© Melissa Golden
Sara Lewkowicz a toujours été intéressée par les gens. Elle commence à prendre des photos vers 17 ans, et écrivait. « Pour moi, le photojournalisme fait partie du monde, il raconte des histoires, c'est un medium pour transmettre des choses. On peut raconter des histoires avec des mots, mais il y a quelque chose de spécial dans le fait de capturer un moment au moment opportun, l'appareil peut faire ce que notre œil ne peut pas. L'appareil immortalise un moment que nos yeux se contentent de voir. Etre capable d'être là au bon moment et de le capturer, ce sentiment, c'est vraiment spécial, c'est pour cela je pense qu'importe ce qu'il arrive, combien peut-être populaire votre photo ou vidéo, combien peut souffrir l'industrie de la photo, les gens sont vraiment réceptifs aux images. La photographie est beaucoup plus viscérale qu'elle n'est intellectuelle. Vous pourrez intellectualiser les images plus tard mais votre première réaction vient de vos tripes. »
C'est ainsi qu'elle présente cette année « Shane et Maggie : portrait d'une violence domestique » à Visa pour l'image. Un reportage qui n'avait pourtant pas commencé de cette façon …
Pourquoi avoir décidé de traiter ce sujet sur la violence domestique ?
Le sujet initial n'était pas la violence domestique, mais sur les difficultés des ex-détenus lorsqu'ils sortent de prison. Quand vous traitez un sujet, vous devez avoir un plan, mais vous devez aussi être flexible, lorsque les choses changent vous vous devez de vous adapter. C'est un peu ce qu'il s'est passé avec cette histoire, elle a changé très vite, et j'ai du m'adapter.
Comment avez-vous rencontré Maggie et Shane ?
Je les ai rencontré lors d'un petit festival local en Ohio. J'ai d'abord vu les tatouages de Shane, et ils m'ont fasciné. Je me suis dit que c'était peut-être une tradition culturelle ou quelque chose de la sorte. Je viens de NYC, mais l'Ohio est tellement différent, il n'est pas habituel de voir des gens tatoués comme ça.
J'ai passé quatre heures à discuter avec eux lors du festival, et je leur ai demandé si je pouvais venir chez eux pour prendre plus de photos. Au départ, je leur expliqué mon sujet initial, qui l'était encore à ce moment-là, des difficultés auxquelles doivent faire face les ex-condamnés à leur sortie de prison. Les difficultés d'avoir une vie normal, et de vivre en dehors de la prison.
Shane était d'accord, vous savez dans ce genre de situations, beaucoup de gens se sentent invisibles, ils ont des histoires à raconter mais personne ne les écoute.
Lauréate du Prix de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik 2013
Après l'arrestation de Shane ce soir-là, Maggie installe Kayden et Memphis dans la voiture pour les emmener chez sa meilleure amie. Kayden, qui dormait pendant la dispute, ne comprend pas ce qui se passe et se met à pleurer à son réveil. Memphis, quant à elle, reste calme et s'occupe surtout de réconforter sa mère. Elle répète sans arrêt : "Ne pleure pas, maman, je t'aime"
© Sara Lewkowicz / Reportage by Getty Images
Comment se sont organisées les prises de vue ?
Je venais et repartais. Je les prévenais et venais les voir souvent. Même lorsque je n'étais pas là nous échangions, nous nous téléphonions ect.
Nous nous sommes beaucoup rapprochés. Pour entrer en profondeur dans une histoire, vous devez vous impliquer et vous développer des liens avec les gens que vous photographiez. Vous devez toujours leur expliquer votre présence, c'est un rapport de confiance. Nous sommes devenus amis.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile pour vous ?
Assister à ces violences. Sur le moment ça allait car j'agissais comme un robot, je réfléchissais à ce que je devais faire, comment ect.. Il avait mon téléphone, je devais le récupérer pour appeler la police, car je savais que toute seule je ne pouvais pas l'arrêter. Cela a été plus difficile plus tard, en regardant les photos et me rappelant ces scènes de violence. Egalement lorsque l'histoire a été publiée, beaucoup de gens étaient en colère contre moi. Ils me disaient que j'aurai dû intervenir directement, pas uniquement appeler la police. Sauf que j'étais loin de faire le poids en face de Shane.
Certaines images sont dures, en particulier lorsque Shane frappe Maggie. Le public a le sentiment de faire partie de la scène, car les images sont prises de très près
J'étais vraiment près d'eux. Mais pour eux, dans le moment, j'étais vraiment le cadet de leurs soucis, ils étaient focalisés l'un sur l'autre, et ne faisaient pas attention à moi.
Lauréate du Prix de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik 2013
Shane continue de crier après Maggie alors que Menphis se faufile entre eux. La petite fille s'est arrêtée de p leurer et essaye de réconforter sa mère en larmes © Sara Lewkowicz / Reportage by Getty Images
Après cela, vous avez suivi Maggie en Alaska dans sa nouvelle vie, pourquoi ?
La montrer uniquement en victime l'aurait réduite, et ça n'aurait pas été juste. Elle est très forte et courageuse, elle n'a que 20 ans. Elle a du s'adapter en ayant des enfants très jeunes, et elle est très responsable. Je devais continuer l'histoire et montrer la façon dont elle avance, dont elle reprend le contrôle de sa vie. En général, les femmes sont réduite à une seule chose, la victime, la traînée, la nonne, nous n'autorisons pas les femmes à être plusieurs choses en même temps. Il était important pour moi de faire cela, de montrer que Maggie n'était pas qu'une victime.
Etes-vous toujours en contact avec elle ?
Je suis retournée cet été en Alaska pour la deuxième fois. Elle vit toujours là-bas avec le père de ses enfants. Elle m'a d'ailleurs envoyé un message hier soir, en me disant que sa meilleure amie lorsqu'elle était enfant, qu'elle avait perdu de vue depuis 10 ans, avait vu son histoire publiée quelque part. Cette femme l'a contacté, en lui disant qu'elle avait besoin d'aide, qu'elle était victime de violences, et qu'elle ne savait pas quoi faire, elle demandait des conseils à Maggie, voyant qu'elle était passée par là. C'est tellement important car les femmes victimes de violences sont très isolées. Elle m'a écrit pour me raconter cela, et me dire qu'elle se sentait tellement bien, qu'elle pouvait aider quelqu'un.
A-t-elle encore des contacts avec Shane ? Et vous ?
Non, il n'a pas le droit de la contacter.
Il est en colère contre moi. Il est sorti de prison maintenant, mais je vais vivre à Londres quelque temps, donc ça ira...
Propos recueillis par Claire Mayer