Soukhoumi, Abkhazie. Pendant la semaine du 30 septembre qui marque la fin de la guerre d'Abkhazie, de nombreuses festivite?s sont organise?es, notamment des concerts et des danses en costumes traditio
L'Abkhazie est un pays dont peu connaissent finalement l'existence. Délicatement immiscée entre les montagnes du Caucase et les bords de la mer noire, la République d'Abkhazie (proclamée en 1992) a un statut ambigu. Son indépendance n'a, à ce jour, été reconnue que par cinq états, la Russie, le Nicaragua, le Venezuela, Nauru et Tuvalu, et le pays piétine en essayant de s'ouvrir au monde et de prospérer. En attendant, l'Abkhazie vit géographiquement dans l'ombre de la Géorgie, survit grâce à la Russie, et cherche à tout prix à être indépendant à tous points de vue et reconnu comme tel.
Un photographe s'est intéressé à ce pays intrigant, Guillaume Poli. Formé aux « news », il réalise aujourd'hui « des reportages sur des sujets de société et porte une attention particulière envers les minorités et les phénomènes migratoires, en Europe mais aussi en Turquie, Géorgie et récemment en Abkhazie…»
Guillaume Poli a découvert ce pays en marge, puis décide de s'y intéresser de près, de très près : « J'ai découvert le Caucase via la Géorgie en 2012 lors d'un reportage sur la minorité Tchétchène dans la Vallée du Pankissi. A cette période, je me documentais déjà sur l'Abkhazie, mais ma faible connaissance du Caucase a fait que je ne me sentais pas prêt pour aller directement en Abkhazie. Après avoir lu plusieurs livres, articles, vu plusieurs documentaires et vidéos éparses disponibles sur le net, j'ai rencontré Frédéric Delorca qui a écrit : http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-frederic-delorca.html">Abkhazie, et de là est née une collaboration sur le sujet que je présente aujourd'hui. »
Soukhoumi, Abkhazie. Le 30 septembre 2013, une foule dense s'est réuni malgré la pluie près de l'ancien Parlement bombardé pour assister à la parade militaire qui commémore la fin de la guerre d'Abkhazie © Guillaume Poli
Nouvel Athos, Abkhazie. Dans l'enceinte du monastère, un préposé prévient de l'imminence de la messe en portant des coups répétés sur un morceau de bois © Guillaume Poli
Ainsi, il s'est intéressé à l'Abkhazie, et a essayé de comprendre, décortiquer, mettre en lumière un pays enfoui sous une histoire délicate. « Abkhazie, 20 ans est une tentative de cerner un mystérieux pays, non-reconnu sur la scène internationale, travaillé par les souffrances d'une guerre civile encore récente, mais qui reste ouvert sur l'avenir. En Abkhazie modernité et traditions se mêlent en permanence. Les antiques dévotions et les ordinateurs à écrans plats. Les fillettes sautillent avec insouciance au milieu d'un mémorial des soldats morts pour l'indépendance du pays... ».
Guillaume Poli a de fait sillonné le pays, à la recherche de sa véritable existence, et surtout en quête de son authenticité « Après quelques formalités (passage de frontière, visa, accréditation auprès de l'agence de presse Abkhaze), j'ai pu assister aux commémorations qui ont eu lieu pendant la dernière semaine de Septembre. Pour autant, je ne voulais pas me limiter au programme officiel et je suis très vite parti à la rencontre des Abkhazes, grâce à de précieux contacts sur place (merci à Canan et Anıt) et un peu de culot, j'ai découvert le pays de l'intérieur, accédant à des entreprises, des galeries d'art, des monastères, des écoles, des ministères. »
Guillaume Poli veut mettre en lumière grâce à Abkhazie, vingt ans au-delà d'un pays, une culture, un univers à l'étroit dans ses montagnes : « D'abord mon objectif est de mieux faire connaitre cette partie du monde qui ne bénéficie pas d'un éclairage médiatique important. Pourtant, sa proximité géographique (environ 40 km) avec les Jeux Olympiques de Sotchi en 2014, et les récentes élections présidentielles géorgiennes, aurait pu contribuer à la mettre en lumière et se questionner quant à son avenir.
