« Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des Etats-Unis », déclarait le général Porfirio Diaz au XIXe siècle. Une formule qui fait aujourd'hui encore sens et que Jérôme Sessini reprend dans son dernier livre : The Wrong Side.
Le photographe, membre de l'agence Magnum, couvre depuis des années les conflits internationaux. Pourtant, c'est presque par hasard que le Jérôme Sessini est arrivé à Paris à la fin des années 1990. « Je n'avais pas l'intention de faire du photojournalisme. Cela s'est fait naturellement, » confie-t-il à Actuphoto. Très vite, il s'est intéressé à l'Amérique latine et en particulier au Mexique. En 2008, le président Felipe Caldéron lance une « guerre contre le trafic de drogue », des milliers de militaires et policiers sont déployés dans les villes les plus sensibles du Mexique. Jérôme Sessini doit alors couvrir la crise, un hasard du calendrier pour celui qui aime expliquer qu'il ne choisit rien, et que ce sont bien les sujets qui le choisissent. Mais la situation sur place lui donne envie d'effectuer un travail plus approfondi. De 2008 à 2011, il retourne donc au Mexique une dizaine de fois, et se penche sur les conséquences du conflit entre les cartels de la drogue. « Une guerre presque inphotographiable», explique Jérôme Sessini qui livre à Actuphoto les coulisses de The Wrong Side.
© Jérôme Sessini
La violence transpire à travers les images. Le photographe s'est rendu au cœur des villes les plus violentes du Mexique : Ciudad Juarez, Tijuana ou encore Culiacan. Jérôme Sessini dévoile des vies ravagées par le conflit, des scènes de crimes encore ensanglantées, ou des visages tuméfiés. Une violence qui touche le lecteur, et à laquelle le photographe a été confronté lors de son reportage. Toutefois, assure-t-il, « avec l'appareil photo c'est plus facile. Il y a comme un filtre entre nous et le sujet. C'est une distance qui se fait naturellement. »
Ces photographies introduisent le lecteur dans le quotidien de Mexicains directement touchés par ce conflit armé. Il a fallu au photographe beaucoup de patience pour pénétrer dans cette intimité. « Il faut surtout beaucoup de temps. Quand j'ai connu le Mexique il y a 15 ans, c'était un pays assez facile à photographier, les gens avaient une relation à l'image très différente de celle en Europe. Mais cela a changé en 2008 avec la crise, et la paranoïa s'est installée dans les villes du nord. Même les photos les plus simples étaient carrément devenues impossibles. » C'est seulement au bout d'un an de travail que le photographe a pu entrer chez les protagonistes de son reportage. Une intégration rendue notamment possible grâce aux différentes rencontres sur place, « d'anciens toxicos, ou des personnes qui avaient fait de la prison et qui connaissaient le milieu. »
© Jérôme Sessini
© Jérôme Sessini
Quant aux journalistes locaux, ils ont surtout apporté une aide technique et logistique. « Ils ne m'ont pas aidé à rencontrer des gens car ils restent un peu en dehors de tout cela. On leur fait clairement comprendre qu'ils ne doivent pas mettre leur nez dans ces affaires. » Selon la Commission des Droits de l'Homme, plus de 80 journalistes mexicains ont été tués depuis 2000. Le pays est désormais classé 153e sur 179e au classement de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières.
Pourtant, Jérôme Sessini l'assure, il n'a fait l'objet d'aucune menace lors de ses voyages. « Malgré la violence et les morts chaque jour, je ne me suis jamais senti visé, ni pris pour cible. » Le photographe ne s'est en effet pas attaqué directement au gangs mais bien aux conséquences du conflit, sur la population. « Les acteurs de cette guerre font partie d'organisations criminelles puissantes et importantes. Nous ne pouvons pas les approcher. Et tant que nous ne les approchons pas et ne dérangeons pas leur business, nous sommes presque inexistants pour eux. »
© Jérôme Sessini
A travers les photos, le lecteur devient le témoin de la prostitution, la drogue, la pauvreté et la mort. Il assiste aux injections des toxicomanes. Au réveil d'une prostituée, seule dans une chambre d'hôtel. Ainsi qu'à des arrestations de la police. Enfin, des photos du désert qui sépare les Etats-Unis du Mexique et de la frontière font définitivement écho à la phrase du général Felipe Porfirio. Elles résonnent comme un rêve américain devenu aujourd'hui impossible. Les Mexicains de ces villes du nord seraient donc nés du mauvais côté ?
Le livre regroupe 90 photographies en couleur. Même si les problèmes à la frontière ont commencé en 2001, le conflit s'est intensifié depuis 2008. Un ouvrage très riche, sur un conflit qui n'en finit pas. « J'ai senti que j'avais suffisamment de photos pour raconter quelque chose à travers un livre. Mais il faut se fixer des limites. Sinon je serais encore là-bas... »
© Jérôme Sessini
The Wrong Side a été récompensé plusieurs fois, par un F-Award et un Getty Grant. Le premier a permis la réalisation de ce projet. Le second le récompense. « Ces prix aident à continuer le travail, » reconnaît Jérôme Sessini, qui aimerait d'ailleurs retourner au Mexique. Mais avant cela, le photoreporter se rendra peut-être en Syrie, car ce que le photographe aime en particulier, « c'est d'aller dans des endroits où peu de gens vont. »
Photographies et vignette © Jérôme Sessini
The Wrong Side / Contrasto Editions
Jérôme Sessini
19x25 cm / 160 pages
35 euros
Clémentine Mazoyer