© Julien Coquentin
« Il faut à mon avis écrire pour plaire à un seul lecteur : soi-même ». Les mots de Nabokov soufflent sur la photographie de Julien Coquentin. Entre avril 2010 et juin 2012, le photographe et urgentiste d'un grand hôpital, tient quotidiennement un journal intime qu’il livre au grand jour avec la publication de Tôt un dimanche matin: Journal de Montréal. Cette reprise du titre d’un tableau d’Edward Hopper résume son approche de Montréal. Les 87 clichés sont autant de témoins de son vécu dans une ville qui s’éveille, un répertoire photographique réalisé pour lui-même, une érrance urbaine offerte à son lecteur.
Julien Coquentin est né en 1976. En 2007, il se passionne pour la photographie. « Il traite aux travers de ses séries des thèmes aussi variés que l’enfance et la mémoire, la ville et le territoire. Il aime conjuguer le mot et l’image, et explore le medium en utilisant toutes les technologies, anciennes et modernes, que l’histoire de la photographie a su générer » dixit son site internet, et ce au service d' «un geste esthetique complexe, portant sur plusieurs saisons, dans une même ville, privilegiant le même temps photographique ( le "petit" matin dominical), n'hesitant pas à croiser toutes les armes que la photographie contemporaine met à sa diposition, et dont il use simultanement sans remords: noir et blanc et couleurs, petit et moyen format, usage traditionl de la potographie de rue européene ou americaine, combiné au langage plus distancié de la "Nouvelle topographie" » selon les mots de Gilles Mora, auteur de sa préface, historien et critique de la photographie.
© Julien Coquentin
© Julien Coquentin
En effet, il est impossible de ne pas voir les fantômes de Meyerowitz, Friedlander ou William Eggleston planer au dessus des clichés de Julien Coquentin. Son demi-portait d'une Galaxie n'est pas sans rappeler celui d'une voiture de l'Etat du bayou enchainée à un pillone en bois. A cet ailleul photographe, il lui doit un certain cadrage mais aussi la photographie couleur comme nouveau vecteur de l’art contemporain. Ainsi qu'une extrême banalité des sujets dans des tonalités justes, soignées, sans extravagances.
A première vue le photographe de Montréal capture la vie de tous les jours, mais il dépasse la simple description et dresse une forme d’inventaire mélancolique chaque « dimanche matin ». Le tout au service de ce que défend deja Eggleston en son temps, la difference entre l’ordinaire et l’insignifiant, pour « Une tentative de photographier démocratiquement en réalisant des milliers de clichés de sujet ordinaire. Ou encore comme une guerre contre l’évidence visant à révéler dans l’ordinaire une beauté inattendue. ». Ils ont en commun cette esthétique du prosaïsme qui pousse le photographe contemporain à s'agenouiler pour prendre un cliché au sol, une flaque d'eau, la jambe d'une passante, une ambulance et quelques reminiscences d'un Lee Friedlander.
© Julien Coquentin
© Julien Coquentin
Au-delà de l’apparence du banal et du quotidien de la ville de Montréal, les 108 pages de son journal sont l'occasion de pointer la mélancolie de personnages saisis dans des situations courantes, et des lieux quelconques, devenant de la sorte œuvres picturales. Gilles Mora explique : « plutot qu'une photographie climatique, une photographie "atmospherique", non pas celle qui fournit aux operateurs de la revue National geographique des images parfaites, d'un exotisme impeccable, dont nous connaissons tous la fatigante qualité. mais plutot l'occasion, surtout à certaines moments de la journée, d'approcher, par touches souvent expressionnistes, une ambiance, une atmosphere, une qualité intrinseques, presque secretes: l'essence d'un lieu urbain, le croisement fascinant, pour tout phototographe, d'un milieu humain avec son environnement consrtuit. »
C'est une nécessité poétique qui gouverne ce tout qui se rejoue à tout moment. Il alterne des photos d’êtres et leurs décors, forme des portraits en creux, transcendancés par l'intimité du dimanche matin, « un jour à mon sens particulier, un silence dans la mesure, une petite mort », explique-t-il.
© Julien Coquentin
© Julien Coquentin
Il capte des moments insaisissables de fragilité qui rendent les figures extrêmement belles, extrêmement humaines dans cette ambivalence entre force de la ville et vulnérabilité de l’être, ou peut être l’inverse. Un jeu permanent qui demande une attention toute particulière, afin de voir l'invisible. Et pour cela, « il convient d'affiner l'oeil, de pourvoir son regard de munitions esthetiques » affirme Gilles Mora.
Sa photo est intuitive, délicate, donnant une place essentielle au mouvement, à la vue quotidienne. Elle est sensuelle avec une perception du monde qui n'est pas définie comme pour ne pas la limiter. Une douceur nostalgique se dégage de ces instants furtifs et la lumière vient les éclairer, appuyer le silence et taire le bruit. Tout s'arrête l'espace d’une seconde, au sein même d'un chaos méterorogique lui rememorant l’hiver de son Aubrac d'enfance.
Il est l'auteur d'une recherche de l'être humain, une poursuite de ses traces dans la ville, un témoin du tourment climatologique et pas seulement. Pour Gilles Mora, Julien Coquentin se fait « musicien de son epoque », sa «vision authentiquement personnelle» divulgue une « subtile poesie urbaine » tô un dimanche matin...
© Julien Coquentin
© Julien Coquentin
Tôt un dimanche matin: Journal de Montréal de Julien Coquentin, préface Gilles Mora
Edition Lamaindonne http://www.lamaindonne.fr/lamaindonne/accueil.html">http://www.lamaindonne.fr
108 pages
25 Euros
Laura Kotelnikoff Béart