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Christophe Loviny est journaliste et photographe, spécialisé dans l'Asie du sud-est. Il travaille régulièrement en Birmanie depuis 1978 où il a été longtemps correspondant du magazine Asiaweek. Il a connu la dictature, puis la junte birmane et enfin les premières élections qui témoignent petit à petit d'une libéralisation du pays. Depuis 2011, la Birmanie connait une libéralisation de la presse. Selon Christophe Deloire, directeur général de Reporter Sans Frontière, le pays est celui qui marque la plus grande progression en matière de liberté de la presse cette année. La Birmanie est passée de la 169e à la 151e place, sur 179 pays. Christophe Loviny a rapidement compris l'enjeu des années à venir : former une nouvelle génération de reporters photographes et multimédia. Il organise désormais chaque année le « Yangon Photo Festival » et un programme de formations intensives avec l'Institut Français de Birmanie et International Media Support.
Comment avez-vous créé le « Yangon Photo Festival » ?
En 2005 j'ai créé un festival à Angkor, le « Angkor Photo Festival ». Cette initiative avait entre autres pour but de former les photographes des pays de la région où il y a très peu ou pas de liberté de la presse, comme le Vietnam, le Cambodge, la Birmanie et la Chine. Je m'en suis occupé pendant trois ans mais jamais je ne suis arrivé à faire venir des jeunes photographes de Birmanie. J'ai donc essayé de voir ce qu'il était possible de faire sur place. Fin 2008, j'ai trouvé une oreille attentive auprès du Centre Culturel Français à Rangoon. J'ai proposé d'organiser un festival une fois par an, le Yangon Photo Festival, qui serait l'occasion de montrer les reportages auxquels les Birmans n'ont pas accès à cause de la censure. Et de commencer à organiser discrètement des formations. J'avais constaté pendant la révolution Safran de 2007 que la plupart des images qui étaient parues dans la presse internationale avaient été prises par des manifestants et transmises via internet malgré la censure. Il était désormais vital former une nouvelle génération de journalistes multimédia. J'ai pu commencer début 2009. Nous avons depuis réussi à en former plus d'une centaine qui travaillent désormais dans les médias locaux, les agences internationales et les services de communication d'ONG et d'organisations internationales.
Le Festival a-t-il posé problème vis à vis de la junte, sachant qu'il y a une certaine dimension politique puisqu'Aung San Suu Kyi (figure d'opposition et prix Nobel de la Paix ndlr) en est la marraine ?
Au début, j'ai évité de provoquer directement le gouvernement. Dans les expositions, j'ai choisi de d'aborder les problèmes sociaux du pays à travers des reportages effectués sur des thèmes similaires dans les pays voisins. Personne n'était dupe mais la face était sauve. En ce qui concerne les formations, elles étaient officiellement purement artistique. Bien sûr, tous les étudiants étaient entendus par les services de renseignements birmans. Ils voulaient avant tout s'assurer que nous ne faisions pas de politique. Mais l'important était de les former aux techniques du journalisme. Je faisais attention de garder les discussions politiques en petit comité avec des personnes sûres. Après qu'Aung San Suu Kyi a été libérée en novembre 2010, Thierry Mathou, l'ambassadeur de France, l'a invitée pour rencontrer les jeunes photographes birmans que j'étais en train de former en février 2011 à l'Institut Français. Ce fut extraordinaire pour eux. A cette occasion, elle a accepté d'être la marraine du festival. Dans les mois qui ont suivi, le gouvernement a enclenché les réformes, progressivement levé la censure, libéré les prisonniers politiques. Aung San Suu Kyi et son parti, le NLD, ont décidé de participer au processus en présentant des candidats à des élections parlementaires partielles. Depuis deux ans, elle préside très officiellement le festival et le jury qui récompense les meilleurs reportages des photographes birmans. C'est une grande chance de pouvoir la côtoyer à cette occasion.
Vous avez couvert l'élection d'Aung San Suu Kyi au parlement l'année dernière, qu'avez-vous ressenti ?
