© Louise Leclerc
Caroline Poiron a découvert la photographie à l'age de neuf ans. Son premier appareil photo en poche, elle se lance dans un reportage pour son école. Avec un voisin photographe, possédant son propre laboratoire de développement, la jeune photographe observe la magie de la photo. Elle goute au réel plaisir du cliché à 24 ans. Caroline Poiron s'inscrit au centre Iris pour la photographie à Paris. Après un Deug de psychologie et une maitrise de gestion en école de commerce, la photographie devient très rapidement, partie intégrante de sa vie.
Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous venue au métier de photojournaliste ?
J'ai très vite travaillé dans la presse. J'ai démarré en photographiant à coté de chez moi. Je me suis penchée sur la maladie d’Alzheimer. Pendant plusieurs mois, j'ai suivi les mères et filles. Dans cette maladie, on oublie parfois qui est l'enfant ou l'adulte. J'ai ensuite exposé pour la première fois dans la salle des pas perdus, gare saint lazare.
Ensuite j'ai décidé de faire des reportages à l'étranger, j’avais besoin de bouger. Petite, j'ai beaucoup voyagé. J'ai vécu aux États-Unis, en Australie... Je souhaitais travailler sur des sujets plus géopolitiques. Je suis allée en Russie, au Liban. Lors de la guerre en 2006 au Liban, j'ai suivi une famille du sud. Le village d' Ainata était en haut d'une colline à la frontière, c’était un point stratégique. J'ai rencontré des chiites. La famille avait subi la guerre de plein fouet. Pendant trois ans, je les ai suivi et à coté je faisais des petits boulots pour la presse française.
Aujourd'hui, ça fait 7 ans que je fais du reportage de guerre.
Liban, Ainata ville libanaise frontali, © Caroline Poiron
Comment se prépare un reportage ?
En 2008, je suis partie en Afghanistan, j'y suis allée 4 fois. A Kandahar, l'école était prise pour cible. C'était devenu une arme de guerre. Aujourd'hui encore, les talibans font subir les pires violences aux filles, les torturent, elles sont vitriolées. Les livres sont brûlés. Ils menacent de mort les familles et enseignants afin de les empêcher de scolariser les filles. J'ai fait ce reportage en 12 jours avec peu de moyens. Parfois, on ne peut pas rester plus longtemps sur le terrain, pour notre propre sécurité. Je portais la burqa pour passer inaperçue, j'avais mes boîtiers en-dessous, mais au bout d'un certain temps, j'ai été facilement repérée. Le reportage photographique a été publié dans « La vie ».
On n'a pas besoin de partir avec de gros moyens. Il faut se préparer à l'avance, prendre les contacts de chez soi, ne pas attendre d'être sur place, demander les autorisations aux ministères, directeurs. On ne peut pas se rendre dans des pays comme l'Afghanistan sans préparation, sinon on perd du temps. Je parle anglais et si besoin les interprètes viennent nous aider.
Afghanistan, la guerre contre l'école, © Caroline Poiron
Pensez-vous être libre dans la réalisation de vos reportages ?
Il y a de moins en moins d'espace pour le reportage social et géopolitique. Je choisis et à la fois je ne choisis pas. Les magazines attendent un type particulier de reportages. Je peux réaliser les clichés de mon choix mais je dois veiller à ce qu'ils soient acheté et correspondent aux attentes de médias. Je suis libre, c'est à dire que sur le terrain je suis toute seule. Je peux faire de l'éditing, la sélection de mes photographies. Sur les 500 photos que je produis, j'en choisis 40 à 50 pas plus.
Vous a-t-on déjà contrainte à supprimer vos photos ?
Oui, lors des choix rédactionnels de titres de presse. A la maquette, ce n'est pas le photographe qui a le choix final. Par exemple, je présente 40 photos, je montre les meilleures et ils n'en publient que six. Plus le sujet est réduit et concentré, plus il est fort. Mais personne ne m'a forcé à supprimer des photos sur mon appareil.
Quel reportage a été pour vous le plus difficile à réaliser? Devez-vous cacher vos appareils ?
La Syrie a été le reportage le plus difficile, Gilles (Gilles Jacquier, son époux, JRI, décédé le 11 janvier 2012 à Homs en Syrie ndlr) est mort là-bas. Il faut toujours montrer les appareils photos, se présenter. Cela permet de savoir si l'interlocuteur est viable, le danger est réduit car au préalable tous les contacts ont été pris.
L 'exception a été à Kandahar, j'ai travaillé sous l'anonymat, sous la burqa, car je n'avais pas le droit de me montrer, en tant que femme et journaliste. En Syrie, j'ai montré mes boitiers j'étais avec des gens de confiance, ça m'a protégé. Le fait de regarder à travers un objectif permet de ne pas voir la réalité en direct. Il nous protège de ce qui nous entoure.
05 février 2011, Place tarhir. les femmes anti-moubarak au front © Caroline Poiron / Divergence
Quel message cherchez-vous à faire passer avec vos photographies ?
Je veux informer.
Qu'est-ce que la liberté pour vous ?
La liberté d'expression et la liberté d'informer, c'est pour moi la liberté, de faire son métier dans de bonnes conditions, avoir le moyen de s'exprimer. La liberté de mouvement. En tant que photographe,il faut acquérir cette liberté. Il faut y aller, ça prodigue des ressources, depuis que je fais ce métier j'ai une liberté de mouvement, plus souple, je peux vraiment me déplacer.
