comme Médecins du Monde, Action Contre la Faim... A chaque fois, c'étaient des commandes locales, passées par des ONGs dont les sièges étaient à l'étranger. Et en parallèle, je pigeais pour plusieurs journaux et magazines, j'ai fait à peu près toute la presse française ; c'est difficile d'avoir un travail régulier en tant que photographe dans un journal.
© Sandra Calligaro
Par rapport à votre projet Afghan Dream, pouvez-vous nous raconter comment vous avez eu l'idée et ce que vous avez voulu montrer ?
L'idée est venue graduellement, à partir de 2011, à peu près. J'ai commencé à vouloir montrer autre chose de l'Afghanistan. Il y avait un très grand décalage entre ce que je racontais à mes proches, ce que je vivais et les images que je produisais pour la presse. Je trouvais qu'il y avait, bien évidemment, beaucoup de problèmes, mais aussi de très belles choses. Cela ne m'a jamais intéressé de montrer le conflit directement, j'ai toujours préféré montrer les à côtés et ses conséquences, mais je traitais tout de même des sujets très banals. j'ai voulu rendre compte d'autre chose que ce qu'exposaient les médias à propos de l'Afghanistan. J'ai commencé à travailler sur la ville de Kaboul, où j'ai habité, pour la présenter d'une autre manière, assez distanciée, moins proche des gens.
Je voulais prendre de la hauteur sur la ville parce que je trouve que dans un pays en conflit les médias se permettent de photographier sans retenue et sans forcément respecter ces gens photographiés. Parce qu'un événement est en train de se dérouler, parce qu'on n'a pas le temps de demander des autorisations, et parce que dans l'action on s'en fiche un peu de ce que vont penser ces personnes puisque, de toute manière, il faut montrer. Je ne me sentais plus à l'aise avec ça, et la relation que j'avais avec les photographiés avait toujours été quelque chose d'important pour moi. J'ai commencé à travailler à Kaboul parce que c'est la ville dans laquelle je me sentais à l'aise et que j'avais envie de montrer, mais aussi pour des raisons pratiques – il est compliqué de rester très longtemps dans d'autres zones du pays. Je me suis alors préoccupée à montrer d'abord la ville et après ses habitants.
© Sandra Calligaro
L'envie de travailler sur les classes moyennes est venue tout simplement. En faisant mes courses un jour dans le supermarché à côté de la maison, je me suis aperçue qu'il n'y avait pas que des étrangers, des expatriés comme moi, mais de plus en plus d'afghans, ce qui n'était pas du tout le cas lorsque je suis arrivée en 2007. Le supermarché était en grande partie réservé pour les expatriés, à 60 ou 70 %. Et c'est l'inverse aujourd'hui. Je m'en suis rendue compte par moi-même et je me suis posée la question : mais qui sont-ils, ces afghans qui ont un pouvoir d'achat suffisant pour arpenter les rayons des supermarchés ? Donc je suis partie du supermarché pour voir où habitaient les clients.
Ce qui m'a plu en Afghanistan au début c'était le choc, parce que ce je voyais en arrivant tous les contrastes avec l'endroit où j'avais grandi, avec l'éducation que j'avais reçue. Après 6/7 ans vivant à Kaboul, la ville était mon quotidien ; je n'ai pas voyagé en Afghanistan, j'y ai habité. Et au bout d'un moment j'ai commencé à voir la ville d'une manière différente, j'ai arrêté de voir les afghans comme des afghans pour les voir comme des collègues, des voisins. Après toutes ces années, cela m'intéressait non pas de montrer les différences, mais les similitudes, sans pour autant essayer de gommer la culture, qui reste très importante. Choisir les classes moyennes, ni trop riches, ni trop pauvres, c'était la façon de pouvoir faire sentir ces ressemblances.
© Sandra Calligaro
Comment avez-vous invité les gens à participer du projet ?
