Davide Monteleone
Davide Monteleone photographie depuis 2000. Pendant 10 ans, il était correspondant à Moscou pour l'agence Contrasto.
Son lien si privilégié avec la Russie s'est alors tissé au fil des années, et aujourd'hui, il travaille essentiellement dans le plus vaste Etat de la planète. Membre de l'agence VII depuis 2011, il est cette année l'heureux lauréat du Prix Carmignac Gestion pour le photojournalisme, qui récompense chaque année le travail de fond d'un photojournaliste. La thème de la 4e édition, la Tchétchénie et ses habitants, après plus de deux décennies de conflit, collait parfaitement à Davide Monteleone, qui connaît la région sur le bout des doigts.
Entretien avec le photographe, comblé et passionné.
Les forces de sécurité présentes lors de la célébration du 10e anniversaire du « Jour de la Constitution ». En arrière-plan, la ville de Grozny, cinq tours étincelantes, le coeur de la reconstruction de Grozny et le symbole d'une ville rétablie après la destruction causée au début du millénaire. Grozny, 23 mars 2013. © Davide Monteleone, agence VIIphoto, pour le prix Carmignac Gestion du photojournalisme
Pourquoi la photographie ?
C'est un instrument fantastique pour voir le monde, une passion et aussi une méthode d'expression captivante.
Pourquoi avoir choisi de participer au Prix Carmignac Gestion ?
C'est la première fois que je participais au Prix. Cette année, le thème était la Tchétchénie et ses habitants, après plus de deux décennies de conflits. Il collait donc parfaitement avec mon travail, car je travaille en Russie depuis longtemps, je connaît bien la pays, et j'avais déjà réalisé un reportage dans le Caucase et sur la région.
C'est un prix très prestigieux, qui permet de réaliser un travail, et ouvre plusieurs possibilités, réaliser un livre et une exposition. Que demander de plus !
Une jeune fille priant dans l’unique médersa de filles officielle de Tchétchénie et de Russie. C’est une des plus vieilles médersas, ici les jeunes filles et les femmes peuvent étudier la religion musulmane. Cela fait 13 ans qu’elle est opérationnelle, car par le passé, avant l’approbation totale de Ramzan Kadyrov, l’école fut réduite en cendres par les autorités fédérales de Russie. Grâce à Aimani Kadyrova, Présidente de la fondation publique régionale portant le nom de Akhmat-Khadji Kadyrov, la médersa possède désormais son propre bâtiment avec tout l’équipement nécessaire à la formation. Un habitant du village déclare : « Je me souviens de l’époque où le Président Djokhar Dudaïev clamait que nos filles n’avaient pas besoin d’écoles mais de médersas et que cette déclaration avait causé une vague d’indignation au sein de la République. Djokhar Dudaïev était critiqué partout et par tout le monde. Les gens disaient qu’il ne cherchait pas à ce que nos enfants reçoivent une bonne éducation, que les droits des femmes avaient été violés et j’en passe. Aujourd’hui, allez savoir pourquoi, personne ne proteste contre les médersas de femmes, contre le port obligatoire du voile pour les jeunes femmes, ou contre l’introduction de certains éléments de la Charia. Au contraire, toute la population remercie le gouvernement et plus particulièrement Ramzan Kadyrov pour cela. Le regard que l’on porte sur la vie a considérablement changé ces vingt dernières années dans notre République ». Chiri-Yurt. © Davide Monteleone, agence VII photo, pour le Prix Carmignac du photojournalisme.
Pouvez-vous nous expliquer la série que vous avez soumis pour l'édition 2013 ?
Le challenge était de montrer différents travaux en Tchétchénie, d'avoir plusieurs points de vue. J'ai décidé de faire les images de différentes façons, afin de montrer ces différents points de vue. Le concept était de montrer l'autorité en Tchétchénie, la mise en péril de l'identité tchétchène derrière l'apparence de calme et de prospérité savamment entretenue par le régime autocratique de Ramza Kadyrov. J'ai voulu utiliser une autre façon de faire du photoreportage, différente de la manière classique. Jouer avec la censure, afin d'éveiller les consciences.
Qu'avez-vous cherché à montrer ?
La situation en Tchétchénie stagne un peu, il n'y a plus de violence physique ou de destruction matérielle, mais un très haut niveau de violence psychologique. La situation politique est très compliquée, et la classe politique est compromise. Il y a une très grande corruption du régime politique.
