© Pierre-Olivier Deschamps
Pierre-Olivier Deschamps a commencé la photographie il y a 30 ans, car il trouvait « qu'il y avait une forme de liberté, et aussi de contrôle amené par ce métier – les bonnes choses comme les mauvaises - . Une façon d'avoir les deux pieds en prise avec le réel tout le temps. » Il s'immerge dans la profession en réalisant des photographies de théâtre, et publie ces premières images dans Libération : « Les photos de théâtre ont été une vraie expérience d'apprentissage, un peu comme Martine Franck chez Magnum qui a beaucoup travaillé avec le théâtre du soleil. Pour un photographe, photographier le théâtre, c'est photographier le réel, qui se répète, qui est dans un décor déjà installé. »
Lauréat en 2009 du World Press Photo 2009, catégorie Contemporary Issues, pour une image issue de sa série « Résidence », il expose aujourd'hui celle-ci à l'Eglise Notre Dame d'Espérance dans le 11e arrondissement de Paris.
Rencontre avec l'artiste.
Residence © Pierre-Olivier Deschamps / Agence VU'
Comment votre parcours a-t-il commencé ?
En commençant à travailler avec Libération, je me suis ouvert, j'ai commencé à faire des portraits, du reportage, et en même temps je faisais de la nature morte avec un photographe de publicité, j'ai appris aussi tout ce qui est studio ect. Dès le départ, j'ai travaillé avec une ouverture technique qui a été importante pour moi, ce qui fait que je continue aujourd'hui à travailler dans ce domaine très varié. L'agence VU' a ensuite été fondée en 1986, j'en ai fait partie dès le démarrage, Christian Caujolle m'avait recruté au sein de l'équipe de photographes qui gravitaient autour de Libération. A partir de 1986, j'ai commencé à faire, comme les autres photographes de l'agence, ce qui m'intéressait, et à m'ouvrir aussi vers les institutions, les entreprises, les corporates, éventuellement la vente aux collectionneurs ect.
Il y a eu ensuite une dizaine d'années pendant lesquelles j'ai travaillé sur l'art de vivre, pour des magazines comme Elle décoration, Elle à table ect. Depuis une dizaine d'années, je suis assez porté sur le domaine de l'architecture à proprement parler. D'une certaine manière, aujourd'hui, mes préoccupations essentielles vont vers les volumes, les espaces, les signes, l'architecture au sens très large : ça peut être une friche (je viens par exemple de photographier l'intérieur de la samaritaine pour le groupe LVMH qui va réaménager l'ensemble des trois bâtiments), qui représente beaucoup de signes, beaucoup de mémoire. Je suis intéressé par l'architecture en tant que tel, mais toujours par les signes, c'est la qualité du signe qui va me motiver.
Que vous apporte la photographie ?
Le sentiment de durée, de lutter contre l'imperfection qui est notre lot. Je ne dis pas que mes photographies sont parfaites, mais j'aime beaucoup quand je regarde mon atelier, l'endroit où je travaille, où même simplement la table sur laquelle mon ordinateur est posé, que je vois ce désordre incroyable, ce fouillis. J'aime beaucoup ce paradoxe qui est que de ce fouillis sorte des images que j'essaie de composer, non pas de manière parfaite mais les plus abouties possibles. La photographie aurait tendance à me rassurer, par rapport à cette idée qu'on disparaît tous, elle me donne ce sentiment, même si c'est éphémère, de plaisir et de gratification à inscrire, imprimer la manière la plus satisfaisante en tout cas par rapport aux objectifs que je suis amené à me fixer.
Pouvez-vous expliquer cette série que vous exposez « Résidence » ?
C'est une série, de ce point de vue très particulière, car elle ne répond à aucune commande, elle n'a pas été commanditée par un journal, ni par l'agence. C'est une série que j'ai réalisé sur plusieurs années, et qui est vraiment le fruit d'une attitude. A partir d'un événement, d'une image qui s'est offerte à moi, j'ai eu l'idée de réaliser cette série. Je passais, comme nous le faisons tous à Paris, et je suis tombé sur une scène qui m'a non seulement ému, mais où tous les éléments étaient là, en place. Ces éléments étaient l’absence, car c'est ce qui est le plus important au sein de cette série : non pas la présence de quelqu'un qui habiterait là et le portrait de cette personne, mais au contraire le fait, que je trouvais d'une incroyable violence, que ce soit comme une maison aux murs transparents dont toutes les clôtures seraient tombées, et donc que l'on pourrait photographier de la manière la plus voyeur possible, dans laquelle on rentre comme par effraction.