Les afghans adorent être photographiés, ils en sont très fiers ; si on s'intéresse à eux, cela veut dire qu'ils sont intéressants. Et puis, lorsqu'il s'agit de montrer une histoire qui est autre que celle d'un Afghanistan qui souffre, ils sont forcément contents. Tous les jeunes me disent qu'ils veulent donner une autre image de leur pays. Il y a évidemment beaucoup de problèmes, mais ils veulent aussi montrer les progrès qui ont été faits. C'est très important pour eux.
Pour les plus âgés aussi ?
Oui parce que je me suis intéressée à une classe sociale qui n'existait plus il y a 12 ans, qui avait complètement disparu entre les différentes guerres. Ceux que je photographie, ce sont des gens éduqués, mais pas forcément très riches, des gens de la capitale, assez mondains. Toute cette classe était partie dans les années 70 dans les pays limitrophes ou dans le reste du monde. Je photographie alors ceux qui sont le renouveau d'une classe qui avait disparu, ceux qui ont profité de l'élan qui a été mis en place depuis 2002, avec les emplois créés par la communauté internationale, par l'OTAN. Ils sont très fiers de montrer qu'ils ont atteint un certain statut social, c'est une sorte de réussite pour eux. Dans cet aspect, le capitalisme a complètement pris le dessus.
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Ce titre Afghan Dream vient de là aussi. Il y a quand même un grand point d'interrogation par rapport à la pérennité de ces personnes. L'année prochaine, la majorité des troupes de l'OTAN sont censées se retirer. L'économie en Afghanistan est très artificielle, parce qu'il y a beaucoup d'argent qui a été injecté par la communauté internationale et il y a donc une relation de dépendance très grande. A partir du moment où cette communauté va se retirer, il va y avoir forcément un déséquilibre, une chute de l'économie, moins d'emplois et un grand risque d'instabilité. Les gens ne le disent pas mais le futur n'est pas clair. Si les Talibans retournent au pouvoir, même partiellement, ces personnes qui ont travaillé avec les occidentaux seront les premières à subir les conséquences.
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Vous aviez commencé à aborder le sujet sur le rapport des afghans à l'image. Pouvez-vous en parler un petit peu plus, justement en ce qui concerne les jeunes, avec l'apport des nouvelles technologies et des smartphones …..
Cela a changé très vite mais il y a quelques années, il y avait beaucoup moins de smartphones, donc la photographie était encore quelque chose d'assez noble, on fait un portrait, on pose en famille... cela existe toujours, d'ailleurs. Mais aujourd'hui, les jeunes (pas tous mais beaucoup d'entre eux) ont des smartphones.
En ce qui concerne le rapport à l'image, on parle des jeunes afghans de la capitale, ce rapport va être très différent pour les gens plus pauvres ou les provinciaux pour qui la culture afghane prend le pas sur la mondanité, la mondialisation. Chez les Pachtounes, l'ethnie majoritaire en Afghanistan, les femmes ne peuvent pas être prises en photo, sauf pour un usage intime. Mais, par exemple, lorsque les afghans se marient, peu importe leur ethnie, ils font tous des albums de mariage avec dix mille portraits, différentes tenues et poses, il y a toute la famille, tous les moments du mariage... Et chaque famille a son album de mariage, c'est l'une des premières choses que l'on m'a montré lorsque j'étais invitée chez des gens
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Avez-vous des projets à venir ?
Je pars en Inde pour trois semaines en janvier, pour documenter le travail d'un artiste photographe qui va faire des installations dans des bidonvilles de Bombay. A côté, je travaille sur des projets. L'année prochaine, comme il y a les élections présidentielles afghanes en avril, j'y retournerai peut-être pour un mois ou deux, mais pour l'instant rien n'est sûr. Je suis rentrée sur Paris, mais je reste très attachée à ce pays, j'y reviendrai sûrement. Je veux tout de même essayer de m'ouvrir à d'autres pays, toujours dans la même ligne directive d'Afghan Dream, la jeunesse en milieu urbain et les pays de conflit et post conflit.
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Propos reccueillis par Ana Santos et Sylvia Ceccato