© Miquel Dewever-Plana
Le Guatemala est connu pour ses crimes, Alma a souhaité vivre, ne plus tuer, reconstruire sa vie. Isabelle Fougère et Miquel Dewever-Plana l'ont suivi pendant deux ans afin de retranscrire au mieux son vécu. « Nous n’avons aucune intention de jouer les juges ou les avocats. Notre métier c’est de raconter, de porter l’histoire d’Alma à la connaissance du public. Elle n’a effectivement pas été jugée pour ses crimes, comme 98% des meurtriers dans son pays. Nous pensons en tous cas qu’aujourd’hui, elle est bien plus utile à la société guatémaltèque en restant dehors, en témoignant, en parlant aux enfants, en tendant à son pays le miroir implacable de sa psychose. Et c’est certainement une voie de rédemption pour elle. »
Une couverture rouge bordeaux, la photographie d'un portrait sur un mur. Le titre Alma gravé en blanc. Le web-documentaire « Alma, une enfant de la violence », révélait le témoignage de cette jeune « marera », entrée trop tôt dans un gang au Guatemala. Dans ce livre, Isabelle fougère et Miquel Dewever-Plana retracent son parcours, du crime originel à la fuite. Une citation de Jacques Prévert extraite de « Paroles » ouvre la lecture « c’est fou ce que l’homme invente pour abîmer l’homme et comme tout ça se passe tranquillement l’homme croit vivre et pourtant il est déjà presque mort ».
© Miquel Dewever-Plana
Le ton est donné, cet ouvrage révèle les sombres cotés de l'homme. La capacité qu'il peut avoir de tuer, torturer, détruire la vie. La première photographie dévoile des centaines de corbeaux sur un cimetière, un ciel brumeux. Le thème du livre est perceptible : la mort. Les premiers écrits détaillent l'intégration d'Alma dans la bande. Avec des détails crus, sanglants, lorsqu’elle a dû tuer cette femme violée par les membres du gang. « Son agonie, longue agonie, ma mission accomplie, rouge sang, veines ouvertes, mon baptême de marera ». La violence faite aux autres, ne suffisait pas, il fallait également subir le clan. Alma, pour adhérer totalement à ce monde d'hommes, doit choisir entre un passage à tabac, ou le viol collectif, « l'orgueilleuse, elle a choisi les coups ».
© Miquel Dewever-Plana
Ce livre est poignant, on en ressort pas indemne. Une question reste en suspend, comment est-il possible de tuer, forcer des filles à être violées, torturer et se repentir soudainement. Alma répond à cela qu'elle n'avait pas le choix, lorsque l'on ne peut pas aller à l'école, on reste dans la rue. Elle veut prévenir les jeunes, les avertir contre les gangs. Pour Isabelle Fougère « L’histoire d’Alma est emblématique : elle pose des questions qui se trouvent au cœur de toutes les vies humaines : le drame de la survie, le choix de son camp (des plus forts, des plus riches, des plus fragiles…), la survie en tant que femme dans un monde machiste et ultra-violent, la question de la seconde chance quand on a fait tant de mal. »
© Miquel Dewever-Plana
Le récit de la vie d'Alma est particulier. Isabelle fougère et Miquel Dewever Plana ont fait le choix de raconter son histoire, à travers différents protagonistes. Alma elle-même, mais également, la jeune blonde de 18 ans qu'elle a tué pour intégrer le gang, sa mère, son père surnommé « le déserteur ». Les personnes qui l’observaient relatent leur rencontre avec Alma, comme « la vieja » a qui elle volait de l'argent, « la clandestine » une femme qu'elle a aidé lors de la traversée de la frontière américaine. « La liberté du récit fictionnel et littéraire a permis de transcender cette vie bien réelle, d’en faire quelque chose de plus universel parce qu’au-delà des faits, j’ai pu rentrer dans la peau des différents protagonistes et cracher ce qu’ils avaient dans le ventre. La réalité rencontrée sur place m’a nourrie, j’avais besoin de la restituer avec les tripes. Les mots qui claquent, le rythme des phrases, la musique de la langue : j’ai cherché une écriture physique, brutale, loin de l’analyse. Il y a des personnages inventés, des fantômes, la Mort. Il y a des personnages réels que j’ai rencontrés, comme la mère d’Alma, de jeunes ex-mareros. Il y a aussi des personnages constitués de rencontres multiples. Ils sont traités à la manière d’archétypes de cette sombre histoire : le médecin, le flic, l’étranger. Ce procédé m’a permis de tisser l’histoire d’Alma, personnage après personnage, et de lui laisser la parole à des moments cruciaux de sa vie. »
© Miquel Dewever-Plana
Lorsqu'elle a fait le choix de quitter le gang, après avoir perdu son enfant, ils l'ont battu, elle a ensuite reçu trois balles. Ses jambes ont été paralysées, mais elle a survécu. Les photographies sont sombres, le visage d’Alma et de son compagnon impassibles, loin des massacres. Des scènes de vie habituelles : la douche, le maquillage. Le fauteuil roulant est omniprésent. Il apparaît dans de nombreux clichés. Une radiographie de ses jambes brisées, Alma dans les bras de sa mère, le fauteuil est posé a coté dans une pièce à part. Il rappelle le coût de la liberté. « Du jour où Alma a décidé d’intégrer un gang, elle a fait le choix d’une vie en sursis. Car il est interdit de sortir d’un gang. On le paye de sa vie. Elle est donc encore aujourd’hui sous le coup d’une condamnation de ses anciens compagnons qui peuvent l’assassiner. » Il y a peu de lumières dans ces clichés. Des couleurs atténuées, ternies, les pièces sont brutes, pas de décoration, un rideau sert de porte. Le visage d'Alma est sombre, pensif, pas de sourires.
Photographies © Miquel Dewever-Plana
« Alma» de Isabelle Fougère et Miquel Dewever-Plana
Editions le bec en l'air
19,8 x 13 / 120 pages
14,90 euros
Louise Leclerc