© Miquel Dewever-Plana / Hach Winik
« Enfant, j'avais toujours rêvé de vivre en forêt avec les Indiens Lacandons, les Hach Winik, ces 'véritables hommes'. Je ne sais plus comment j'avais eu vent de leur existence, mais finalement quelle importance, car depuis près de dix ans je n'ai cessé de revenir chez eux, et le bonheur de partager leur quotidien reste entier. »
Dans son livre Hach Winik, paru en 2009 aux éditions le bec en l'air, Miquel Dewever-Plana, photographe depuis les années 1990, représenté par l'agence VU, partage son rêve d'enfant, au fil de dizaines de photos accompagnées de deux textes. Le premier est un récit de voyage raconté à la première personne par le photographe. Le second est une nouvelle, écrite en 1949 par Paul Bowles. Le lecteur est plongé au sein d'un village d'Indiens Lacandons, qui vivent dans la forêt du Chiapas, au sud du Mexique. Les travaux de Jacques Soustelle, à travers Les Quatre Soleils (1969) avaient permis d'apprendre davantage sur ce peuple. Cette fois-ci Miquel Dewever-Plana en offre une vision photographique et presque philosophique. Depuis ses débuts, ce photographe d'origine catalane choisit de mettre sa passion au service des populations sud-américaines. Il co-signe dernièrement un webdocumentaire « Alma, une enfant de la violence », après une immersion de plusieurs mois au sein des maras, des gangs ultra-violents guatémaltèques.
© Miquel Dewever-Plana / Hach Winik
« Les enfants, cachés dans les maisons, m'ont reconnu, et j'entends crier mon prénom. » Le lecteur entre dans ce village avec le photographe. Miquel Dewever-Plana invite à découvrir l'intimité d'un peuple. Les Hach Winik, ou « véritables hommes » tels qu'ils aiment s'appeler, vivent en osmose complète avec la nature. Une vie simple. Le photographe invite donc à découvrir ce microcosme, dans une démarche semblable à celles des anthropologues. Comme des photographies ethnologiques du XIXe siècle, le livre se rapproche de Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss, les images en plus. Plus qu'un simple carnet de voyage, c'est tout un peuple que dépeint Miquel Dewever-Plana. Le lecteur y découvre leur façon de s'habiller, leurs coutumes religieuses et quotidiennes et leur manière de penser.
Les Lacandons étaient le dernier peuple libre et indépendant du Chiapas. A l'arrivée des Espagnols au XVIIe siècle, ils périrent en captivité. Ceux d'aujourd'hui seraient des descendants des Mayas réfugiés dans la forêt pour échapper aux colons. Traditionnellement, ces Indiens vénèrent un dieu : Hach Ak Yum, créateur de leur peuple. Mais de nos jours, comme le révèle Miquel Dewever-Plana, presque tous ont été convertis à une secte évangélique. Seuls deux hommes continuent de pratiquer les rites traditionnels. La religion, quelle qu'elle soit, est donc très présente dans la vie des Lacandons. Nombreuses sont les photos sur lesquelles les Indiens regardent vers le haut, comme s'ils s'assuraient de la présence d'une puissance supérieure. Comme si quelqu'un veillait sur eux, à ce qu'ils ne disparaissent pas, malgré un monde en mutation.
© Miquel Dewever-Plana / Hach Winik
Le photographe partage la vie de ces hommes, du matin au soir. L'intimité est importante. A l'intérieur des maison comme à l'extérieur, il fait découvrir leur mode de vie. Bois, eau, feu, les éléments les plus simples offerts par la nature rythment les pages de ce livre jusqu'à ce qu'apparaissent certains objets de la vie moderne et de la société de consommation qui semblait, jusqu'à présent, bien loin des Hach Winik. Miquel Dewever-Plana relate les paroles de l'une des femmes du village, « De toute manière, pour moi Hach Ak Yum ou Jésus c'est la même chose, sauf que maintenant au lieu de boire du balché, il boit du Coca. » Une phrase révélatrice de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui les Hach Winik. Un peu plus loin dans le livre, c'est une télévision qui trône, dans une cabane en bois. Ce livre trace l'évolution de ce peuple.
© Miquel Dewever-Plana / Hach Winik
La fragilité de leur existence transparait dans la qualité des photos. Fragiles elles aussi. Imprimées non pas sur papier glacé mais granuleux, qui rappelle bien sûr la forêt. Les photographies présentent de nombreux flous et de focus parfois surprenants. Ces flous donnent une impression de mouvement. D'évolution. De monde qui change.
« Officiellement protégée, ce qui était une jungle aux arbres plusieurs fois centenaires a fait place en l'espace de quelques décennies à de gigantesques étendues de pâturages ». Miquel Dewever-Plana offre une réflexion sur l'avenir de la civilisation et ses changements irrémédiables, sans tomber dans la moralisation et la dénonciation. Avec son appareil photo, il est simplement témoin de ces changements. Les images parlent d'elles-même : déforestation, installation de la vie moderne au péril des traditions et d'un équilibre plusieurs fois centenaire.
Malgré cette fragilité, les photos respirent le bonheur et la simplicité. Sur les visages, des sourire. Sur des photo, l'admiration des enfants vers leurs parents. Ce livre partage des valeurs saines et finalement universelles. Et Miquel Dewever-Plana de conclure son récit : « Puis il me regarde, et un doux sourire illumine son visage. Ce sourire sera bientôt – ou peut-être l'est-il déjà – celui d'une époque révolue où les Hach Winik vivaient en hommes libres. »
© Miquel Dewever-Plana / Hach Winik
Photographies et vignette © Miquel Dewever-Plana / Hach Winik
Hach Winik / Editions Le bec en l'air
Miquel Dewever-Plana et Paul Bowles
17 cm x 22 cm / 144 pages
30 euros
Clémentine Mazoyer