Après une carrière dans le marketing, Eric Marais se tourne vers l'image. Sa rencontre avec la photographie au sténopé le fascine et c’est par une exposition à la galerie de l’Aiguillage à Paris qu’il débute dans le monde de la photo alternative «Le principe, photographier chaque visiteur au sténopé». Eric Marais est aussi à l’origine de l'aventure Sténoflex, un kit de photographique accessible à tous, aujourd’hui présent partout dans le monde.
Joan of Arc © Eric Marais
Pouvez-vous nous expliquer cette première exposition au sténopé ?
Je photographiais au sténopé les visiteurs de la galerie. L'idée était de couvrir les murs du lieu avec les images ainsi faites. Le vernissage a eu lieu à la fin de la performance. L’originalité de cette démarche m’a immédiatement séduit, alors j’ai proposé ce type d’événement dans d’autres lieux rencontrant toujours autant de succès. A cette époque, le Sténoflex était déjà mon outil.
Etait-ce une démarche pédagogique ?
Consciemment, c'était davantage une manière de me faire plaisir avec cette petite boite. Il ne me restait plus qu’à paramétrer la boîte, lui donner un nom, me lancer dans l'aventure pour enfin proposer cette dimension pédagogique qu’on lui connait.
Vous avez commencé avec de la photographie plus « classique », comment en êtes-vous venu au sténopé comme moyen privilégié ?
Il y avait une telle profusion de photographies, que cela me semblait difficile de trouver ma place. C’est au hasard d'une rencontre que j’ai croisé le sténopé. Son caractère poétique, un brin magique, voir même mystique s’accordait naturellement avec mon imaginaire. Le sténopé est une pratique qui autorise l'abstraction et si l'on arrive à être en phase avec ce moyen d'expression, tout devient pertinent. Les résultats ne pouvaient que me rapprocher de la peinture, que j'ai toujours voulu pratiquer.
© Eric Marais
Selon vous, quels sont les contraintes et les avantages liés à l'utilisation du sténopé ?
Avec le sténopé, il y a toutes les contraintes liées à la photographie, mais aussi tous ses avantages. Plus sérieusement, je ne vois pas de contraintes particulières, mis à part celles que l'on se pose à soi-même. Je possède un petit appareil photo numérique, qui me semble avoir beaucoup de contraintes : les outils modernes aussi n'échappent pas aux contraintes. (rires)
Avec le sténopé, le photographe s’oblige à une démarche intellectuelle, c'est d’ailleurs pour cela que la pratique devient rapidement intéressante. C’est une porte ouverte sur un champ de création illimité, un laboratoire pour expériences extraordinaires, c’est aussi une pratique simple, économique et de surcroît infiniment pédagogique.
Le seul inconvénient, serait peut-être le peu de photos réalisables en un temps limité. Tout se mérite.
Aujourd’hui, je donne des cours de photographie au sténopé. Les stagiaires qui participent à ces cours tombent très vite amoureux des images qu'ils ont réalisé, ils ont conscience d'avoir produit quelque chose d’unique. Ils se surprennent à regarder, à vouloir comprendre ce qu'ils vont prendre, ce qu’ils ont pris. Le temps n’existe plus. Cela induit invariablement un comportement différent.
Vous avez également écrit un livre sur la photographie au iPhone, pouvez-vous nous en parlez ?
D'une certaine manière, avec l’iPhone, on est aussi dans la photographie alternative. Sa simplicité naturelle et la multitude d’applications qu’il nous propose en font un dispositif toujours ludique. Paradoxalement, c’est un outil qui possède une dimension rustique et il est souvent nécessaire de faire appel à ses émotions pour produire quelque chose d’intéressant. Ici le procédé le plus high-teh, rejoint le procédé le plus archaïque.
© Eric Marais
Votre approche de la photographie change-t-elle selon le matériel ?
Photographier avec l'iPhone reste pour moi une expérience ludique souvent instinctif. Avec le sténopé, le travail de préparation prend beaucoup plus de place, les résultats sont moins prévisibles, la conscience fait partie intégrante du processus de création.
Quel regard portez -vous par rapport à l'évolution du matériel photographique ?
Le matériel proposé aujourd’hui est de plus en plus sophistiqué, il nous propose un résultat toujours plus performant, voir flatteur. J’observe qu’il induit des comportements parfois irrationnels, parfois excessifs. Face à tous ces écrans qui me montrent tant d'images, je pourrai me sentir un peu perdu (rires).
© Eric Marais
Quel regard portez-vous sur la découverte de vos photographies, êtes vous surpris?
Quand je découvre mes images, toujours en négatif, je me sens plongé dans une compréhension partielle de celles-ci. Quand je les passe en positif, je touche à autre chose, toujours dans la découverte. Ces expériences requièrent toute mon attention. Le temps n’existe plus, je ne suis plus dans l'immédiateté, seulement conscient de l’acte de ma création et la surprise fait parie intégrante de cet acte de création.
© Eric Marais
Retravaillez-vous vos images, de quelle manière et que recherchez-vous ?
Même si au début je ne souhaitai aucune retouche, je m’autorise à les recadrer,. Je réalise également un gros travail de nettoyage. Pour le reste, mes images sont tirées par Martin Garanger qui compose avec ce que je suis, ce que je veux et ce qui est possible .
Vous utilisez beaucoup le noir et blanc, mais aussi la couleur. Qu'est ce qui détermine ce choix ?
Le noir et blanc est techniquement plus facile à travailler, (c’est ce que je propose avec le Stenoflex qui est un kit photographique qui permet de découvrir la prise de vue au sténopé mais aussi le développement noir et blanc argentique).
La couleur exige des compromis, le risque étant d’éloigner le photographe de son intention. Le noir et blanc est plus subtil. Il laisse une grande part à l’imaginaire de celui qui regarde. Enfin, le noir et blanc correspond davantage à mes goûts mystico-gothique du moment.
© Eric Marais
On retrouve cet esprit-là dans votre série «Vita-Mors»
Avec cette série, je cherchais un sujet qui soit en adéquation avec la boîte que je voulais utiliser, le Stenoflex Vita-Mors (une série limitée désinée par Daniel Martin Diaz, un artiste de Tucson en Arizona).
La boîte qui a servi à faire chaque photo n'a été utilisée qu'une seule fois et ne servira plus, de la même façon, les photographies ont été tirées en un seul exemplaire. Ainsi lorsque l'on acquière une photographie, la boîte et le négatif accompagnent le tirage. L’unicité est toujours prédominante dans mon travail.
Vita-Mors © Eric Marais
Avez-vous des photographes ou des figures artistiques qui vous inspirent ?
En peinture, ce sont essentiellement les primitifs flamands. Il y a aussi des photographes dont le travail m’impressionne, et dont j'aimerai rapprocher ma sensibilité, comme par exemple Giorgia Fioro, que j’ai découvert à la MEP avec son travail sur «le don».
Propos recueillis par Manon Froquet