Les forces spéciales du « Bataillon Sever » (le bataillon du nord) s’entrainent pour les opérations de sécurité. La « Kadyrovtsy » : des milliers d’hommes armés dévoués au clan Kadyrov dont beaucoup d’anciens rebelles de la première et la seconde guerre militaire tchétchène, a été créée à l’origine comme garde personnelle de Akhmad Kadyrov, malgré le fait qu’à l’époque il n’avait aucun statut juridique officiel. Après qu’Akhmad Kadyrov a été tué, le service de sécurité fut démantelé et la plupart des hommes intégrèrent les équipes du Ministère de l’Intérieur tchétchène. Deux unités ont été créées : le « Akhmad Kadyrov » le second régiment de patrouille routière de la police et le « Régiment du Pétrole », plus tard appelées « Bataillon Nord » et « Bataillon Sud ». Depuis 2008, Ramzan Kadyrov contrôle toutes les forces tchétchènes et a placé d’anciens commandants de sa milice aux postes les plus importants de l’Etat. Les deux unités de sécurité sont impliquées dans de prétendues « opérations anti-terroristes », mais selon certaines organisations, elles ont souvent violé les droits de l’homme. Grozny. © Davide Monteleone, agence VII photo, pour le Prix Carmignac du photojournalisme.
Que représente ce prix pour vous ?
C'est un prix très important, et prestigieux. Il permet de toucher un public large, et d'avoir une audience importante. Je suis vraiment heureux de pouvoir faire ce livre, car c'est l'un des meilleurs moyens pour moi de montrer des images. De surcroît, l'exposition, dans un lieu aussi beau, est une chance inouïe.
Ce prix consent d'être libre dans l'expression de son sujet. Il permet de montrer plusieurs formes de reportages, qu'il soit traditionnel ou qu'il s'en éloigne. Plusieurs interprétation d'un sujet sont possibles, c'est vraiment intéressant. Les sujets sont toujours très différents, et rendent possible de montrer plusieurs façons de faire du photoreportage. Il ne s'agit pas uniquement de collecter des images, de les reproduire et les diffuser, mais de parler de pays, de peuples oubliés, en profondeur.
Célébration chrétienne orthodoxe de « kupanie v prorubi » (c’est un bain que l’on prend dans un trou creusé dans la glace) pendant l’Épiphanie. Il reste peu de chose de la religion orthodoxe en Tchétchénie. La plupart des minorités russes chrétiennes ont fui au début des années 1990 pendant la création de l’État Indépendant tchétchène par Djokhar Doudaïev. La majorité de la communauté orthodoxe vit dans le district de Naur, et fait partie des Cosaques. Avec la « normalisation » progressive de la Tchétchénie, les Russes ont quitté la République. La langue tchétchène, autrefois interdite, est désormais régulièrement parlée. La « tchétchènisation » menée par Kadyrov a conduit la communauté orthodoxe à migrer vers les républiques voisines et cette petite communauté est maintenant principalement employée dans la police ou l’armée. Depuis quelques temps, Kadyrov essaie d’intégrer les jeunes Russes dans les programmes pour la jeunesse : il leur donne de l’argent s’ils apprennent la langue tchéchène et se convertissent à l’islam et les envoie en Turquie pendant les vacances dans un club portant le nom de son père, le Club Kadyrov. Naur.
© Davide Monteleone, agence VII photo, pour le Prix Carmignac du photojournalisme.
Quelle est la suite ?
Le livre et l'exposition, en novembre prochain.
Je vais continuer, pour ma part, mon travail en Russie. C'est un pays passionnant, colossal, où il y a énormément de choses à dire, à raconter …
Entraînement de lutte dans le gymnase. Les portraits en arrière-plan de gauche à droite représentent : Akhmad Kadyrov, Vladimir Poutine et Ramzan Kadyrov. Akhmad Kadyrov a été le Grand Mufti de la République Tchétchène d’Itchkérie dans les années 1990 pendant et après la première guerre de Tchétchenie. Lorsque la seconde guerre éclata, il changea de camp, offrant ses services au gouvernement russe, et fut nommé Président de la République de Tchétchénie le 5 octobre 2003 par le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. Le 9 mai 2004, à Grozny, la capitale, durant le Jour de la Victoire Soviétique, une explosion a lieu dans la section VIP du stade de football de Dinamo, lors d’une parade de mi-matinée, tuant Akhmad Kadyrov. Son fils, Ramzan, qui dirigeait sa milice, fut plus tard nommé Premier Ministre de Tchétchénie puis Président de Tchétchénie en mars 2007. Grozny.© Davide Monteleone, agence VII photo, pour le Prix Carmignac du photojournalisme.
Propos recueillis par Claire Mayer