La Fondation Abbé Pierre présente jusqu'au 17 novembre, « Un sourire svp » : un projet résultant de la collaboration du photographe Little Shao avec l'humoriste Luigi Li. Cette exposition dévoile une série de portraits de sans abris, tenant en mains des pancartes aux messages humoristiques. Ainsi, Little Shao immortalise ces nécessiteux, qui mendient en prétextant « Je sort avec Rihanna !!! ...Et ça coûte cher d'entretenir une fille comme ça... !!! », ou demandent aux passants « 1€ pour m'acheter une tv svp (Moi aussi je veux regarder Danse avec les Stars) ». A la vue de ces images, le spectateur esquisse obligatoirement un sourire, mais il se demande également : en a-t-il le droit ?
Intriguée par cette drôle d'exposition, l'équipe d'Actuphoto se questionne : Qui est Little Shao ? Comment l'idée d'un tel projet est-elle née? Et surtout, les artistes auraient-ils franchi la barrière du « politiquement correct » ?
Entretien avec Little Shao.
© Little Shao
Pouvez vous nous raconter votre parcours?
Je suis né à Saint Denis (93). J'ai habité et fréquenté un long moment la ville de Stains, dans les quartiers du Clos Saint-Lazare, avant d'habiter à Châtillon (92). J'ai grandi dans une cité et toujours eu un rapport particulier avec la rue. Je m'y sentais comme chez moi. Elle m'apportait une grande source d'inspiration. J'ai fait des études d'orientation scientifique et informatique avant d'intégrer une Grande École de Commerce parisienne. En parallèle, j'ai toujours pratiqué le BreakDance, le HipHop, et la photo. J'ai participé à beaucoup d'actions pour aider les jeunes de quartiers. J'ai aidé des associations et soutenu des événements annuels comme le Téléthon et des galas de charité. J'ai quitté la finance de marché après 4 ans d'activité pour me consacrer uniquement à l'art de la photographie. Aujourd'hui, je travaille avec les chorégraphes de grands artistes internationaux et couvre des événements de danse dans les quatre coins du globe.
Pour le projet " un sourire svp ", vous avez collaboré avec l'humoriste Luigi Li. Comment ce duo s'est-il formé?
Luigi est un ami avec lequel je tournais des sketchs sur NT1 il y a 7 ou 8 ans. Nous nous sommes très bien entendus et avons toujours gardé contact.
© Little Shao
D'où est venue l'idée du projet "un sourire svp" ?
Un jour, Luigi m'a appelé et m'a dit : « Cela fait plusieurs fois que je croise un sans abris dans le quartier. Nous avons un peu parlé. Il m'a fait réaliser que les hommes qui sont dans la rue, personne n'y prête attention. Mais, en même temps, ils ont des pancartes où il est impossible de comprendre ce qu'il y a d'écrit et les gens passent sans même les regarder. Ils utilisent la pancarte comme prétexte pour ne pas croiser leurs regards. Du coup, je lui ai fait une 'pancarte de beau gosse' avec une phrase clé pour que les gens lui donnent plus d'argent car cela va les faire marrer, comme les sans abris à Venice Beach ».
Puis il m'a dit : « L''hiver approche. Je pense que cela peut être une bonne idée d'en faire plusieurs et de les donner pour les aider. Si tu es motivé, viens avec moi pour prendre des photos. Ensuite, on les diffuse sur le net pour également toucher les gens qui ne prêtent pas attention, pour vraiment leur faire prendre conscience qu'il faut les aider. Le fait que les photos soient géniales, ça va d'autant plus attirer l'attention des gens ».
Vous êtes allé à la rencontre de sans-abris pour les photographier, pancartes humoristiques en mains. Certaines rencontres ont du être houleuses. Quelques anecdotes à nous raconter?
Nous n'avons jamais eu de confrontations, mais certaines fois des refus, car les personnes nous ont dit : "moi, les pancartes, ce n'est pas mon truc". Nous avons donné beaucoup de pancartes et échangé avec les gens pour leur expliquer l'intérêt d'avoir une pancarte marrante afin de pouvoir attirer le regard et la sympathie des gens. Nous n'avons pris, je pense, qu'environ 1/4 des gens en photo par rapport au nombre de pancartes que nous avons donné, car ils n'étaient pas tous d'accord pour poser devant un appareil photo. Certains se sont prêtés au jeu et nous avons vraiment beaucoup ri car en leur montrant les photos, eux même disaient : « waaaa je suis beau là dessus! ». Certains recommençaient car ils voulaient être plus beaux sur les photos. On leur expliquait qu'à la base, l'action était de les diffuser sur internet pour choquer les gens, pour qu'ils s'attardent d'avantage sur leurs cas. Certains nous disaient que si leur situation changeait, ils n'aimeraient pas retrouver leur photos sur internet pour être reconnus, donc ils ne voulaient pas prendre de photos. Mais, d'autres voulaient soutenir la cause et allaient dans notre sens. En tout cas, nous, nous avons pris énormément de plaisir à échanger avec ces gens et nous avons de très bons souvenirs et histoires.
© Little Shao
Tourner le malheur en dérision, ça fait parfois du bien, mais n'avez vous pas eu peur de faire polémique? Que ce projet humoristique "dérange" ?
En fait, nous n'avons pas du tout pensé à la polémique. Nous avons juste fait ça sans réfléchir. Ce n'est qu'après que nous avons eu beaucoup de questions sur la motivation. Lors du vernissage, il y avait une personne sans abri et une ex sans abri avec qui j'ai eu un échange. Il en ressort que la personne ex sans abri ne comprenait pas du tout notre action au début. Elle disait : « comment pouvoir rire et prendre ça avec humour », mais après une explication et un long échange, elle a compris notre raisonnement et m'a dit : « je comprend mieux et là je suis d'accord avec toi ».
La personne qui était sans abri trouvait ça super. Elle trouvait les photos géniales mais les blagues trop téléphonées et « à l'ancienne » disait-elle ... (Pour ma défense, je disais : c'est pas grave car les blagues c'est Luigi qui les écrites, pas moi...).
Pour finir, une question simple et compliquée à la fois: Pourquoi photographiez-vous?
Pourquoi? Dure question... Mais je voudrais vous inviter à voir les photos de ma page facebook ou à aller sur mon site car cela montre bien que si je photographie, c'est pour partager ma vision personnelle du quotidien.
© Little Shao
Propos recueillis par Ismène Bouatouch