Le fait que dans l'architecture de la ville nous soyons à l'extérieur et qu'il y ai cette inversion, comme des maisons retournées, m'a considérablement frappé. Ces maison retournées, au moment où je les photographie, les gens sont partis, et il y a de fait cette disparition, on ne sait pas s'ils vont y retourner.
Residence © Pierre-Olivier Deschamps / Agence VU'
Quand et comment l'avez-vous réalisée ?
Ca a duré plus de deux ans, mais je ne faisais pas de campagne photographique pour aller les chercher. J'avais toujours cet appareil avec moi, et il m'arrivait de trouver des situations. Je voulais que ce soit à la fois précis mais aussi un peu furtif. Je ne tenais pas à poser un pied, à avoir une démarche seulement frontale, avec toujours le même rapport de distance. Je cherchais à monter une série avec une situation différente, il n'était pas question de réaliser une série stylistique, ce qui m'intéressait était de montrer différents types de moments d'occupation.
La référence que j'avais pour ce travail est celle d'un photographe anglais, Paul Graham, qui a travaillé, à l'extrême, sur l'Irlande par exemple en photographiant des lieux qui avaient été marqués par un événement – attentat par exemple, ou un événement historique – et il retournait sur ces lieux qui n'étaient plus que des adresses et qui n'avaient plus aucun signe de ce qui avait pu se dérouler. Je ne suis pas allé jusque là car je photographie des signes, mais c'est dans cette idée, sorte d'effacement, et la difficulté que l'on a de regarder, et la tendance qu'a notre regard à effacer ce que l'on a devant les yeux.
Vous avez remporté un world press, qu'est ce que cela vous a apporté ?
Oui, une image de cette série a remporté un world press. J'avais montré le travail à l'ensemble de la presse française, mais c'est un travail difficile à publier. Donc c'était pour moi une récompense importante, car elle montrait que je ne m’étais pas complètement trompé, que ces images-là pouvaient trouver une place et éventuellement un public. Je pense que ça a aussi sans doute ponctué la série. J'ai continué après le prix à travailler encore un peu mais à la fois c'est un phénomène qui s'est amplifié, l'on pourrait photographier tous les jours ces lieux, faire des milliers et des milliers de photos, mais ce n'est pas le projet au départ. Il y a 20, 30 photos dans ce reportage, mais peu qu'il est suffisant de montrer, comme dans l'exposition où je vais montrer une dizaine d'images seulement.
Residence © Pierre-Olivier Deschamps / Agence VU'
Pourquoi l'exposer aujourd'hui en 2013 ?
Cela vient de la difficulté que j'ai eu pour l'instant à les montrer, à trouver un lieu d'exposition, non pas car je n'avais pas de propositions, mais parce ce que j'ai du mal à me dire qu'une série de cet ordre puisse être exposée dans un circuit « commercial », puisse donner lieu au marché de l'art, à de l'achat. J'ai donc toujours eu le sentiment que c'était plutôt l'institution, un lieu institutionnel qui convenait. Il s'est trouvé que par le réseau, des associations, une association qui s'occupe de programmes culturels au sein d'une paroisse dans le 11e a voulu exposer mon travail. C'est la première fois qu'ils montrent de la photographie, et ils ont été très intéressés de montrer à la fois une photographie concernée mais aussi l'exigence de montrer une photographie qui est dans cette ambiguité d'un objet esthétique qui a du sens. Se débattre entre une notion du beau et d'humanitaire, d'éveiller à cette conscience.
Que cela représente-t-il pour vous ?
Je ne suis pas croyant, mais je pense que c'est plus fort qu'un simple lieu d'exposition, et j'en veux pour preuve que dans la série se sont des situations où il n'y a pas d'humain, sauf une photographie.
Quelle est la suite de ce projet ?
Il n'y a pas de suite. Ce projet continue par rapport à ma photographie, pour établir, à un moment où je m'intéresse aux signes et à de la mémoire. C'est ce travail de mémoire et de disparition qui m'intéresse, et qui est présent dans mes travaux récents ou en cours, comme à la Samaritaine par exemple.
Propos recueillis par Claire Mayer