© Cyril Crépin
Jusqu'au 13 juillet prochain, Cyril Crépin présente son exposition « In vU » à la Maison de la Culture d'Amiens. Un thème original où la beauté et l'insoutenable se côtoient afin d'amener à une réelle réflexion pour le spectateur : jusqu'à quel point la différence peut-elle déranger ?
Rencontre avec ce photographe qui, après des études essentiellement artistiques, s'est retrouvé à réaliser des films documentaires chirurgicaux. Puis de photos en portraits, Cyril Crépin a développé un réel attrait artistique pour ces patients jusqu'à aboutir au projet de « In vU ».
Quel est votre parcours ?
J'ai un parcours essentiellement artistique. J'ai suivi des études d'histoire de l'art et me destinais à la réalisation cinématographique. J'ai intégré une université dans le but d'être chef opérateur, les rencontres ont fait qu'un jour l'on me propose de réaliser et présenter une émission télévisée ayant pour thème le cinéma, ce que j'ai fait pendant une année. Mais ne voulant pas délaisser ma passion pour la lumière et le cadre, j'ai fait quelques shooting entre temps et suis parti vivre aux USA pour développer mon style. De retour, deux ans plus tard, on m'a proposé assez rapidement de réaliser des films documentaires chirurgicaux... Et ensuite des photos, des portraits de patients gravement accidentés. J'ai eu carte blanche pour donner ma propre interprétation de la défiguration, de rendre beau l'insoutenable. L'essai a été concluant.
Comment en êtes-vous arrivé à la photographie ?
J'ai toujours été fasciné par la différence de teintes, de lumières, de grains dans certains films. J'ai donc approfondi le sujet, et me suis vite rendu compte que le directeur photo donnait le cachet du film, n'ayant pas les moyens de réaliser un film en 35 mm et me refusant de toucher au numérique (à l'époque, nous étions encore très loin des résultats actuels !) J'ai donc investi dans un boitier, ce qui était une manière de faire du cinéma en image arrêtée, des photogrammes en quelques sorte. J'ai commencé à photographier, j'aimais surtout les auteurs qui "racontent des histoires", Ingmar Bergman, Sally Mann, Newton et des peintres comme Grunewald, Cranach, Caravaggio, Berlinde de Bruyckere avec qui j'aimerai beaucoup travailler aussi... La photo, la narration photographique est donc devenue une évidence, une obsession.
© Cyril Crépin
En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer votre série.
L'idée de cette série est d'offrir au public une réflexion sur le beau, sur les critères de beauté à travers le temps : pourquoi aujourd'hui trouvons-nous horrible une personne avec une fente au visage et joli une autre liftée ? À une certaine époque, la mode était aux femmes enrobées aujourd'hui à la minceur extrême, ce point de vu sur la beauté physique humaine dépend de l'histoire, c'est une question culturelle aussi, loin de vouloir donner une leçon d'acceptation, juste une réflexion sur la monstruosité. Être confronté à ces portraits de défigurés n'est pas chose évidente, j'en suis conscient, car même pour moi ça a été compliqué au début, ça ne l'est plus maintenant. J'ai voulu insister sur le regard de ces modèles et capturer le moment qui, pour moi, reflétait une profonde humanité, une beauté inconsciente de l'image quelle véhiculait. C'est pour cette raison que j'ai choisi le grand format, dans la salle le visiteur ne peut pas fuir le regard des modèles, dans la rue s'il croise quelqu'un de défiguré il peut tourner la tête et changer de trottoir. Ici ça lui est impossible, c'est le visiteur qui est regardé, on inverse les rôles, la charge émotionnelle devient alors très forte.
Comment avez-vous choisi vos modèles pour “In vU” ? et comment s’est déroulée la rencontre avec ces modèles ?