En second lieu, j'ai voulu montrer ce que devient l'Abkhazie, vingt ans après la guerre d'indépendance de 92-93, qui s'est achevée le 30 Septembre 1993 au prix de 10.000 morts et plus de 200.000 réfugiés. Et cinq ans après la guerre éclair de 2008 entre la Russie et la Géorgie, qui a débouché sur la reconnaissance russe et vénézuélienne des deux régions séparatistes de Géorgie : l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie.
Et enfin, montrer que ce que nous avons en commun nous humains, est plus fort que ce qui nous oppose. La photographie où plusieurs personnes jeunes et moins jeunes, dansent un slow dans un café à l'allure soviétique, ce Quart d'heure Américain à Soukhoumi traduit bien mon propos. »
Soukhoumi, Abkhazie. Quart d'heure américain dans ce café très prisé par les Abkhazes © Guillaume Poli
Dranda, Abkhazie - Najla est originaire de Damas. Arrivée il y a un an et demi en Abkhazie pour fuir la guerre en Syrie, elle habite dans cet appartement rénové depuis un an, à vingt de kilomètres de la capitale. Une aide lui est allouée pour le loyer et l'électricite © Guillaume Poli
Un travail efficace, complet et intrigant, qui offre au lecteur une vision globale et curieuse de l'Abkhazie. Les photographies de Guillaume Poli, au-delà d'être esthétiquement réussies, parviennent également à interpeller son public, et arrêter son œil averti sur une histoire méconnue, mais pourtant si riche, qui cherche à s'ouvrir avec foi sur le monde extérieur, et se détacher de ses vieux démons.
C'est pourtant encore délicat et difficile, et l'exploration du pays n'a pas manqué de surprendre le photographe avide de savoirs : «Ce qui m'a le plus marqué, c'est la peur des Géorgiens vis à vis de l'Abkhazie, sans pouvoir dire réellement de quoi ils avaient peur. Tout cela mêlé a un sentiment de défiance vis à vis des provinces perdues (20% du territoire) et auxquelles ils n'ont plus accès aujourd'hui. De surcroît, En Abkhazie, ce qui m'a marqué c'est la facilité avec laquelle j'ai pu travailler, avoir accès aux commémorations, aux Ministères, aux entreprises ou les écoles, on sent que le pays est en attente vis à vis de l'extérieur et veut se présenter sous son meilleur jour. »
Soukhoumi, Abkhazie. Certaines femmes vétérans de la guerre de 92-93 sont reçues en assemblée plénière par le Président Alexandre Ankvab dans la chambre des députés de Soukhoumi. Malgré certains égards, les femmes restent largement sous-représentées dans les instances décisionnelles abkhazes © Guillaume Poli
Soukhoumi, Abkhazie. Dans une ambiance festive, les collégiens de l'école Pushkin préparent une représentation pour la commémoration du 30 septembre 1993, jour de la libération de l'Abkhazie © Guillaume Poli
La situation reste délicate, et l'évolution lente. Pour Guillaume Poli, la mutation future en Abkhazie sera à plusieurs niveaux « La normalisation des relations entre la Géorgie et l’Abkhazie semble être une gageure dans un avenir proche. Comme le montre les commémorations que j'ai photographiées, le souvenir de la guerre de 92-93 est encore présent dans l’esprit des Abkhazes et des Géorgiens. Les Abkhazes considèrent toute réunification avec la Géorgie, comme une grave menace pour leur identité nationale.
De plus, l’avenir des relations avec la Russie est plus complexe à prédire. D’une part l’Abkhazie devient de plus en plus dépendante de la Russie, en particulier vis à vis de sa sécurité opérée par une base militaire russe et d'autre part concernant son financement : sa monnaie est basée sur le Rouble russe et son économie dépend à 70% des subsides russes. Mais d’autre part, elle veut préserver à tout prix son indépendance... en a t-elle encore les moyens ? »
Abkhazie, vingt ans est un reportage réussi, qui donne à voir ce que tout un chacun attend de la photographie, immerger un public curieux, dans un univers qui lui est méconnu, et qui éveille son désir de découvertes...
Soukhoumi, Abkhazie - Le téléphone ne sonnera qu'une fois en deux heures dans cette société de taxis. L'activité se fait en maraude. Pour 100 Roubles (2,30€) l'on peut parcourir la ville à vitesse grand V © Guillaume Poli
Pour retrouver le travail de Guillaume Poli :http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-frederic-delorca.html">Abkhazie,
Claire Mayer