David Delaporte n'a pas été immédiatement photographe. La passion de l'image l'a conquis au collège, lors d'ateliers alternatifs. Pourtant, c'est bien plus tard, après (des études de lettres, une objection de conscience et une expérience professionnelle) dans le monde de la préhistoire, qu'il retourne sur les bancs de l'école, pour étudier la photographie à Paris.
C'est à cette époque qu'il réalise son premier projet photographique important, en photographiant une communauté Rom. Depuis lors, il n'a de cesse de vouloir dénoncer les injustices sociales et de tenter de faire quelque chose pour faire évoluer les mentalités.
Aux cotés de Médecins du Monde, régulièrement depuis 2002, c'est cette fois au Mali et en Turquie qu'il s'est rendu, pour réaliser un webdocumentaire avec une réalisatrice, sur la vie des migrants.
Rencontre avec le photographe, qui tente de ne pas perdre espoir.
Pourquoi la photographie ?
J'ai beaucoup pratiqué la « photographie sociale », la photo est un média puissant qui me permet de témoigner et plus encore dénoncer ce qui, de mon point de vue, est inacceptable, injuste. Il y a d’autres photographies, d’autres raisons de l’aimer, de la pratiquer, que je partage aussi…
Comment avez-vous commencé à collaborer avec Médecins du Monde ?
Ma première collaboration avec Médecins du Monde date de 2002 alors que je travaillais auprès de la communauté Rom. J'en suis venu à travailler avec la communauté Rom car après mon école photo j'ai essayé de vivre de la photo, j'avais alors quelques contrats. Je devais photographier Vitry sur Seine, Choisy le Roi. En réalisant ces images en 1999, je suis passé devant un grand bidonville, je venais juste d'arriver à Paris de province, j'avais jamais vu cela d'aussi près. J'y suis donc allé avec mon appareil photo, j'ai commencé à discuter avec les gens, et de fil en aiguille je les ai photographié. Sur le terrain, j'ai rencontré des équipes de Médecins du Monde. La rencontre avec l'association s'est faite comme ça, et depuis j'ai couvert plusieurs missions. (La première en 2002 en Roumanie dans le cadre d’une mission d’enquête sur les conditions des retours forçés des Rom).
© David Delaporte
© David Delaporte
Quel est le sujet de ce webdocumentaire et comment s'est-il mis en place ?
Il s'agit d'un webdocumentaire intitulé Les « voyageurs », sur la vie de migrants en Turquie, en Algérie et au Mali. De mon côté, j'ai participé à l'appel d'offre lancé pour les photographes de Médecins du Monde, et j'ai été retenu. J'avais réalisé plusieurs sujets sur les migrants, et j'ai candidaté pour la partie photo. Ce sujet m'intéressait beaucoup, et était une suite logique de mon travail sur les migrants. J'avais travaillé, entre autres, dès 1999 en Mauritanie et dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc.
Pour ce webdocumentaire, je me suis rendu au Mali et en Turquie, je n'ai malheureusement pas pu obtenir de visa pour l'Algérie, c'est donc un photographe Algérien, Abderrahmane Moussi, qui a réalisé les images là-bas.
Nous sommes partis une semaine pour chacun des pays. C'était malheureusement très court, car les migrants ne sont pas forcement disposés à se faire photographier comme cela, sans le préalable des présentations, de discussions, d’explications sur notre démarche, il y a une prise de contact qui est plus ou moins longue.
Au Mali, Médecins du Monde avait préparé le terrain avec les associations locales partenaires. Comme souvent, les premiers jours on ne peut quasiment pas faire de photos.
Nous avons commencé à entrer en contact avec les migrants des deux structures partenaires de Médecins du Monde, l'AME (l'association des maliens expulsés), et l'ARACEM (l'association des Refoulés d'Afrique Centrale au Mali), une association mise en place par des camerounais pour venir en aide aux gens qui sont restés bloqué au Mali.
Nous avons eu des difficultés à aller à la rencontre des migrants en dehors de ces structures. Le premier jour où nous sommes allés dans le squat des halles, les gens se sont mis en colère, nous avions nos appareils photos visibles, et l'on s'est fait sortir assez rapidement. Cela nous a demandé plus de temps mais nous avons finalement réussi à nous faire accepter, à convaincre les migrants de la bienveillance et de l’utilité de notre travail.
En Turquie, cela a été plus facile. Les migrants étaient aussi forcément sur la réserve, mais globalement, ça s'est plutôt bien passé grâce au relais de l’association partenaire sur place.
Quel est l'impact que vous avez cherché à montrer à travers vos images ?
L'idée est de témoigner de leur détresse, de leurs espoirs, de retracer leurs parcours et évoquer ce qui les amène à migrer. Depuis 1999, je recueille beaucoup de témoignages, il y a toujours les mêmes problématiques, les mêmes causes qui les mènent à migrer. J'ai fait beaucoup de photographies posées, de portraits, je ne voulais pas faire des images de reportage qui ressemblent à des photos volées. Il était important de montrer également que nous avons été accueillis très généreusement.
Je suis très étonné que les gens ne soient pas plus concernés par la question des migrants. Ici à Paris, je vois beaucoup de migrants en souffrance, et malgré tout toujours autant d'indifférence, c’est un réel problème. Il y a, je pense, toute une partie de l'histoire que les gens ignorent, celle que l’on enseigne pas dans les livres scolaire, et c'est bien dommage. Je crois aux bienfaits de l’immigration !
© David Delaporte
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Quelles ont été les difficultés majeures auxquelles vous avez du faire face ?
Il n'y a pas eu véritablement de difficultés majeures, car il y a eu des relais partout des partenaires de Médecins du Monde. La difficulté a été la limite de temps que nous avons eu, très peu de temps pour s'exprimer.
Comment est diffusé le webdocumentaire ?
Il est diffusé sur le site de Libération, et de TV5 monde, et je l'espère dans d'autres médias, le votre…
© David Delaporte
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Quels en ont été ses faiblesses ?
Peut être le manque d’une « direction artistique », d’une bonne « coordination générale » ; sans doute par manque de temps… , et l'agencement entre photos et vidéos qui n'a pas été, à mon sens, optimisé comme il aurait pu l'être. Je pense que nous aurions pu faire beaucoup mieux, et sans beaucoup plus de moyens.
J'ai également été très déçu par le fait que mes images aient été recadrées à mon insu au format 16/9e, beaucoup de photographies en souffrent, perdent de leur force. Ce ne sont plus tout à fait les miennes… J’ai protesté, mais je n’ai pas eu le choix. C'est dommage cette consommation facile de l'image, comme s'il s'agissait d'un bien courant. Ce n'est pas normal et il faut en être vigilant.
© David Delaporte
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Propos recueillis par Claire Mayer