Harar Ethiopie voiture 2013 © Raymond Depardon
Le Grand Palais présente une exposition inédite du photographe Raymond Depardon. Connu principalement grâce à ses photographies en noir et blanc, l'artiste a pourtant une large production en couleurs que le public aura l'occasion de découvrir.
Raymond Depardon est né dans une famille de cultivateurs à Villefranche-sur-Saône, mais il comprend très tôt que la vie dans la ferme ne lui convient pas. Il quittera ainsi le foyer familial pour Paris dès l'âge de 16 ans et travaillera comme l'assistant d'un photographe de l'Ile Saint-Louis, Louis Foucherand. A peine deux ans après, il entre à l'agence Dalmas et photographie les vedettes, les faits-divers, les Jeux olympiques et fait de plus en plus de reportages à l'étranger. C'est le début de sa carrière, et il devient le principal photographe de l'agence au bout de cinq ans.
Sur son affiche, l'autoportrait du jeune photographe pris au tout début de son parcours donne le ton de l'exposition : la couleur. Le titre choisi, Un moment si doux, fait référence à une série de photographies prises en Amérique du Sud au milieu des années 2000. D'après Hervé Chandès, commissaire de l'exposition et directeur de la Fondation Cartier, l'idée est venue de Raymond Depardon lui-même - ou plutôt, l'idée est venue tout simplement. Hervé Chandès précise en effet que « ce sont les mots qui sont apparus comme ça dans son imaginaire, associés à ces images. Il ne cherche pas un titre pour absolument qualifier les choses. » Pour lui, plus qu'un titre, « un moment si doux » est là également pour donner à la photographie en couleur une sensation, qui marque la démarche de l'artiste.
Le thème général de cette exposition, la couleur, a été une évidence dès le début. D'après Hervé Chandès, si l'on s'intéresse au travail de Raymond Depardon, il est aisé de remarquer qu'il a fait très peu d'expositions personnelles importantes, que ce soit à Paris ou ailleurs. La question était donc, finalement, de savoir quoi montrer – et la couleur s'est avérée une réponse évidente. « C'était intéressant de montrer la couleur qui correspond à une actualité (enfin, le mot est un peu faible), d'une part. Et puis, de fait, elle est très peu connue alors qu'elle existe depuis toujours, elle n'a pas été montrée, alors que le noir et blanc est bien plus connu – s'il n'a pas été montré, il a beaucoup été publié. »
Salon du camping Paris 1960 © Raymond Depardon
L'exposition occupe une grande salle de la galerie du sud-est du musée. A l'entrée, une photographie en très grand format, prise au Vietnam dans les années 1970 qui montre un journaliste dans sa chambre d'hôtel, se dresse devant le spectateur. La variété des formats frappe l'attention, s'imposant du plus petit au plus grand format. En effet, tout un mur est réservé à ces grands formats, sur lesquels s'inscrivent des photographies prises dans les années 2000.
L'hétérogénéité des photographies accrochées a laissé place à une organisation thématique de l'exposition. Avec les « les années déclic », le spectateur découvre les premiers clichés de Raymond Depardon, ce sont des images de la ferme natale au Garet, mais aussi des portraits de vedettes comme Edith Piaf, et des photos réalisées lors de premiers voyages. Il ne s'agit pourtant pas ici de montrer uniquement les débuts de la carrière de l'artiste, les photos de cette catégorie vont jusqu'en 2007.
Beyrouth, Liban, 1978 © Raymond Depardon
La deuxième partie de l'exposition se consacre aux photos de reportage, parmi lesquelles se distinguent des séries dont celle du Chili, Beyrouth et Glasgow. Raymond Depardon montre un Chili bouillonnant en 1971, avec Salvador Allende à la tête du gouvernement depuis un an. Pour lui, ce séjour fut une véritable révélation. Dans les photos sélectionnées, le photographe expose la lutte des indiens Mapuche pour leurs terres, les paysans dans les campagnes. Sept ans plus tard, il part à Beyrouth photographier la guerre civile au Liban pour le magazine allemand Stern. Raymond Depardon choisit ici de ne pas montrer le conflit en soi, mais de mettre en avant ses effets, avec des images d'endroits abandonnés et ravagés, et ce qu'il se passait autour de la guerre, la vie quotidienne qui en est profondément marquée. Finalement, avec Glasgow, le photographe montre d'autres facettes de son travail. Et même pour lui, « Glasgow semblait être aux antipodes de sa photographie ». Cette série ne montre pas de scènes de guerre, ou une réalité très éloignée de celle de Raymond Depardon. Ces photos, commandées par le Sunday Times qui n'ont jamais été publiées, montrent le nord, la vie urbaine et mondaine et ne sont pas pour autant moins intéressantes que d'autres. Sur le texte qui l'accompagne, Raymond Depardon écrit, de fait, « J'ai beaucoup photographié le Sud, l'Afrique, le désert. Et pourtant, le Nord me va bien. »
Campamiento Che Guevara Faubourg sud de Santiago 1971 © Raymond Depardon
« Un Moment si doux » marque le dernier grand moment de l'exposition. Il souligne le retour à la couleur, notamment après la campagne DATAR de 1984 et les photos prises dans la ferme du Garet, mais sous une autre optique. La différence principale entre ces photos et les autres est peut-être, comme le dit Raymond Depardon, leur caractère « clandestin ». Il faut entendre par là que ce sont des photos prises essentiellement pour le simple plaisir de faire de la photo, sans aucune intention de les exposer ou publier. Ce sont, d'une part, des photos datant du milieu des années 2000 prises en Amérique du Sud, en Afrique et en France. Les autres, prises entre l'année dernière et cette année, ont été des commandes spéciales pour l'exposition du Grand Palais. Il est alors retourné en Amérique du Sud pour les réaliser, mais il s'est rendu compte très rapidement qu'il ne pourrait pas faire de longues errances comme il en était habitué et s'est fixé des endroits où il est resté quelques jours pour prendre les photos. Il est donc allé à Harar en Ethiopie, au Tarabuco en Bolivie, à Modra au Tibesti, à Los Angeles et à Honululu. Il s'est également rendu à Buenos Aires, ville qu'il apprécie et où il avait déjà travaillé autrefois. Ces photos de Buenos Aires font l'objet de deux mosaïques propres, avec des séquences photographiques.
Sur la route avant la Paz, Bolivie, 2005 © Raymond Depardon
Sous la forme d'un récit autobiographique, l'exposition montre ainsi le travail de Raymond Depardon sous un autre angle, méconnu voire même ignoré. Il ne s'agit plus du Raymond Depardon consacré pour la photographie en noir et blanc, mais un artiste profondément marqué par la couleur, par ces moments si doux.
Ana Santos