Au départ metteur en scène pour des courts-métrages ou le théâtre, Olivier Ciappa découvre réellement la photographie à l'âge de 30 ans avec son premier reflex. Il réalise alors toutes les possibilités qui s'offrent à lui : « Je suis allé dans le métro et j'ai pu enfin faire toutes les photos que je rêvais de faire depuis des années, c'est-à-dire voler des moments de vie, pouvoir raconter une histoire, ne pas pouvoir tricher. La question qu'il faut se poser n'est pas "quelle idée vais-je avoir ?", mais "qu'est-ce que j'ai besoin de faire ?" Je me suis rendu compte que j'avais un vrai besoin de raconter des histoires tout seul, sans personne, par le biais de mon moyen artistique. »
En juin dernier, il réalise la série de photographies "Les Couples Imaginaires" mettant en scène des personnalités françaises et internationales recréant des couples homosexuels. Grâce à ce projet, il s'engage pour la cause du mariage pour tous. Le 15 juillet dernier, le timbre qu'il a créé avec David Kawena est choisi par les lycéens de France.
Actuphoto l'a rencontré afin d'en savoir plus sur ses projets, ses envies et ses engagements.
Comment a débuté le projet de ce timbre ?
Je me sens vraiment concerné par les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Depuis petit, je rêvais de faire la Marianne que je voulais acheter. Ça fait déjà deux ans que j'ai intégré la poste pour y créer des timbres, et j'ai pu ainsi passer ce concours. Nous étions un peu plus d'une soixantaine à y participer.
Comment s'organise la création de ce timbre poste ?
Depuis 1894, chaque président choisit sa Marianne. Bien souvent, elles ont été réalisées par de grands artistes, comme Cocteau par exemple.
Pour François Hollande, cela a été un peu différent. Dès qu'il a été élu, il a annoncé qu'il ne souhaitait pas choisir lui-même mais permettre à tous les lycéens de seconde, en France, de le faire. Ils ont en effet pu voter pour la Marianne qu'ils préféraient dans le cadre d'une grande opération appelée « Mon premier vote pour la République ». Quand on achète cette Marianne, il n y a pas marqué le nom de François Hollande mais bien « Marianne et la Jeunesse ».
Comment la sélection finale fut-elle effectuée ?
Les lycéens votaient pour leur Marianne préférée, et parmi les trois finalistes, le président devait départager en cas d'égalité ou si l'une d'entre elles était quelque peu ridicule. Ma Marianne est arrivée première dans l'intégralité des lycées donc François Hollande n'avait pas besoin de faire de choix.
Les lycéens savaient-ils que Inna Shevchenko des Femen, faisait partie de vos insiprations ?
Certains m'ont contacté sur Facebook en début d'année pour savoir quelles étaient mes inspirations.
Je leur ai parlé d'Inna, mais j'ai toujours insisté sur le fait qu'à partir du moment où on ne la reconnaissait plus du tout, les inspirations de l'artiste lui appartiennent, au même titre que les musiques ou aux autres oeuvres qui l'inspirent en créant. Il ne faut pas confondre les bustes Marianne qui sont moulées à partir de vraies modèles comme Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Laetitia Casta ou encore Evelyne Thomas, avec les timbres de Marianne qui sont des personnages fictifs.
J'ai d'ailleurs supprimé tous les signes distinctifs qui faisaient trop ressembler ma Marianne à Inna Shevchenko. Les lycéens ne se sont donc basés que sur les valeurs républicaines représentées dans le timbre.
Comment Inna Shevchenko a-t-elle réagit ?
Elle était déjà au courant, nous en avions parlé ensemble. Cependant, par la suite, elle a eu des réactions qui lui sont propres. Or, ce ne sont pas du tout mes valeurs, et d'un coup l'on a associé ses valeurs aux miennes. Son engagement m'a inspiré par rapport à l'aspect « révolutionnaire aux seins nus » en lien avec le tableau de Delacroix. Je n'ai pas fait un timbre « femen », elle a seulement été l'une de mes inspirations.
Est-ce que certains médias ont été contre le choix de votre timbre et ont demandé à vous rencontrer pour comprendre vos motivations ?
Une journaliste de TV5 Monde aimait beaucoup mes photos, m'a interviewé et a rédigé au final un article peu élogieux sur ma Marianne. Mais il y avait un vrai point de vue, c'était argumenté, un vrai travail de journaliste. Nous ne sommes peut être pas d'accord mais je n'ai pas à juger cela. Un journaliste n'est pas neutre et même moi quand je fais des photos sur l'homosexualité je ne suis pas neutre étant donné que je suis un militant du mariage pour tous.
