Impossible de passer à côté de la couverture rouge carmin de l'ouvrage de Mark Cohen, Dark Knees, édité par les éditions Xavier Barral, en partenariat avec la BAL. Le titre seul, et le nom de l'artiste trônent sur l'ouvrage. Epuré mais efficace, son format idéal (170 x 240 mm), ni trop proéminent ni de petite taille, parvient à convaincre les derniers hésitants.
Né en 1943 à Wilkes-Barre, cette ville minière de Pennsylvanie sera le point de départ de la carrière de Mark Cohen. Mieux, son premier terrain de chasse de l'instant photographique, qu'il ne quittera jamais. « Il y a Wilkes-Barre, autrefois prospère ville minière de Pennsylvanie. Cohen est ici chez lui, dans cette ville qui périclite à petit feu et à laquelle il tend un miroir déformant. Il aime l'idée que le travail d'un photographe puisse parfois définir une ville : le Paris d'Atget, le Prague de Sudek, le New York de Klein. Pourtant, ce n'est pas ce qu'il cherche. Son Wilkes-Barre ne documente pas une Amérique urbaine en déclin (même si certaines images peuvent être interprétées de cette façon), c'est un paysage mental, une abstraction. D'autant plus saisissante qu'elle possède indéniablement un caractère onirique. » confie Vince Aletti, dans la postface de l'ouvrage.
© Mark Cohen
© Mark Cohen
En effet, Mark Cohen n'aura pas le désir ardent, comme beaucoup d'artistes de son époque, de rejoindre New York pour y intégrer sa scène artistique si réputée. Il préférera être le témoin de Wilkes-Barre, et y arpenter ses rues à la recherche de ce qu'il veut photographier. La regarder en profondeur, sous toutes ses coutures. Ses photographies sont celles du quotidien de sa ville natale, ou plutôt des détails qui façonnent celle-ci.
Ainsi, au-delà de ce qu'il serait aisé d'appeler la « street photography », l'intérêt de la photographie de Mark Cohen réside dans son cadrage, qui surprend autant qu'il fascine. Lorsqu'il choisi son sujet, seul un détail - ou deux - compte. Photographier le visage entier de quelqu'un ne l'intéresse pas, si un grain de beauté au creux d'un cou l'a au départ interpellé. De la même façon, les genoux, ou les mains seront l'objet de toute son attention, si c'est pour eux qu'il a sorti son appareil.
© Mark Cohen
© Mark Cohen
La mise en page des photographies colle donc parfaitement aux images de Cohen. Verticales, elles prennent tout l'espace de l'ouvrage, et se découvrent, se redécouvrent, sans aucune modération. Des photographies essentiellement en noir et blanc. Non pas un choix artistique particulier, mais une question financière, les pellicules couleurs n'étaient à l'époque pas accessibles financièrement à Mark Cohen. Elles parsèment pourtant l'ouvrage, comme une pause dans la lecture monochromatique à laquelle tente de s'habituer le lecteur.
En survolant les pages de Dark Knees, le lecteur serait tenté de croire que la photographie de Mark Cohen est en réalité une série d'accidents photographiques, sans réelle cohésion ni progression. Au contraire, comme le précise Vince Aletti « Ce n'est pas un hasard si Cohen a décidé de faire de ces accidents une marque de fabrique. Son talent ne repose pas uniquement sur son instinct. (…) S'échapper dans les rues de Wilkes-Barre pour faire avec brio des images brutales, sidérantes – des images qui n'avaient à plaire à personne d'autre que lui-même – était de toute évidence libérateur. Dégagé des contraintes de la pose conventionnelle, du cadre figé, du sujet poli, il pouvait laisser libre cours à ses audaces, s'y abandonner. »
© Mark Cohen
© Mark Cohen
Dark Knees destabilise le bien-pensant habituel et traditionnel, les règles de cadrage et celles animées par la « Street photography ». Pourtant, c'est avec un plaisir non-dissimulé que le public s'introduit dans son univers captivant, pour ne plus avoir envie d'en sortir.
Mark Cohen, Dark Knees
170 x 240 mm / 188 pages
169 photographies
N&B et couleur
Livre bilingue français/anglais
45,00 €
Claire Mayer