© Sabine Dizel
Sabine Dizel, a découvert le sténopé pendant ses études à l’Ensad (Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris), et ne l'a jamais quitté depuis. En parallèle, elle a soutenu une thèse sur le sténopé et poursuit ses recherches en arts plastiques. Elle enseigne aujourd'hui la photo aux beaux-arts de Paris. Cet aller-retour entre recherches théoriques et pratique artistique n'a eu de cesse de nourrir son travail photographique.
Sabine Dizel est également membre du collectif Ophoma, qui regroupe cinq photographes résolument attachés à une forme de photographie qui se nourrit de la survenance d’aléas.
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Comment avez-vous rencontré le sténopé?
C'est l'un de mes enseignants en photographie qui a voulu initier les élèves aux techniques photographiques avec toute une série d'enseignements, dont le sténopé. J'ai été fascinée. On commence avec une boite à chaussures percée d'un petit trou, avec du papier photo noir et blanc qu'on place à l'intérieur, et on laisse exposer pendant des heures à la lumière du soleil.
Le sténopé s'inscrit-il dans un rapport à l'histoire ?
Nous y sommes un peu contraints, puisque c'est quand même un grand dispositif de la Renaissance, cette référence reste donc présente. Nous sommes autant dans l'observation que dans la photographie avec le sténopé, car c'est avant tout un dispositif destiné à l'observation du monde alentour avant d'être un procédé photographique. Le sténopé peut prendre des photographies, mais il n'est pas que la camera obscura. Ce que j'aime dans le sténopé, c'est que l’on ressente la vibration de la lumière.
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La découverte du sténopé a vraiment été un coup de cœur ?
La photographie, à mon sens, est une histoire de contrôle. Il faut contrôler la lumière, le cadrage, contrôler ce que l'on enregistre. Tandis qu'avec le sténopé, il faut lâcher prise.
La photographie devient un jeu, il peut toujours arriver quelque chose d’inattendu, qui va enrichir la photographie. Comme des bombardements de photons, des raies de lumières parasites, des striures, des hachures, des poussières qui rentrent dans les boîtes. Mais aussi les distorsions colorées, les films ne répondant pas, comme nous le souhaiterions, le temps d'exposition étant dépassé.
C'est l'aspect inattendu, imprévisible de la photographie au sténopé, qui vous fait privilégier ce médium ?
Avec le sténopé, il faut essayer de contrôler, en utilisant toujours le même type de boîte et en affinant le plus possible. À chaque fois qu'un projet est arrivé à ce point de maîtrise, lorsque je sais ce que je vais obtenir, je recommence et reconstruit une nouvelle boîte.
Cela dépend aussi du matériel réagissant par des bascules de couleur aux longs temps d’exposition, des films argentiques, le noir et blanc ou la couleur, des supports numériques.
Je ne travaille pas avec du papier, parce que j'aime bien l'idée des tirages. L'idée du multiple dans la photographie est plus intéressante à mon sens que l'idée de l'unique .
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Avec le temps et la pratique, la dimension aléatoire du résultat doit-elle être davantage maitrisée?
Je ne crois pas, parce qu'on a toujours des surprises et des déconvenues. Dans ma démarche, j'essaie toujours d'aller plus loin, d'avoir des idées un peu plus folles et parfois, je remets tout à plat , cela fonctionne ou pas – et je construis de nouvelles camerae obscurae.
Comment s'effectue votre choix du matériel photographique ?
J'ai une idée de ce que je veux faire, avec un certain type de matériel réalisé. Une boîte que j'aurai construite moi même ou quelque chose que j'aurai reconditionné. Selon le type de support que j'introduis, je sais à peu près quel type de distorsions j'obtiendrai. Je cherche à évoquer de menues sensations visuelles avec le sténopé, que j’oppose à la vision appareillée, normée de la photographie dans ses usages les plus courants. Tous ces paramètres vont me permettre de gérer mon sujet.
C'est la découverte des images, qui détermine l'axe que prendra la série photographique?
