© Louise Leclerc
Le Jeu de Paume présente la première grande rétrospective européenne consacrée à Lorna Simpson. Originaire de New York, où elle vit et travaille, cette photographe américaine a près de trente ans de carrière derrière elle. Lorna Simpson utilise son appareil photo pour interroger la mémoire, le passé. L'exposition du Jeu de Paume rassemble à la fois des dessins, des photographies en noir et blanc mais également des installations vidéos, dont Chess imaginée spécialement pour l'événement. A cela s'ajoutent des textes presque poétiques, rédigés par la photographe pour accompagner ses images. Une jeune femme de dos. Une image qui se répète mais dont les mots varient. Différentes coupes de cheveux pour la série Wigs II. Autant de photographies qui soulèvent la question de l'identité. A cela s'ajoutent de vieux clichés d'une jeune inconnue ou des photomatons achetés sur eBay. Rencontre avec l'artiste.
© Lorna Simpson
Comment en êtes-vous venu à la photographie?
J'ai commencé quand j'avais 9 ans. J'avais la grippe. A l'époque, au fond des boites de mouchoirs il y avait des coupons. Et si vous envoyiez ces coupons vous aviez un appareil photo. C'est ce que j'ai fait. J'ai donc commencé à prendre des photos de mon chien, dans le jardin... J'ai ensuite étudié les arts plastiques, notamment la peinture. Mais je me suis vite rendue compte que je passais le plus clair de mon temps dans les chambres noires. J'y restais parfois jusqu'à tard la nuit, et on me mettait dehors. Alors que je m'ennuyais assise sur une chaise en peinture, je prenais beaucoup de plaisir à développer des photos et à apprendre. C'était pour moi fascinant.
Avec cette rétrospective, l'on se rend compte que vous utilisez non seulement la photographie mais aussi la vidéo, les dessins, les textes, que préférez-vous?
Je dirais qu'il s'agit d'un processus. C'est vrai que j'ai commencé avec la photographie parce que cela m'intéressait énormément. Mais au bout d'un moment, j'ai voulu me lancer de nouveaux défis. Alors j'ai étudié la vidéo. Et finalement, tous ces médiums sont liés, autant dans leur concept que dans la manière donc vous créez une image, même s'il existe une différence en terme de durée ou de son. Mais cela a considérablement enrichi mon expérience. J'aime me mettre dans des positions inconfortables et travailler avec quelque chose qui ne m'est pas familier. Aujourd'hui, lorsque j'ai une idée, je ne pense plus aux limites matérielles. Je ne me dis plus 'je ne peux pas faire cela', 'je n'en suis pas capable'. Je fais tout pour réaliser mes projets.
© Lorna Simpson
Quel sujet préférez-vous aborder en photographie ?
Je dirais la mémoire et l'oubli, me pencher sur la préservation des souvenirs et étudier combien ils sont fragiles et subjectifs. Prenez par-exemple les photomatons et les vieilles photographies que j'ai retrouvé. Très souvent, les gens vont vouloir avoir des informations sur ces images, qui est sur la photo, qu'est-ce que cela représente... Nous superposons nos désirs et nos expériences sur ces images afin que chacun y trouve un sens. Le sens le plus étroit que l'on peut avoir avec une image est celle de notre propre expérience. Celle que vous y apportez. J'aime beaucoup travailler avec cela.
Vous photographiez des noirs américains sur chacune de vos œuvres, est-ce aussi un sujet qui vous tient à cœur ?
Prenons encore l'exemple des photographies que j'ai retrouvé. Elles dates de 1957. On y voit une jeune noire américaine qui pose à Los Angeles sans doute pour son portfolio, dans le but de devenir mannequin ou actrice. Mais réfléchissez au contexte de l'époque. Les lois Jim Crow, la ségrégation... Les chances pour une noire américaine de trouver du travail à Hollywood étaient très limitées. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est son désir, car face à la société américaine de l'époque (la violence, la lutte pour les droits civiques...), elle tient à occuper une place qui est certes limitée, mais qui détermine son projet. En fait, ce n'est pas simplement le sujet des noirs américains qui m'intéresse, mais un point précis de l'histoire et la notion de désir.
© Lorna Simpson
La question de l'identité tient une place importante dans votre travail. Avez-vous trouvé la vôtre grâce à la photographie?
C'est vrai que la photographie me définit. Je dirais que c'est ce que j'aime le plus faire et c'est sans doute ce qui m'est le plus simple. Après 30 ans de carrière, je peux dire que ce qui est autour de l'image me vient très facilement.
On dit souvent que l'image se suffit à elle-même, pourtant vous écrivez toujours des textes pour accompagner vos photos, qu'en pensez-vous?
Je pense qu'il s'agit d'un cliché. C'est notre subjectivité qui s'exprime réellement. Vous pouvez regarder une image et en avoir une interprétation complètement différente. Une image vaut mieux qu'un long discours, mais de quel discours s'agit-il ? Comment peut-on imaginer que chacun trouvera ce discours ?
Vous définiriez-vous comme une conteuse ?
On me l'a déjà dit ! J'adore la littérature, je suis très intéressée par les mots. Mais jamais je n'oserai dire que je suis une conteuse, sinon j'ai de nombreux amis écrivains qui me regarderaient et lèveraient les yeux aux ciels ! Mais c'est vrai que je porte un grand intérêt à l'écriture.
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© Lorna Simpson
Photographies et vignette © Lorna Simpson
Propos recueillis par Clémentine Mazoyer