Star montante de Visa pour l'image cette année, Phil Moore n'est pourtant photoreporter que depuis un peu plus de deux ans. Au départ webdesigner à Paris, il cherche à s'investir davantage, et décide de s'orienter vers le photojournalisme après lecture assidue de l'autobiographie de Patrick Chauvel.
Il quitte tout pour le Kenya, et, pendant dix mois, voyage sans prendre l'avion. Moyen-Orient, Afrique, il est au sud-soudan lors du référendum de l'indépendance. Il a alors l'opportunité de travailler avec l'AFP en freelance. En janvier 2011, la carrière de photoreporter de Phil Moore est lancée.
Exposé pour la première fois à Visa pour l'image, et qui plus est pour sa 25e édition, le photographe propose « un cycle de violence – le M23 en RDC ». L'est de la République démocratique du Congo, ravagé par les conflits depuis presque 20 ans, a vu une nouvelle force rebelle émerger en avril 2012, le M23. A lui seul, ce conflit engageant cette nouvelle troupe rebelle a provoqué le déplacement d'un demi-million de personnes.
Rencontre avec le photojournaliste, qui, passionné et concerné, nous explique.
Vous rappelez-vous de votre première publication ?
Lorsque l'on travaille pour une agence, on ne sait pas toujours où sont publiées les images. Mais lorsque ma première image a été publié, cela faisait très peu de temps que je travaillais pour l'AFP. C'était une image du premier jour de vote pour le référendum de l'indépendance du sud soudan. L'on m'avait envoyé un scan de l'image, qui était dans Libération. Lorsque je vivais à Paris, je lisais régulièrement Libération, j'ai été très impressionné !
Que représente la photo pour vous ?
J'ai toujours eu un lien avec l'information. Lorsque j'étais webdesigner, je gérais l'information. Le côté journaliste dans « photojournaliste » est très important pour moi. Depuis des années, la photo a toujours été une passion. Lorsque j'étais à l'université, j'utilisais une chambre noire, je trouvais que la photographie était un moyen incroyable de présenter l'information, de présenter la réalité.
Maintenant, je trouve que la photo peut avoir un impact énorme lorsque l'on présente des actualités. De façon incontestable, c'est la réalité qui est présentée dans une image. Bien sûr, elle peut être déformée, mais une bonne photo, avec la bonne légende, ne trompe pas. La photographie permet également d'aller plus profondément dans une histoire, elle attire l'oeil du lecteur.
La photographie a un rôle puissant, d'intéresser les gens à ce qu'il se passe dans le monde.
Pourquoi avez-vous choisi ce sujet sur le M23 en RDC ?
Au début, c'était un peu par hasard. J'avais une commande pour le Wall Street Journal pour un sujet sur l'est du Congo. A ce moment-là, il y avait une défection d'un officier important dans l'armée, un ancien rebelle poursuivi par La Haye. Il a commencé cette rébellion, donc j'ai décidé de retourner au Congo et de suivre l'évolution du conflit. Je ne pensais pas que cela prendrait autant d'ampleur, qu'en 6 mois ils prendraient l'une des villes les plus importantes du pays.
C’était également un moyen de travailler souvent, car il y avait très peu de reporters sur place.
Cet endroit du Congo est également l'un des plus beaux endroits que j'ai pu voir, avec des collines, une nature magnifique. Mais en même temps, il y a ce côté très négatif de l'insécurité, de pauvreté, des problèmes dont font face les gens là-bas.
Des milliers de Congolais fuient la ville de Sake après de lourds affrontements entre l'armée et les rebelles du M23. Sake, 26km à l'ouest de Goma, 22 novembre 2012 © Phil Moore / Agence France-Presse
Combien de temps avez-vous passé sur place pour réaliser ces images ?
Cela a été un travail de trois fois un mois, pendant à peu près 6 mois, entre mai 2012 et début décembre 2012.
Comment avez-vous vu les choses évoluer, pensez-vous qu'il y ai une issue possible au conflit ?
Pendant toute la période de l'exposition à Visa, les rebelles sont passés d'une puissance assez petite à une puissance plus importante. Le moment où ils ont pris la ville de Goma a été important car la ville n'était pas tombée depuis une décennie. Depuis le mois de juillet, ils ont commencé à perdre un peu de territoires, car l'armée gouvernementale a commencé à les chasser. Cette semaine, ils ont commencé les négociations à Kampala.
De surcroît, L'Ouganda et le Rwanda ont été accusé d'être coupables de financer, soutenir les rebelles. Il y a quelques semaines, il y avait un risque que cela devienne un conflit international dans la région.Des armées se battraient à travers les frontières. En ce moment, les choses se seraient calmées, on va voir ce qu'il se passe au niveau de la réinsertion.