Au départ, j'ai une thématique donnée. Comme « Les dormeurs », qui sont des personnages aux yeux fermés, trouvés dans les photographies de journaux. Si l'on regarde bien, c'est extrêmement rare. Je suis donc allée chercher ces dormeurs dans les journaux, et je les ai photographiés avec un capteur numérique. En découvrant la première image, j'ai été surprise : on pouvait prendre les photographies dans un sens comme dans un autre. Puis, au tirage, les dormeurs apparaissaient comme des ronds de lumière. Cela m'a évoqué des lunes. Alors j'ai travaillé dans cette optique là, après j'affine, développe, je fais des tests pour améliorer.
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Quel regard portez-vous lors de la découverte de vos photographies ?
C'est souvent une surprise, c'est pour cela que j'apprécie le sténopé. C'est aussi le moyen de se renouveler le plus possible. Je ne cherche pas du tout à reproduire des choses qui se ressemblent, mais à toujours susciter de nouvelles surprises, à découvrir quelque chose de nouveau, à m'engager dans d'autre cheminements que je n'avais pas encore envisagé.
Vous utilisez une variété importante de dispositifs : le dyptique, la série, les accumulations de fragments. Qu'est-ce qui détermine vos choix ?
C'est à la première vue des résultats photographiques que les images me donnent des indications. En les découvrant, la présentation prend corps. Comme pour la série « L'autoportrait en miettes ». En ouvrant les photos sur l'ordinateur, dans le programme dédié de l’appareil jouet que j’avais utilisé pour la série, d’un quadrillage de vignettes elles se sont affichées sous la forme de quadrillage d'image. C'est cela qui m'a amené à cet assemblage final, c'était intéressant de garder une trace de ce premier visionnage.
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Votre démarche est un peu expérimentale ?
Certainement. Ne pas savoir où l'on va, cueillir la nouveauté comme elle vient, comme pour moi l'intégration du numérique, tout cela possède une dimension expérimentale.
Selon vous quels sont les contraintes et les avantages liés à la photographie sténopé ?
Je me suis lancée dans le sténopé pour la dimension surprenante qu'il offrait. Mais aussi parce que je cherchais une photo, un peu plus imaginative qu'une simple reproduction de la réalité du spectateur. Il fallait que se soit rêveur. Le sténopé a été cette porte d'entrée dans l'imaginaire photographique, même s'il en existe d'autres.
Le principal avantage que j'y vois, c'est la possibilité d'aller encore plus loin dans son propre imaginaire, et de faire appel à l'imaginaire. Les photos sont souvent assez floues, peu définies, cela ouvre à de nombreuses interprétations. D'ailleurs, les réactions sont fréquemment assez surprenantes.
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L'inconvénient, c'est la somme d'essais nécessaires pour arriver à un résultat. J'ai des armoires pleines de boîtes, qui n'ont jamais fonctionné. Des carnets pleins, de projets qui n'ont jamais vu le jour. Parfois, les résultats sont vraiment catastrophiques. Je ne suis jamais certaine d'obtenir une image, ni qu'elle sera intéressante. Cela peut aussi ressembler à une photographie prise avec un appareil photo ordinaire, dans ce cas je suis horriblement déçue.
Ce qui est particulier au Sténopé, qui permet de l'identifier, c'est une certaine douceur.
En l'absence d'optique, l'image ne se forme pas de la même manière.
Un certain manque de piqué se combine à l’extrême profondeur de champ propre au sténopé.
Retravaillez-vous vos images ?
Non pas du tout. Mais je me réserve la possibilité de les tirer, de les imprimer suivant différentes variantes. Un sujet tiré en 2006, si je le retire en 2012, ce ne sera pas de la même manière, parce que j'aurai envie d'autre chose. Même au niveau du tirage, ce ne sera pas linéaire. Je vais aussi tester différents supports d'impression. C'est d'ailleurs cette possibilité qui me plait dans le numérique. Avec l'argentique, il faut travailler avec le papier argentique disponible, ou alors utiliser les techniques anciennes, palladium, charbon...
On retrouve le grand plaisir d'être à la charnière entre argentique et numérique, avec cette richesse de la pratique photographique. Elle continue à s’appauvrir avec la perte progressive de pans de la photographie argentique. Déjà l'offre se réduit, se raréfie énormément.
