© Sebastiào Salgado
Genesis : des clichés en noir et blanc, de la couleur dans les yeux
L'exposition Genesis de Sebatiào Salgado présente 250 œuvres qui ont envahi, pour l'occasion, l'intégralité des murs de la Maison Européenne de la Photographie. Elle résume huit années de voyages, trente pérégrinations effectuées par l'artiste avec un objectif précis : partir à la rencontre des terres les plus reculées, des paysages les plus intacts et des peuples les plus authentiques.
La commissaire d'exposition Lelia Wanick Salgado, épouse et partenaire du photographe, a fait le choix d'une organisation en cinq chapitres séparés en cinq salles distinctes. Ainsi, au fil de sa visite, le public est transporté « Aux confins du Sud », il pénètre « Les sanctuaires naturels », voyage dans « L'Afrique », « Les terres du nord » ou encore dans « l'Amazonie et Pantanal ».
Nature, faune et homme, le photographe immortalise tous les sujets qui se présentent à ses yeux. Il use également de tous les formats : il offre la vue d'un immense glacier sur lequel patinent des centaines de pingouins, autant que celle du détail de la patte d'un iguane marin. Sebastiào Salgado ne travaille qu'en noir et blanc. « La couleur pour moi c'était très difficile », dit-il, « Les retours de certains rouges, de certains bleus, étaient tellement forts, que j'étais déconcentré, sincèrement, pour faire attention à la personnalité des gens … Donc, mon langage, c'est le noir et blanc. »
« En réalité, j'adore raconter des histoires avec la photographie, je suis un raconteur d'histoires. » Derrière chaque cliché de Sebastiào Salgado se cache une anecdote, un souvenir, un sentiment. Dans le portrait d'Afukaka, chef des indiens Kuikuro établi au sud de l'Amazonie, se devine la tendresse et l'amitié que partage l'artiste avec son modèle. L'homme est d'ailleurs venu en France à l'occasion de l'inauguration de l'exposition.
Sebastiào Salgado à la MEP © Claire Mayer
Le photographe expose plusieurs images illustrant son périple dans les neiges sibériennes, durant lequel il a connu le grand froid, ainsi que la souffrance de ne pouvoir se laver durant 47 jours. Cela le changera de la tribu d'Afukaka, car les Kuikuros se baignaient plusieurs fois par jours et qualifiaient l'artiste et ses acolytes de « sales ». C'est également dans le grand froid, mais cette fois en Antarctique, que Sebastiào Salgado nouera une amitié improbable avec une baleine. Celle-ci s'approchait sans cesse du bateau sur lequel il travaillait et réclamait des caresses, « comme un chien », dit-il.
© Sebastiào Salgado
L'artiste est allé à la rencontre de mondes que la plupart ne connaîtrons jamais, de mondes « hors de portée » tant ils sont difficiles à rejoindre. Mais là était le défi : atteindre les lieux où le paysage n'a connu aucune construction de la main de l'homme, dans les lieux les plus authentiques, puis revenir témoigner de la beauté de ces lieux et de la nécessité de les préserver.
En quittant la MEP après avoir vu Genesis, tout visiteur pourrait bien être pris d'un désir ardent de quitter la facilité et le confort des villes et de partir, lui aussi, à la rencontre de la beauté vraie.
Ismène Bouatouch
Exposition de Sebastiào Salgado à la MEP © Claire Mayer
Genesis, ou le désir de toute une vie
« Après avoir terminé Exode il y a 14 ans, nous étions très déçus de l'humanité. Exode a été très dur, le génocide rwandais, la guerre en ex-Yougoslavie, toutes ces choses nous ont beaucoup troublé. »
Ainsi commence la quête de Sebastião Salgado, à 60 ans, tenter de trouver la pureté encore intacte de l'humanité. Seulement, et il ai aisé de le comprendre, celle-ci réside dans ce qui n'a pas encore été déformé par l'homme pour arriver à ses fins. Dans ce qui est intact, lorsque la vie suit son cours sans qu'une patte insidieuse vienne troubler l'ordre des choses.
Huit ans ont donc été nécessaires à Salgado et son équipe, pour réaliser Genesis, et trouver ces endroits de plénitude qui persistent encore. Lélia Wanick Salgado, commissaire et scénographe de l'exposition, compagne de Salgado dans ses voyages comme dans leur vie, ajoute « A l'époque où nous avons terminé Exode, la famille de Sebastião a voulu que l'on reprenne la ferme familiale. Nous avons donc eu l'idée de planter une forêt, nous avons commencé chez nous, et avec cette nature qui poussait, c'est notre vie qui a débuté en de nouveaux chemins.
Nous avons donc entamé des recherches pour voir où trouver dans la planète ce qu'il y a encore de pur. Pendant deux ans, nous avons travaillé pour organiser ce projet. Enfin, en 2004, nous avons commencé. » Un commencement qui prend tout son sens avec le titre même de cette série Genesis, « qui signifie le début, le commencement ». Le point de départ d'un nouvel espoir …
Exposition de Sebastiào Salgado à la MEP © Claire Mayer
Genesis représente trente-deux reportages, dont le point de départ a été Galapagos. Madagascar, Papouasie-Nouvelle Guinée, Afrique, Amazonie, la liste est longue curieusement, des endroits encore intacts, où la nature possède encore ses droits. Malgré la quantité inestimable d'images réalisée, la Maison européenne de la photographie parvient à fournir à son public hypnotisé quelques 245 photographies de ces 8 années de reportage. La commissaire d'exposition confie « C'est un gros travail, déjà de choisir les images, il y en a beaucoup, 32 reportages... Puis, il fallait les assembler, trouver un moyen. Nous avons donc organisé l'exposition en séparant la planète d'un point de vue géographique : l'Amazonie, le Sud, le nord, l'Afrique … Il y avait aussi des photos des îles, qui étaient très différentes les unes des autres, donc nous les avons regroupé dans une salle, que nous avons appelé « le sanctuaire » , située au sous-sol.
Nous collaborons avec la MEP depuis longtemps, donc Jean-Luc Monterrosso (fondateur et directeur de la MEP ndlr) était ravi d'accueillir cette exposition ici. Le lieu se prête très bien à notre exposition, car il y a plusieurs salles séparées les unes des autres. Nous avons donc pu faire les 5 sections, et la suite au sous-sol. »
Une véritable immersion, et surtout une remise en question, nécessaire et inévitable, de l'action de l'homme sur la planète, et des conséquences dévastatrices de ses comportements.
Exposition de Sebastiào Salgado à la MEP © Claire Mayer
En terminant son parcours, ou en le commençant, le public découvre, au sous-sol de la MEP, dans ce « sanctuaire » voulu par l'artiste et son épouse, la présentation de l'Instituto Terra, la fondation écologique qu'ils ont crée. « Nous avons déjà planté 2 millions d'arbres dans la surface, sans compter chez les propriétaires ruraux et les terres publiques. Il y a au Brésil une loi qui stipule que toutes les fermes, les terres doivent avoir 20 % de forêts. Il y en a beaucoup qui n'en ont plus du tout. Du coup, nous nous battons pour que les propriétaires plantent vraiment ces forêts. Nous faisons aussi de l’éducation environnementale, c'est un projet entier. »
Une présentation d'un projet élémentaire, avec une discrétion intelligente, pour éveiller sans bousculer, rappeler sans culpabiliser.
Ainsi, en quittant la MEP, non seulement les images de Salgado voyagent dans les rêves les plus formidables du public, mais surtout, son engagement résonne tel une parole sainte en sa conscience.
Claire Mayer
Exposition de Sebastiào Salgado à la MEP © Claire Mayer