« On peut souvent associer le nom d'un photographe avec un travail caractéristique de sa carrière. Josef Koudelka et les gitans, Mary-Ellen Mark et les prostituées indiennes, Stanley Greene et la Tchétchénie, Eugene Richard et les soldats de retour d'Irak, Paul Fusco et les enfants de Tchernobyl... », confie Jean-François Leroy, qui signe la préface de L'Autre Guerre. Et de préciser qu'il sera désormais presque impossible d'évoquer le Guatemala sans penser à Miquel Dewever-Plana.
Photographe depuis plus de vingt ans, représenté par l'Agence Vu', Miquel Dewever-Plana a passé des années au Guatemala, à photographier la violence, les gangs et la pauvreté. De ce travail photographique, il publie un livre intitulé L'Autre Guerre qui accompagne également la sortie d'un web-documentaire Alma, une enfant de la violence réalisé avec l'écrivain Isabelle Fougères, notamment récompensé par un World Press Photo. D'origine catalane, Miquel Dewever-Plana a entrepris de nombreux voyages à Guatemala City. Il a notamment passé 5 mois dans une prison, au sein des « maras », ces gangs guatémaltèques qui sèment la terreur dans le pays. Un travail de fond, un travail dans la durée qui permet aujourd’hui de rendre compte de ce que la violence fait à la société guatémaltèque. La proximité avec les gangs, la police ou les victimes traduit d'une relation de confiance incroyable entre le photographe et ceux qu'il prend en photo.
© Miquel Dewever-Plana
Les témoignages sont poignants. Il y a d'abord ceux du photographe lui-même qui, écrits blanc sur noir. Le photographe raconte comment Marleny l'a appelé au milieu de la nuit pour lui dire qu'« ils » avaient tué Laura, 14 ans. Ou comment lors d'une permanence au ministère public il voit les assassinats s'enchainer. Ou encore sa rencontre avec Alejandro qui lui raconte ses blessures d'enfance. Miquel Dewever-Plana n'hésite pas à mentionner ses émotions et ses ressentis, comment ces histoires et ces actes le touchent, tout comme ils touchent le lecteur. Mais il y a aussi les témoignages des autres. De ceux qui sont quotidiennement confrontés à cette violence. Psychologues, assistants du procureur, assistantes sociales, anciens membres des gangs, pères, mères, maris ou femmes. Tous parlent au dépend de leur vie et racontent l'irracontable. Il est d'ailleurs précisé au début du livre que leurs noms ont été changés et qu'aucun témoignage ne correspond directement aux photos qui les suivent ou les précèdent. Ces récits rythment le livre. Ils sont dramatiques et bouleversants.
Miquel Dewever-Plana plonge le lecteur de L'autre guerre dans l'ambiance de Guatemala City avec trois photographies prises dans un brouillard qui s'éclairci peu à peu pour laisser place à son immersion. Les photos qui suivent donnent le ton. Le lecteur fait face à la mort, celle d'une femme, puis d'une enfant, et de son enterrement. La puissance de l'image prend tout son sens dans ce livre. La morgue est suivie de la veillée funèbre, puis du cimetière. Le cercueil de la petite guatémaltèque victime des gangs surplombe la ville. Une entrée en la matière déroutante qui introduit pourtant le lecteur dans l'ambiance générale du livre.
© Miquel Dewever-Plana
Miquel Dewever-Plana ne se limite pas à une seule et unique vision de l'histoire. Il réussit à couvrir le conflit presque sous tous les angles possibles. Il suit la police sur les lieux de crime, a accès aux zones sous-scellé, participe à de nombreuses gardes à l’hôpital ou aux permanences du ministère public chargé de s'occuper de ces affaires. Enfin Miquel Dewever-Plana partage son immersion au sein même des maras, dans les prisons comme dans leurs maisons. Il voit tout et photographie tout. Il est littéralement au plus près de la mort. Narrateur omniscient, il parvient cependant à garder une certaine retenue. Ses photographies sont d'une beauté et d'une fragilité surprenante.
Car l'esthétique des images contrastent avec la brutalité des sujets. Miquel Dewever-Plana fait preuve de beaucoup de pudeur dans la manière de nous raconter la violence guatémaltèque. Il trouve le moyen de nous montrer la réalité sans pour autant que ses clichés ne soient de vulgaires photos de cadavres, et c'est là tout l'art du photographe. Lorsqu'il se rend sur la scène de crime d'un chauffeur de bus, Miquel Dewever-Plana n'hésite pas à monter à bord et c'est dans le rétroviseur que le lecteur aperçoit le corps inerte et ensanglanté du chauffeur.
© Miquel Dewever-Plana
© Miquel Dewever-Plana
Les clichés sont parfois difficiles. Au fil des pages, tous les fléaux de la société guatémaltèque sont abordés : violence, prostitution, corruption, viol, drogue... Autant de crimes et de délits perpétrés non seulement par les membres des gangs mais également par la police elle-même. Tous semblent liés à jamais et ce sentiment est quelque peu renforcé par le fatalisme des témoignages. Seuls deux d'entre eux viennent souffler un vent d'espoir à la fin de l'ouvrage. Le récit d'un jeune homme devenu champion de boxe, un sport qui l'a sauvé des maras, et celui d'un clown dont le métier est d'apporter un peu de bonheur aux enfants de ces bidonvilles. Une enfance plus joyeuse le temps d'un instant.
Le photographe tente, à travers cet ouvrage, de comprendre ces hommes et ses femmes enrôlés dans les maras. « Les comprendre ne veut dire ni les justifier, ni les exonérer de leurs crimes, » explique-t-il dans son livre. Il offre une réflexion sur le destin de chacun. Comment une société peut-elle en arriver là ? Serait-ce possible en France ? Dans d'autres pays ? Et lorsque le lecteur referme le livre, il ressent presque comme un sentiment d’empathie.
© Miquel Dewever-Plana
Photographies et vignette © Miquel Dewever-Plana
L'autre guerre / Editions le bec en l'air
Miquel Dewever-Plana
15x20 cm / 304 pages
36,00 euros
Clémentine Mazoyer