Vous utilisez aussi bien le noir et blanc que la couleur, comment le choix se fait-il ?
C'est le sujet, ou éventuellement la disponibilité du support qui va guider mon choix.
Utilisez-vous d'autres outils photographiques que le sténopé ?
Je possède de vieux appareils jouet, dont je me sers à l'occasion. J'ai un appareil pour enfant pourvu de deux viseurs pour les deux yeux, qui utilise du film 110.
J'ai aussi un instamatic, des systèmes polaroid, des boitiers anciens hérités de mon grand-père, de mes grands oncles, des boitiers en panne récupérés ici et là.
Mais je me suis heurtée au problème de la commercialisation des films, il existe encore quelques supports, mais pas ceux que j'utilisais. La fin de l'argentique termine en partie mes expériences de ce côté là.
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Quel regard portez-vous sur l'évolution du matériel photographique, notamment l'arrivée du numérique ?
Ce qui m'intéresse follement, c'est d'être à cheval sur les deux périodes : l'argentique et le numérique. C'est vraiment une chance extraordinaire, de profiter des avantages de l'argentique et de ceux du numérique. Il existe des accidents spécifiques à l'argentique et au numérique. Il y a cette facilité liée au numérique, mais aussi cette profondeur d'image propre à l'argentique.
Comment avez-vous vécu l'arrivée du numérique ?
C'est arrivé comme un terrain de jeu, le numérique est apparu quand j'étais à l'école des arts décoratifs. A ce moment-là, il n'était pas enseigné dans le champ de la photographie. Donc avec les quelques personnes qui s'y intéressaient spontanément, nous avons été obligés de rejoindre les cours de graphisme dans lesquels étaient enseignés le photomontage . Cela représentait une réelle ouverture, d'ailleurs les travaux liés aux numérique partaient un peu dans tous les sens.
Est-ce qu'il y a des figures photographiques ou artistiques qui vous inspirent ?
Le champ est large, il n'y a pas de figure en particulier. J'ai des affinités avec beaucoup d'artistes qui explorent la dimension onirique. J'essaie de suivre la pratique des photographes qui font du sténopé.
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Etes-vous en contact entre sténopistes ?
J'en ai eu assez à un moment, de faire du sténopé seule dans mon coin, ce qui n'est pas si facile. Donc j'ai soumis mes images, pour l'exposition du Bourget «Les rencontres internationales du sténopé». J'ai été sélectionnée plusieurs années de suite, et c'est à cette occasion que j'ai rencontré d'autres personnes pratiquant le sténopé. Nous communiquons également par internet, via des expositions, ce qui nous permet de voir une évolution du travail.
Comment la photographie sténopé intervient-elle dans votre travail d'enseignement ?
J'enseigne les techniques de laboratoire argentique et les fondamentaux de la prise de vue numérique. Je tente de sensibiliser les élèves au fait qu'il n'y a pas qu'une seule photographie, qu'il existe un très large éventail autour du médium. Il y a des tendances dans la photographie, par période, où l'on privilégie tel type de photographie plutôt qu'un autre. Je souhaite que les étudiants choisissent en connaissance de cause. Pour cela, j’essaie d'élargir les horizons, avant qu'ils ne se décident pour une pratique photographique.
Vous réalisez des recherches en ce moment ?
En ce moment, c'est la série « Les dormeurs», présentée à la dernière exposition du Bourget, dont le thème était « La fin du monde ». La série comportait d'une part un volet positif et de l'autre un volet négatif, des dormeurs d’une part, des portraits mortuaires d’autre part.
L'aspect technique de la photographie vous intéresse-t-il beaucoup ?
Je suis technicienne photo de formation, mais cela n'exclut pas d'aborder un rapport à l'image plus théorique, d'éprouver l’appareillage photographique tout en analysant la réception des images.
J'aime ce mélange, mettre la main à la pâte tout en travaillant sur l'émotion, la rêverie, l'imaginaire.
Propos recueillis par Manon Froquet