Elle a sillonné le pays pendant 3 mois. C'était la rencontre à la fois historique et émouvante entre tout un peuple et celle qu'ils appellent leur mère, après cinquante ans de dictature. J'ai donc proposé à des étudiants très motivés de couvrir la campagne avec moi. L'occasion pour eux de lancer leur carrière et de vivre des moments exceptionnels. Tout le monde avait peur d'une tentative d'assassinat, comme cela s'était produit en 2000 lors de sa précédente libération. Mais la campagne s'est déroulée sans incidents majeurs.
Etiez-vous libre de faire ce que vous vouliez ?
A partir de ces élections, oui nous avons été libres. Nous en avons même été profité pour aller dans des zones a priori interdites où Suu Kyi faisait campagne.
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Pensez-vous que ces élections ont marqué un tournant dans la liberté de la presse en Birmanie ?
Pour la couverture de l'évènement oui mais à cette époque les journaux locaux devaient encore envoyer à la censure leurs maquettes qui revenaient marquées de grandes croix rouges. Il fallait la refaire et la renvoyer. Un journal a osé mettre une photo d'Aung San Suu Kyi en couverture sans permission et il s'est fait retirer sa licence de parution pendant plusieurs semaines. Puis un deuxième a fait la même chose et ils ont laissé faire. Le gouvernement a promis une loi sur la liberté de la presse qui n'a toujours pas été votée mais la commission de censure a été dissoute. Plusieurs quotidiens viennent d'être lancés. Le processus est enclenché, et il y a une réelle volonté de la part du président Thein Sein, un réformiste.
Est-ce que cette libéralisation a permis de traiter des sujets comme les conflits ethniques ?
Les émeutes inter-religieuses et la guerre civile dans l'état Kachin sont les deux grands problèmes actuels. J'ai pu constater que des journalistes et des photographes birmans ont pu les couvrir -difficilement mais sans être arrêtés ou inquiétés. En revanche la presse birmane est certes plus libre aujourd'hui mais très partisane. La plupart des journalistes locaux confondent information et opinion. Les seuls reportages impartiaux et de qualité sur les conflits ethniques et religieux réalisés par des Birmans n' ont été publiés qu'à l'étranger ou sur la toile. Certains de ces journalistes et photographes ont été vivement pris à partie sur facebook.
Avez-vous déjà subi des pressions venant de la junte birmane ?
Jusque très récemment, les journalistes étaient interdits en Birmanie. La police pouvait débarquer à n'importe quel moment dans votre chambre d’hôtel en disant vous aviez trente minutes pour faire vos bagages, on vous amenait à l'aéroport et vous quittiez le pays. Ils confisquaient les pellicules ou les cartes. Personnellement, j'y ai travaillé pendant toutes ces années sans problème. Un jour dans l'état Shan, six ou sept soldats armés sont soudain entrés dans ma chambre en hurlant. Ils savaient que j'avais essayé de me rendre dans une zone interdite. Ils voulaient sans doute seulement me faire peur. Ca s'est arrangé en palabrant.
Lors de vos reportages sur place, sentiez-vous que vous étiez surveillé?
Oui, bien sûr. Je savais que j'étais suivi, et que tous les gens avec qui j'étais en contact étaient interrogés. Ai-je eu de la chance? Etaient-ils surtout préoccupés par les journalistes anglo-saxons? Je suis toujours passé au travers. Pourtant j'ai couvert les sujets les plus sensibles : les guérillas ethniques, les trafic de l'opium et de l'héroïne, interviewé Aung San Suu Kyi. Ma seule précaution était d'utiliser des pseudos.
Autrefois, vous aviez besoin d'un visa de touriste pour pouvoir entrer en Birmanie, qu'en-est-il aujourd'hui ?
Le gouvernement propose des visas de journalistes mais le processus est encore long et contraignant.
Dans quel pays est-il aujourd'hui difficile de travailler pour vous ?
Les pays de la région encore difficiles sont la Chine (173e) et le Vietnam (172e). La Chine vit une époque très intéressante avec des espaces restreints de liberté d'expression qui apparaissent sur les réseaux sociaux et dans le milieu universitaire. J'espère que ce sont les signes annonciateurs d'une certaine libéralisation.
Propos recueillis par Clémentine Mazoyer