© Ken Hermann
Chaque année, des habitants du Bangladesh sont défigurés par des attaques à l'acide. Les victimes sont alors méconnaissables et marquées à vie. Le photographe Ken Hermann et le reporter Tai Klan se sont rendus au Bangladesh, où ils ont réalisé une série de photographies et un documentaire. Ce reportage frappant met l'accent sur la force de ces hommes et femmes mutilés.
Ken Hermann est un photographe danois basé à Copenhague. Il travaille pour la publicité, des agences ou des médias, et possède un diplôme en photographie publicitaire. Il a déjà été publié par de nombreux magazines et exposé partout dans le monde.
Le photographe a toujours eu une envie de découvertes, il va donc voyager dans des régions reculées de l'Inde et de l'Ethiopie, mais également à New York où il travaillera avec Brigitte Lacombe et Asger Carlsen. Que ce soit dans des grandes villes ou des lieux abandonnés, l'inspiration est partout pour Ken Hermann. Le photographe aime mélanger son travail commercial avec ses découvertes personnelles.
En 2012, le photographe réalise une mission pour Save The Children, et prend à cette occasion contact avec l'ONG ASF (Acid Survivor Foundation) basé à Dhaka, capitale du Bangladesh.
Après un an d'échanges où Ken Hermann expose toutes ses motivations à la Fondation, l'ASF lui permet de commencer le projet en association avec eux : « Je voulais réaliser quelques portraits forts des victimes et ainsi contribuer à offrir une visibilité à ces incidents trop peu connus. J'ai tout organisé moi-même, avec l'aide d'ASF. Ils ont contactés les victimes et leur ont expliqué mon projet. »
Depuis 1999, plus de 3100 personnes ont été défigurées par des attaques à l'acide au Bangladesh. Grâce au travail de sensibilisation effectué par l'ASF, seulement 71 cas ont été enregistrés l'année dernière, soit une réduction de près de 85% comparativement aux chiffres d'il y a 10 ans.
© Ken Hermann. Monira Begum
© Ken Hermann. Monirujjaman Masud
Ken Hermann et Tai Klan ont donc souhaité raconter, dans Survivors, les récits des individus et non pas des victimes. Ils ont réalisé une série de portraits et un documentaire où plusieurs personnes relatent leurs accidents. Ainsi Runa, Jahanara ou Shamol témoignent de leurs catastrophes mais surtout sur la force qu'ils mobilisent pour aller de l'avant, pour leur futur. Malheureusement au Bangladesh, les traitements médicaux et les interventions chirurgicales pour ces victimes sont beaucoup trop onéreuses. Ces « survivants » continuent donc à vivre en portant ces marques de cruauté sur leur corps.
Malgré un projet à priori éloigné de ses travaux habituels, Ken Hermann s'est servi de son expérience pour réaliser cette série de portraits : « Être un photographe publicitaire me donne l'avantage de savoir comment travailler avec la lumière de studio. De cette façon, j'ai beaucoup plus de contrôle sur les images que je réalise. Nous avons voulu créer un univers visuel en mettant l'accent sur la beauté de chaque visage, bien loin de l'idée de présenter uniquement ces personnes comme des monstres. Les portraits de ces victimes de l'acide créent souvent une forte réaction du public. Notre souhait était de révéler l'être humain derrière les cicatrices, en se concentrant sur la fragilité et la grâce des gens que nous avions en face de nous. »
© Ken Hermann. Umma Aysha Siddike Nila
© Ken Hermann. Shamol
Grâce à l'aide de l'ASF, la présentation du projet aux victimes et leur rencontre s'est déroulé sans craintes : « Tous les survivants ont été très touché par le projet, ASF a fait un excellent travail en leur expliquant avant que nous arrivions. C'était très important pour moi que toutes les personnes soient d'accord à 100% sinon il aurait été impossible de le faire. La plupart des victimes que j'ai rencontré vivent avec leurs cicatrices depuis plusieurs années et ont du accepter la façon dont on les regarde. ASF est là pour leur permettre d'avoir accès à la chirurgie plastique, à des traitements, etc. »
© Ken Hermann. Abdul Kader
© Ken Hermann. Mokammala Rita
La grande majorité des victimes sont des jeunes femmes de moins de 35 ans qui sont mutilées par des hommes qu'elles connaissent déjà. En règle générale, les attaques sont motivées par des soupçons d'infidélité, le rejet d'une offre de mariage ou des demandes de dot. De plus, une victime sur quatre est un enfant.
Pour le photographe, la rencontre la plus marquante fut celle de Popy : « Une des histoires qui m'a le plus marqué est celle de Popy Rani [ Le mari de Popy lui a fait avaler de l'acide afin que sa famille paye une dot suite à leur mariage.] La différence avec les autres victimes est que l'on peut à peine voir qu'elle a subit une attaque, ce sont des séquelles internes. Elle a seulement une petite cicatrice au menton. Son espoir aujourd'hui serait de réussir à aller dans un autre pays afin de recevoir une opération chirurgicale. »
© Ken Hermann. Popy Rani Das
Ce projet poignant a donc marqué le photographe : « Lorsque vous photographiez, vous êtes très concentré sur le travail et la partie technique. C'est après, lorsque les personnes témoignent de ce qui leur est arrivé, que cela devient très difficile, en particulier avec les enfants. »
La série est actuellement exposée à la galerie Kontraframe à Copenhague, jusqu'au 1er septembre. Ken Herman souhaiterait par la suite pouvoir la faire circuler dans de nouveaux lieux. La série est également visible sur le http://player.vimeo.com/video/67701648".
© Ken Hermann. Anita bala
© Ken Hermann. Hasen Ali
Propos recueillis par Kenza Chaouni et Chloë Rebmann