© Antoine d'Agata
Après la sortie très controversée de son ouvrage Ice en mai 2012 dans lequel il explorait l'univers de la drogue, la prostitution et l'errance par le biais de sa recherche photographique, c'est cette fois un monde totalement différent qu'examine Antoine d'Agata.
Né en 1961, il est un photographe qui va loin, toujours plus loin dans la rencontre d'un univers, jusqu'à en trouver ses propres limites. Inclassable, indéfinissable, mais surtout incomparable, il passionne ou dérange. Membre de l'agence Magnum depuis 2004, il poursuit son chemin photographique avant tout sans se soucier de l'air ambiant, ou de l'avis général. Il façonne sa vie photographique, un point c'est tout.
Son dernier ouvrage, Odysseia, publié aux édition André Frère, est loin de son exploration photographique personnelle. Odysseia fait ici référence à l'Odyssée, épopée grecque souvent attribuée à Homère, et dont le récit est éminemment connu. Ainsi s'ouvre donc l'ouvrage de d'Agata, sur une citation du récit mythologique : « Je m'appelle Personne, et Personne est le nom que mes parents et tous mes autres compagnons me donnent » (Odyssée, Chant IX 366-67). Rapidement, en sillonnant les premières pages de l'ouvrage, le lecteur découvre son sujet, et le lien avec l'Odyssée. Les migrants, la migrations, l'exil, leur situation et surtout l'état actuel des choses.
© Antoine d'Agata
© Antoine d'Agata
Très vite, le lecteur découvre des textes, beaucoup de textes, denses, et surtout très détaillés. Puis, des photographies d'Antoine d'Agata, qui surgissent comme un témoin, et, comme à son habitude, ébranlent par leur force. Cette fois, la priorité n'est pas à l'esthétisme artistique, mais au témoignage et surtout à la dénonciation. La patte de d'Agata est bien là, et le flou accompagne souvent l'image. Des photographies prises sur le vif, ou des captures de vidéos chères au photographe, allègent la lecture des textes, signés Bruno Le Dantec, Olga, Zoltan et Edhard, Doumbia Yacou, Tigeist, Rafael Garido et enfin Antoine d'Agata.
© Antoine d'Agata
© Antoine d'Agata
Les premiers textes (Bruno Le Dantec) posent la problématique du statut des migrants et leur situation précaire. Rapidement, les faits sont là, projetés aux yeux du lecteur : « il y a dans le monde 45 millions de déplacés, 12 millions d'apatrides et 15 millions de réfugiés. Près de la moitié des 214 millions de migrants internationaux sont des femmes. Des centaines de personnes meurent chaque année en tentant de passer du Mexique aux Etats-Unis. Depuis 1993, près de 20 000 migrants ont trouvé la mort aux portes de l'Europe. Les deux tiers des migrations s'opèrent pourtant d'un pays du Sud vers un autre, contrairement à ce qu'aimerait faire croire un Nord qui se pose en pôle d'attraction universel et s'imagine menacé dans son intégrité physique, financière, culturelle et morale par des déferlantes de désespérés fuyant guerres et famines. » Les lignes suivent, et le propos est argumenté, attesté et explicité de façon à clarifier la situation très critiquée des migrants. Les chiffres et les données officielles ponctuent également le propos de son auteur, comme une lame acérée déchirant toutes les idée préconçues que pourrait avoir le lecteur de ces pages.
© Antoine d'Agata
© Antoine d'Agata
Seule faiblesse de l'ouvrage, certaines photographies mériteraient d'être accompagnées de légendes, pour donner au lecteur un point de repère dans cette masse copieuse d'informations délivrée par l'ouvrage. La police utilisée paralyse parfois quelque peu une lecture brouillée par tant de propos, mais le lecteur se laisse encourager par la prose facile à comprendre et à intercepter.
La dernière partie de l'ouvrage – conséquente – fait une liste, une très longue liste des migrants disparus en tentant de sauver leur difficile existence et d'échapper aux difficultés de leur pays. Sans point, mis bout à bout noir sur blanc sur 60 pages, les faits seuls sont donnés, mais suffisent à laisser le lecteur muet devant cette liste impressionnante. Ces mots, ce sont ceux d'Antoine d'Agata, Rafael Garido et Bruno Le Dantec.
Odysseia est l'épopée d'un photographe dans l'univers déroutant et trop souvent critiqué des migrants, pour comprendre aux mieux ceux qui sont contraints à l'exil.
Odysseia d'Antoine d'Agata, Bruno Le Dantec, Rafael Garido
André Frère Editions
192 pages / Format 21,8 x17 cm
32 euros
Claire Mayer