Aviez-vous envie de faire quelque chose d'engagé à travers le dessin de votre Marianne ?
J'essaye toujours de mettre du sens dans tout ce que je fais, quelque que soit la photo que je prends ou le dessin que je réalise. Lorsque l'on est un artiste, selon moi, ces notions doivent transparaître à travers ce que l'on réalise. Il y a plein de symboles dans ma Marianne : la diversité, la paix. La Femen fait partie d'un de ces symboles mais si je ne l'avais pas dit, personne ne l'aurait reconnu.
Depuis que votre Marianne a été officiellement annoncée, comment avez-vous reçu les réactions ?
Les extrémistes religieux se basent sur la peur. Quand je fais des photos de familles homoparentales épanouies et heureuses, je montre la réalité. Les extrémistes n'ont alors plus d'armes, plus rien. Quand ils voient que ça fait changer les mentalités, que ceci brasse de l'amour, ça les rend complètement fous et il ne leur reste que la menace. Ces menaces ne me font pas peur comparativement au mouvement positif engendré. Cela a permis d'apaiser les tensions, de rapprocher des gens de droite et de gauche, donc je n'ai envie de garder que cela en mémoire.
On a le choix quand on veut être un artiste. Soit l'on peut être lisse pour vouloir faire du beau, (ce qui ne m'intéresse pas), soit l'on peut être un artiste qui donne sa vision du beau et essaye à travers cela de combler un manque. J'ai eu beaucoup de retours positifs avec le projet « Les Couples Imaginaires ». Pour moi, ce n'était pas une idée, c'était juste un besoin qui s'est exacerbé pendant le mouvement du mariage pour tous ». Depuis que je suis ado, je souffre de ne pas voir d'images, que ce soit dans la presse ou le cinéma, de couples ou de familles homoparentales auxquelles un hétéro pourrait s'identifier.
Comment vivez-vous toutes ces polémiques autour de vous ?
Toute publicité n'est pas bonne. Je ne suis pas du tout d'accord avec l'idée que si l'on parle de quelque chose en bien ou en mal l'essentiel c'est qu'on en parle. En tant qu'artistes nous avons des choses à défendre. Je préfère être un artiste inconnu et défendre des valeurs. Je n'ai pas envie d'être dans la provocation gratuite parce que dans ce cas là l'on devient un "people", et non un artiste.
Réussissez-vous à vivre de vos projets ?
Les gens sont persuadés que je me fais énormément d'argent grâce aux images du mariage pour tous, mais la vérité est que j'ai cédé les droits de mes photos à trois associations : AIDES, Le Refuge et SOS Homophobie. Dès qu'il y a des ventes dans les magazines, les ventes aux enchères, les mairies, etc. l'argent leur revient. L'idée c'est de pouvoir me mettre à fond là dedans et ne pas penser à l'argent du tout.
Avez-vous pensé à des alternatives de financement pour faire grandir vos projets : crowdfunding, campagne publicitaire, etc. ?
Pour « Les Couples Imaginaires » nous avons utilisé le crowdfunding pour financer des tirages supplémentaires, le fait d'avoir plus d'argent permettait d'avoir des photos dans plus d'endroits. Tout le monde était bénévole : maquilleurs, coiffeurs, assistants, les artistes également.
Quand à la publicité, je n'ai pas spécialement envie d'être associé à une marque sauf si cela offre une visibilité intéressante. Je ne cherche pas à choquer ou créer le buzz, je suis dans l'optique de quelque chose qui va banaliser. Je vais montrer des couples et tout de suite on pourra s'identifier. J'ai davantage pensé à des associations humanitaires qui donneraient plus de poids. Le projet grandit au fur et à mesure, je ne sais pas où ça va aller donc je suivrais...
Quels sont vos projets futurs ?
J'aimerai partir dans les pays qui pénalisent l'homosexualité, c'est le cas de plus de 80 pays, dans certains même, la peine de mort est toujours en vigueur. L'idée serait de me rendre dans ces pays et de trouver comment réaliser des photos pour « Les Couples Imaginaires » avec des personnalités locales. Voir également comment essayer de changer en douceur à la fois la mentalité des populations et celle des gouvernements. En essayant d'exposer les images sur les grilles des ambassades « amies », etc.
Pour le reste, cela dépendra de ce que je souhaite raconter, de ce qui me tient à cœur. J'ai des scénarios qui sont prêts, un roman qui est presque terminé. Je n'ai pas de patron, pas d'obligation, je vais là où j'en ressens le besoin.
Propos recueillis par Actuphoto