© The Cambodian Room, Situations with Antoine d'Agata
L’interprétation, la compréhension est toujours difficile lorsqu'il s'agit d'Antoine d'Agata. Des images pleine tant de naïveté que de dureté, et l'expérimentation, aller loin, toujours plus loin, jusqu'à la chute ?
Ainsi, l'on pourrait croire que le documentaire réalisé par Tommaso Lusena de Sarmiento et Giuseppe Schillaci pourrait éclairer un public en quête de réponses quant au propos d'Antoine d'Agata. Son titre même, The Cambodian Room, situations with Antoine d'Agata , le laisserait présager. Dès les premières minutes, le ton est donné : des images de nuit, Antoine d'Agata dans un taxi, avec ses mots « la condition première, c'est l'inconscience. »
Puis le documentaire s'ouvre sur une première partie, qui rassure un tant soit peu quant à sa dimension hiérarchique : « Situation I. Mon enfer à moi, c'est moi. Ma seule issue, mon seul espoir c'est l'autre ». La caméra suit Antoine d'Agata dans l'espace clôt de la chambre cambodgienne qu'il partage avec Lee, la prostituée avec laquelle il fume de l'ice et vit une histoire qu'il serait difficile de définir. Mais c'est cela le travail de d'Agata, l'indéfinissable, il est celui qu'il est impossible et vain de vouloir mettre dans une quelconque case.
© The Cambodian Room, Situations with Antoine d'Agata
Le deuxième chapitre, « Situation II » est précédé de cette citation de l'artiste, « J'ai besoin toujours de découvrir des méthodes qui me permettent d'aller plus loin ». Plus loin, il est vrai, un peu trop pour un public qui ne serait pas averti, et même s'il l'était, la lecture de l'univers de d'Agata semble être plus difficile à appréhender sous la forme d'un documentaire. La violence, la noirceur qui régnaient dans les images figées éclaboussent sous la forme d'une vidéo. Il n'y a plus de limite à la pudeur que pouvait offrir la photographie, et le public est le spectateur impuissant d'une vie faite d'expérimentations. Finalement, le public de l'image ne peut être le même que celui du documentaire, l'image est figée, ancrée dans le temps, tandis que la vidéo montre un réel qui mériterait d'être suggéré.
Enfin, un troisième et dernier chapitre, « Situation III. Le bout du bout, c'est ici ». Les images filmées ne suffisent plus, les mots manquent. Des scènes seulement, de cette vie confinée dans cette chambre, hors du réel, où la vie semble s'arrêter pour la laisser prendre le dessus sur le reste. La présence d'un journaliste, comme une voix extérieure, ne donne pas les clés, ou ne serait-ce que des poignées d'indices, pour comprendre. Finalement, les photographies parleraient-elles plus d'elles-mêmes ?
© The Cambodian Room, Situations with Antoine d'Agata
Un carnet inclut dans le DVD permettrait d'y voir plus clair. Les mots de Christian Caujolle tout d'abord, qui, comme à son habitude, explicite avec lyrisme une idée photographique. Ainsi, il l'écrit très justement « On trouve là une partie de la recherche d'Antoine d'Agata, celle de l'extrême, celle de la limite à dépasser sans cesse, celle qui lui permet de réaliser les images qu'il impose sans qu'elles soient jamais un étalage pour voyeuriste en manque mais qui ne cherchent jamais à dissimuler. Se dire la vérité à soi-même. Se dire sans s'étaler. Tenter peut-être de conserver des traces de ce dont on ne se souviendrait pas autrement. » Car en effet, c'est cela le travail de d'Agata, aller chercher toujours plus loin, mais surtout sortir d'un idée pré-conçue de l'existence. Il le confiait à Actuphoto, lors d'une interview à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage « Ice » : « La seule chose dont j'essaie de me libérer, c'est de la peur que l'on a tous de cette impuissance à comprendre, à gérer notre destin d'homme. Vivre de façon la plus intense possible, c'est une façon de se libérer de ce poids. Le reste, je ne le vois pas comme une catharsis, mais comme une façon de garder la force de continuer à confronter les choses qui me font peur. (…) Je pense que la seule issue que l'on a en tant qu'humain, c'est d'aller au-delà de nos forces, de lâcher prise, de prendre des risques. C'est plus une volonté de plus voir, de mieux voir, de plus vivre, de mieux vivre, de plus sentir, de mieux sentir. »
L'univers d'Antoine d'Agata est à appréhender avec ses mots, ses photographies, plus qu'au travers d'un documentaire qui, plutôt que d'aiguiller le public, pourrait troubler sa sainte sensibilité.
L'effort de The Cambodian Room. Situations with Antoine d'Agata réside dans le choix d'une linéarité vérifiée, et d'une exploration d'un monde différent. Pour le reste, finalement, la lecture photographique peut amplement suffire.
« Ce que l'on voit n'est pas ce que l'on voit mais ce que nous sommes » Fernando Pessoa (cité par Giuseppe Schillaci dans les notes du DVD).
© The Cambodian Room, Situations with Antoine d'Agata
The Cambodian Room. Situations with Antoine d'Agata by Tommaso Lusena de Samiento et Giuseppe Schillaci documentaire
Editions Contrasto
Durée 55 min
Claire Mayer