© Harry GruyaertHarry Gruyaert est un virtuose de la couleur et de la lumière. Il publie Maroc aux éditions TEXTUEL vingt-trois années après Morocco. Vingt-trois années gouvernées par les progrès numé
Harry Gruyaert est un virtuose de la couleur et de la lumière. Il publie Maroc aux éditions Textuel vingt-trois années après Morocco. Vingt-trois années gouvernées par les progrès numériques et les prises de vue, faisant de cet ouvrage un« accord splendide entre les formes, les couleurs, les gestes quotidiens et la nature ». Ainsi, il le souhaite « expression d’un ravissement » et l’offre au lecteur.
Le « coup de foudre » du photographe belge « s’organise comme un voyage de la campagne à la ville, puis de la ville à la campagne ». Un périple au cours duquel Guyaert expose ses deux partis pris. Dans un premier temps, selon Brice Matthieussent, éditeur et professeur d’esthétique, l’artiste fait le choix de « l’espace citadin décrit par grands aplats noirs qui tranchent avec la terre battue des sols ou le crépi des murs éclaboussés de lumières ». Dans un second temps, il témoigne d’« une présence humaine souvent lointaine, sans visage, si possible de dos, déjouant un piège récurrent lié à la présence de l’homme dans l’image : le chantage du regard adressé au spectateur, la captation et la confiscation de l’oeil de ce dernier, des lors manipulé, soumis à l’émotion et privé de réflexion ». Le tout au service d’une couleur dont il se sert comme un « moyen de sculpter ce que je vois. La couleur n’illustre pas un sujet ou la scène que je photographie, c’est une valeur en soi. C’est même l’émotion que je photographie » confit-il. Des propos qui raisonnent avec la démarche de William Eggleston qui en légitimant la couleur comme médium artistique à part entière, en refusant de la traiter comme un moyen de séduction, imposa un monde en couleurs. Un monde « où le bleu et le ciel sont une seule et même chose » disait-il, tout comme les ciels bleus du Maroc, ses murs azurs et ses tissus ambres.
© Harry Gruyaert / Agence Magnum
Une kyrielle de nuances d’autant plus marquée grâce aux avancées technologiques faites depuis l’ancien Morocco, puisqu’ « on gagne en information et, pour de nombreuses images marocaines, en subtilité : les nuances colorées sont infiniment mieux maitrisées et toute la richesse du négatif est révélée par le traitement numérique » explique Brice Matthieussent. « Dans les parties jusque-là « bouchées » ou, au contraire, surexposées de l’image on découvre soudain une foule de détails, de nuances qui disparaissaient dans les tirages Cibachrome ». Le traitement numérique semble être un second « révélateur », le premier étant, bien évidemment, l’oeil du photographe.
© Harry Gruyaert / Agence Magnum
Des couleurs et nuances au service d’une « indétermination », d’une « ambiguïté », créant « un trouble qui se prolonge parfois jusqu’au malaise, et même si les tirages récents dissipent en partie les ombres et apportent une clarté certaine, les images reproduites dans ce livre gardent leur étrange mystère ». En effet, cet amoureux d'Henri Cartier Bresson compose un « espace vacillant », « dans cet espace ambigu, à la fois très séduisant à cause du traitement subtil et sensuel de la couleur et profondément inquiétant dans son étrangeté qui ne cède jamais au pittoresque ni à l’exotisme, le photographe saisit des êtres sans visage, des anonymes au corps fragmenté, découpé, réduit à une simple silhouette, à une masse d’ombres » affirme Matthieussent.
Il parle d’un « monde brouillé », celui des sentiments du lecteur face à une couleur qui provoque une affectation immédiate. Le clair-obscur est le mot d’ordre d’un monde entre ombre et lumière, entre rêve et cauchemar. En quelque sorte le monde réel. « De nombreuses images de Gruyaert incluent cette ambiguïté visuelle et provoquent l’inquiétude ou un léger malaise chez le spectateur » ajoute-il. Celui-ci est mis à mal grâce à ce trouble, il est mal à l’aise entre beauté et dureté. Une jeune femme qui se couvre le visage et derrière un vieil homme courbé par la vie. Un désert safran et un camp abandonné dans les bleus Klein.
© Harry Gruyaert / Agence Magnum
L’artiste explique que c’est au Maroc qu’il a appris à « photographier en s’approchant des gens », à « oublier son corps pour se concentre uniquement sur ses émotions et ses réflexes de photographe », une démarche proche de l’« éloge » plutôt qu’ « un récit ou un journal de voyage ». Mais tout au long des 120 pages, le sujet demeure primordial, il « oblige à sortir de soi pour essayer de comprendre une autre réalité. Tout est question d’équilibre entre la réalité et soi-même ».
© Harry Gruyaert / Agence Magnum
Ainsi, dans ce somptueux marasme, le lecteur s’interroge sur ce qu’il ressent, réfléchit et enfin prend conscience. Il devient témoin de la belle rudesse de la vie. Une âpreté qui loin d’être en noir et blanc, dichotomique, est en nuances, une nuance de vécu et de couleurs. Maroc possède « une défiance instinctives envers la photographie humaniste », « sans doutes ses voyages au Maroc, en Inde ou en Egypte ne sont ils pas étrangers a cette découverte de mondes ou l’humanisme ne prévaut guère »…
Maroc
Harry Gruyaert
Edition Textuel
120 pages / 34,2 x 25,8 cm
Laura Kotelnikoff Béart