Le Pr. Bernard Devauchelle me proposait les cas les plus intéressants, les plus sévères, j'avais accès à leur histoire personnelle et me rendais dans une salle d'examen à l'hôpital où j'y installais mon studio. Je patientais jusqu'à l'arrivée du modèle, accompagné d'une infirmière, cette dernière nous laissais et je commençais à les mettre à l'aise, car vous imaginez bien le désarroi de ces personnes en souffrance. Très vite, ils se prêtaient au "jeu", et j'obtenais les expressions que je désirais.
© Cyril Crépin
Avez-vous eu peur que votre démarche soit incomprise, voir totalement prise à l’opposé de vos motivations premières ?
Oui, bien entendu. Elle reste encore incomprise par bon nombre de personnes, me taxant d'exhiber des monstres, comme Barnum en son temps, de l'indécence de mes photos... Certaines personnes voulaient également interdire l'exposition aux moins de 18 ans, je leur ai alors proposé d'accrocher cette même pancarte à toutes les personnes malades, accidentées, défigurées que nous croisons dans la rue. Pour régler le problème, l'un des modèles est venu au vernissage de l'exposition, curieusement il n'a reçu aucune de ces remarques désobligeante. L'indécence pour moi est de nier l'existence de ces êtres, de les cacher comme des monstres de foire, d'allumer son poste de télé et de diner devant des images d'enfants qui se font tuer en Syrie. Il est temps d'ouvrir les yeux et d'accepter la différence, car n'oublions jamais que ces gens sont des victimes, on ne choisit pas de vivre sans visage.
Quels ont été les réactions et les retours du public en général ?
Les réactions du public ont été très fortes, il traverse un large spectre d'émotions. C'est tout d'abord la stupeur, l'on pense parfois que les images sont manipulées tant elles sont incroyables, mais elles ne le sont pas. Vient alors l'incompréhension, car le cerveau a du mal à comprendre, à mettre en ordre ce qu'il voit, l'inconfort d'être scruté et ensuite les questions "qu'est ce qu'il lui arrivé à celui là ?" Passées toutes ces étapes, c'est la beauté des photos qui prend le dessus, l'on parle d'envoutement. Les regards ont un côté fantomatique, c'est ce qui rend ces images troublantes.
© Cyril Crépin
Dans votre démarche de “In vU”, vous parlez de « rendre beau l’insoutenable ». Pensez-vous que tout peut être exposé ?
C'est une question à laquelle j'ai beaucoup réfléchi, je pense qu'en art tout est permis à condition toutefois qu'un discours cohérent accompagne l'oeuvre, choquer pour provoquer gratuitement n'a strictement aucun intérêt. Beaucoup "d'artistes" en sont de grands adeptes, c'est une démarche ridicule. "L'art" demande du travail, de la recherche et de la réflexion, c'est le prolongement palpable, physique, d'un fort sentiment intérieur. L'oeuvre n'est pas obligatoirement le fruit d'un processus mystique, mais elle doit faire à mon sens corps avec l'artiste.
© Cyril Crépin
Selon vous, est-ce que tout ce qui est insoutenable peut devenir beau ? Auriez-vous des choses qui vous dérangerait ? Des limites ?
Selon moi, pour trouver quelque chose d'insoutenable beau, il doit véhiculer une histoire. Derrière chacun de mes portraits, il y a une histoire, une vie, que je m'approprie et que j'interprète. Respecter son sujet, pour paraphraser Matisse lorsque les critiques ne comprenaient pas certains de ses portraits, comme lui je dirais "Je ne créé pas un visage, je fais une photo".
Beaucoup de choses me dérangeraient en tant que photographe, oui, pas en tant que spectateur. Je ne souhaitais pas prendre en photo les enfants malades, je l'ai pourtant fait. Je le répète, si le discours me semble cohérent, même si il est subversif, rien ne me dérange, à part peut être les photos de Larry Clark.
© Cyril Crépin
Quels sont vos projets futurs ?
Dans l'immédiat, faire en sorte que "In vU" tourne en France et à l'étranger. En ce qui concerne la création, j'ai deux projets qui traiteront de la folie humaine et du besoin de se sentir vivant.
© Cyril Crépin
Propos recueillis par Kenza Chaouni et Chloë Rebmann