Avez-vous peur ?
La peur reste la même, je la canalise de plus en plus. J'arrive à la transformer en quelque chose de positif. J'ai peur avant de partir, de l'inconnu, ne pas savoir ce que je vais obtenir, est ce que je vais être là au bon moment ? Rencontrer les bonnes personnes ? Vais-je me bagarrer? Etre tenue à l’écart ?
Je vérifie tout en arrivant à l'aéroport, j'ai toujours un doute , je n'ai rien oublié ? Dans l'avion cette peur se transforme en adrénaline.
J'ai pris en photographie des personnes, des corps, des lieux qui m'ont marqué. Lorsque l'on apprend qu'il y a eu une explosion ou des meurtres, nous, photographes nous y allons. Nous sommes protégés par notre objectif, nous voyons tout à travers notre boitier, alors que les journalistes de presse, lorsqu'ils découvrent un cadavre, c'est plus direct. C'est pour cette raison que certains restent en retrait.
Tajura uprising on 4th of march 2011. © Caroline Poiron / Divergence
Pensez-vous que la liberté de la presse soit menacée en France, qui n'est que 37éme dans le classement RSF ?
Rien est acquis, c'est au quotidien que l'on doit faire attention. Il faut que notre parole, nos photos soient pris en compte. La liberté de la presse est menacée en France car l'on unifie beaucoup de choses, on parle d'une seule voix. La différence est importante.
Un pays vous a t-il marqué en bien ou mal vis à vis des droits des journalistes ?
J'ai été agréablement surprise au Liban. J'ai passé 3 ans entre Paris et Beyrouth. J'ai écrit des papiers, fait de la photographie. J'ai appris mon métier de photojournaliste. Ce pays m'a particulièrement touché, ému, j'ai une certaine tendresse pour lui.
Liban, Ainata ville libanaise frontali, © Caroline Poiron
Y a t-il un pays peu ouvert à la presse dans lequel vous aimeriez faire un reportage ?
J'ai fait la Tunisie, la Libye, l’Afghanistan, la Somalie, l’Égypte, la Syrie. C'est déjà pas mal...
Que pensez-vous de la situation actuelle en Syrie? Ce pays est à la fin du classement, à la 176 ème place.
La Syrie, mon mari est mort là bas. La liberté de la presse y est inexistante, on tue des journalistes c'est très grave. Il y a un huit clos consentant avec la communauté internationale. Remi Ochlik, Gilles Jacquier, ne sont pas morts pour rien.
Il faut savoir que 37 journalistes ont été tués en Syrie, c'est terrible en 1 an et demi, c'est l'un des pays les plus dangereux pour la presse. Pour Bachar al-Assad, le journaliste est un ennemi, une arme de guerre. Il tue des journalistes pour nous faire peur.
Homs ville morte, © Caroline Poiron
Reporters sans frontières recense 15 journalistes disparus, et 179 emprisonnés, cela vous fait-il peur, ou vous donne-t-il encore plus envie de continuer ?
Je continue le photojournalisme, j'ai perdu mon mari. Maintenant que Gilles est mort c'est plus devenu une nécessité de continuer ce métier, qu'une passion.
C'est un milieu initialement masculin, bien qu'on recense de plus en plus de femme dans les agences. Quels sont pour vous les inconvénients d'être une femme? Et quel est votre rapport avec les reporters hommes sur le terrain?
Les rapports avec les hommes sont très bien, il y a une solidarité sur le terrain. Ils apprécient de voir des femmes autour d'eux. Les femmes qui font ce métier ont une force, elles sont libres et n'ont pas d'attaches. Elles passent leur temps à voyager. Mais j'ai trois enfants.
C'est un monde masculin mais il y a pourtant de la place pour les femmes. Nous devons faire autant, voir plus que les hommes.Mais l'on pense moins à nous dans les rédactions. Peu importe les sujets, un homme ou une femme peut les faire.
Les reportages sur les femmes sont peu rentables. L'avantage pour la femme est qu'elle passe partout, surtout dans les pays musulmans, mais elle doit travailler d'autant plus. J'ai pu rencontrer des Talibans. Si les hommes veulent faire des reportages sur les femmes, ils vont rencontrer plus de difficultés que nous.
Liban, Femmes démineuses, © Caroline Poiron
Vous articulez la video et la photographie, pouvez-vous l'expliquer ?
Il y a peu de place dans les journaux pour le photojournalisme. La video et la photographie permettent d'ouvrir sur le web-documentaire. C'est une nouvelle écriture, un nouveau moyen d'expression. Je peux réutiliser mes photos, nourrir les photographies de personnes rencontrées, ajouter des informations. J'ai sorti « Homs, au cœur de la révolte syrienne » en juillet 2012, que l'on peut voir sur http://geopolis.francetvinfo.fr/homs-au-coeur-de-la-revolte-syrienne/
Avez-vous d'autres projets ?
Je vais reprendre vite le travail de photographie mais aussi faire de la vidéo. Mes photographies sont disponibles sur le site : http://www.divergence-images.com/caroline-poiron/
01 octobre 2011 - La prière, Mogadiscio, la capitale somalienne sous perfusion © Caroline Poiron / Divergence
Photographies © Caroline Poiron
Propos recueillis par Louise Leclerc