Pierre Terrasson © Clémentine Mazoyer
Pierre Terrasson aime photographier les personnalités excentriques, les artistes et en particulier les rockeurs. Jim Morrison, Bob Dylan, The Cure... L'étudiant post 68 s'est d'abord essayé à la peinture et aux arts muraux. « A ma sortie des Beaux-Arts à la fin des années 1970, je me suis promis de ne jamais foutre les pieds dans une galerie. » Pourtant la Galerie SpArts expose jusqu'au 31 mai « Vanessa Paradis, les années Lolita », une quarantaine de ses clichés, pris entre 1987 et 1989 alors qu'il était photographe exclusif de la jeune chanteuse. Un livre, paru aux éditions Premium en mars a précédé l'exposition, et retrace les deux années durant lesquelles Pierre Terrasson a suivi Vanessa Paradis en tournage, en coulisses mais aussi lors de prises de vue chez elle, en weekend, en vacances. Les photos, pour la plupart en noir et blanc, sont inédites. Rencontre avec Pierre Terrasson.
Comment est né ce projet ?
J'ai mis près de 20 ans avant de sortir ces photos de mes placards. J'en avais parlé à plusieurs éditeurs. Mais ils cherchaient tous des rétrospectives complètes sur Vanessa Paradis. Je n'avais qu'une tranche de vie, comme pour Patrick Bruel par exemple. Puis j'ai trouvé un éditeur et le livre est sorti en mars 2013. Aujourd'hui, une quarantaine de photos inédites sont également exposées à la Galerie SpArts.
Vanessa Paradis a-t-elle participé à la sortie du livre et à l'exposition ?
Pas vraiment. Mon seul contact a été sa mère et son chef de produit. On m'a simplement demandé de ne pas trop insister sur la période où elle sortait avec Florent Pagny. Certaines photos ne sont donc pas publiées ou exposées. Il y a eu quelques petits interdits.
© Pierre Terrasson
Vous étiez plutôt un photographe rock, pourquoi avoir choisi de travailler avec Vanessa Paradis?
J'ai toujours aimé photographier des gens atypiques. Je suis resté très spécialisé dans la musique. J'en étais proche et je l'étais aussi des gens qui en faisait. Avec Vanessa Paradis, j'avais un peu trouvé une muse, un modèle. Cela faisait une dizaine d'années que je trainais dans les hôtels avec des stars internationales, mais je photographiais toujours de courts instants. Entre une heure avec un rockeur et deux ans avec Vanessa, j'ai bien sûr choisi ce travail de profondeur. Même si elle n'était qu'une enfant, elle était très prometteuse: elle est finalement arrivée à un niveau assez important. Au moins je ne me suis pas trompé !
Comment l'avez-vous rencontré ?
Je faisais à l'époque beaucoup de photos de presse. J'avais eu une commande pour un magazine pop rock qui s'appelait Rock News. Je l'avais déjà croisé une première fois dans sa maison de disque, mais je n'avais pas trop fait attention, pour moi c'était une chanteuse de variété. Puis avec cette commande, je l'ai vu bouger. Elle avait un contact assez étonnant avec les adultes, c'était très simple. Une attitude étrange, mais très intéressante, un sens de la lumière et de la pause.
© Pierre Terrasson
Vanessa Paradis était très jeune, aviez-vous carte blanche ?
Presque, mais il y avait quand même un droit de regard. C'était une petite fille qui devenait adulte. Elle était entre deux eaux. Mais elle était gérée comme une gamine par la maison de disque. Il fallait lui laisser son âge, et ne pas brûler les étapes. Quand vous êtes photographe exclusif de quelqu'un qui a confiance en vous, vous n'allez pas vous trahir avec l'appât du gain. Il y a des codes à respecter. Alors bien sûr nous mettions certaines photos de côté. Elle fumait, avait parfois des décolletés trop provocants pour son âge, pour les gens de l'époque. Je mettais donc des photos de côté, que je ne détruisais pas obligatoirement, mais que je ne touchais pas.
Pensez-vous que vous l'avez éloigné de son image Joe le Taxi ?
Je pense effectivement que je lui ai crée son image rock. Je l'ai en quelque sorte sortie de la presse jeune. Il y a notamment une série exposée à la Galerie et que nous n'avions jamais utilisée. Les photos ont été prises dans le nord de la France. J'avais un ami des Beaux-Arts sculpteur qui vivait dans une chapelle près de Boulogne-sur-mer. Il était responsable d'un cimetière. Nous avons donc fait un série à cet endroit. Mais il était hors de question de sortir ces photos de Vanessa Paradis avec une croix gothique au-dessus de la tête alors qu'elle était en pleine époque de Joe le Taxi.
© Pierre Terrasson
Serait-il encore possible de photographier un artiste sur plusieurs années?
Aujourd'hui, tout se fait un peu dans l'urgence. On a tendance à rester en surface. Le rapport avec les autres est différent. Mais peut-être que ce serait possible avec elle.
Aimeriez-vous la suivre à nouveau?
Non, pas forcément. J'ai tendance à penser qu'on croise les gens qu'on doit croiser au moment où on les croise. Je ne cherche pas à entretenir le passé. Je préfère attendre d'autres personnes. Tout a toujours été une histoire de rencontres, qu'elles soient musicales ou non. Je n'écoutais pas en boucle Joe le Taxi, mais j'ai fait un travail de photographe. Il faut, je pense, une distance pour photographier les gens.
Quel artiste êtes-vous le plus fier d'avoir photographié ?
Je dirais Serge Gainsbourg. J'ai fait un livre avec ses photos. Ca se passait très bien. Je l'ai vu un peu plus longtemps que Vanessa.
Quels sont vos projets ?
Il y a quelques années, j'ai photographié Patrick Bruel. La Bruel mania était un phénomène qui m'intéressait, que je trouvais complètement délirant. Je suis parti en tournée avec lui en Guyane, Maurice, la Réunion... C'était démentiel. Et j'ai fait beaucoup de photos de fans. Aujourd'hui, j'ai un projet qui va dans ce sens, un peu plus social.
Photographies © Pierre Terrasson
Propos recueillis par Clémentine Mazoyer
Vanessa Paradis, Les Années Lolita / Editions Premium
Pierre Terrasson
24x31 / 160 pages
30 pages