Le problème est aussi que les groupes armés essaient toujours de résister. Même si les M23 sont « battus », il y en a quand même qui font la loi dans la région, qui mènent l'insécurité, ce qui veut dire qu'il y a toujours 2 millions de déplacés dans la région. Ils manquent d'infrastructure, d'éducation, de soins, de centres de santé... Je ne vois pas de fin réelle à ce conflit, peut-être que les M23 seront vaincus, mais il y a tellement de groupes armés que je ne vois pas de changement immédiat.
Devant l'église, lors d'une célébration oeucuménique pour la paix. "Nous continuerons à prier jusqu'à ce que ce soit fini", a délaré un membre de la congrégation. Goma, 1er août 2012 © Phil Moore / Agence France-Presse
Ce reportage exposé à Visa, est-ce le début d'une longue série ?
J'ai toujours l'intention de travailler au Congo. J'y étais en juillet dernier, j'avais fait des images qui ne sont pas exposées à Visa car il était trop tard pour les inclure. Ce que j'aimerai faire, c'est, au lieu de miser sur les M23, d'aller plus loin en suivant les autres groupes armés, et voir plus profondément les conséquences pour la société de tous ces conflits, tous ces groupes armés. J'ai déjà commencé en enquêtant sur la santé mentale, et le fait qu'il y ai des maladies qui existent là-bas faciles à gérer s'ils ont les bons soins. En effet, à cause de l'insécurité, ils n'ont pas les soins nécessaires. Ils manquent également d'éducation, d'infrastructures, de routes. Le territoire est tellement fertile que les gens pourraient se nourrir et avoir suffisamment de produits pour vendre et gagner leur vie, mais à cause de l'insécurité ils ne peuvent pas.
Toutes ces conséquences du conflit m'intéresse, j'aimerai voir tout ceci de plus près.
Il y a également le fait que nous occidentaux sommes impliqués dans ces conflits, car l'argent est souvent en jeu, le coltan, les diamants, l'or …
C'est la première année que vous exposez à Visa pour l'image : comment tout ceci s'est organisé ?
Je suis venu à Visa pour la première fois il y a deux ans, j'ai participé au worshop « transmission pour l'image ». En mars, il y avait un appel à candidature, et j'avais soumis des images. J'étais encouragé par Jérôme Delay pour envoyer ces images. Je ne savais pas, mais l'AFP avait également soumis des images. A partir de là, j'ai reçu un email de Jean-François Leroy qui me disait que j'étais sélectionné. Je n'avais jamais imaginé que je serai exposé. Je pensais que si mon travail plaisait, ce serait pour une projection, je n'aurai jamais cru à une exposition.
Qu'avez-vous ressenti ?
Je ne suis pas vraiment habitué à voir mes images imprimées car en habitant à Nairobi, la plupart des informations que je lis, c'est sur un ordinateur, il est rare que je vois un journal papier. Voir les images en grand format, sous la lumière, c'est autre chose !
J'étais également content que les médias s'intéressent au sujet. Ainsi que rencontrer le public, car il ne faut pas oublier que tout ce que l'on fait c'est pour ce public qui lit les journaux. Nous sommes rarement en contact avec le public. C'était intéressant car ils posent un autre genre de questions que les médias ou les autres professionnels.
Pour vous, exposer à Visa pour l'image ouvre-t-il des perspectives ?
Ce que j'adore à Visa, c'est que c'est ma seule opportunité chaque année d'aller voir des expositions, de voir ce que les autres photographes font. Bien sûr, je regarde le reste de l'année ce que font les autres, mais c'est autre chose de voir les images exposées. Cela me motive également de faire d'autres choses, et d'avoir un autre regard sur le style de mes images.
Jean-François Leroy dit souvent que le métier de photoreporter est en péril. En tant que jeune photographe, qu'en pensez-vous ?
Cela faisait longtemps que je voulais être photographe, et je n'avais même pas pensé le faire vraiment, car tout le monde dit que l'industrie du photojournalisme est en train de mourir. Mais à la fois, le fait que cela fasse presque trois ans que je fasse ce métier, et que deux ans après j'expose à Visa pour l'image, c'est aussi un témoignage que le photojournalisme n'est pas mort. C'est difficile c'est sûr, j'ai dû travailler très dur pour y arriver, et me faire une place dans ce métier. Il y a tellement de photojournalistes dans le monde... Je vis au Kenya mais je travaille rarement là bas car il y a déjà beaucoup de photographes établis.
Dans ce métier, il ne s'agit pas juste d'arriver avec un appareil et de faire de belles images. Il faut faire un travail de fond et surtout comprendre ce qu'il se passe. Je pense que s'il l'on s'accroche alors on peut y arriver. Lorsque je n'ai pas de commandes, alors je travaille sur autre chose, je fais des recherches pour mes autres projets ect. Il y a toujours quelque chose à faire !
Propos recueillis par Claire Mayer