© Romain Alary et Antoine Levi
Antoine Levi est photographe et vidéaste, Romain Alary chef opérateur/cadreur. Tous les deux passionnés de l’image, ils travaillent ensemble au développement de leur projet Stenope.es. Un projet original, qui utilise la très ancienne technique de la caméra Obscura.
Les deux vidéastes utilisent ce dispositif pour projeter le paysage environnant à l’intérieur d’habitations. Toujours en recherche autour de cette « chambre noire» et porteur d’une multitude d’idées, leur projet Romain Alary et Antoine Levi est un véritable appel à la curiosité.
© Antoine Levi et Romain Alary
Comment ce projet est-il né ?
Nous avons découvert le procédé en Inde en 2008. Le matin, dans l’une des chambres, nous vu des choses qui bougeaient sur le plafond. Nous nous sommes alors dit que nous étions à l’intérieur d’une caméra obscura. Nous avons commencé à obstruer la pièce et tout s’est mis à apparaitre. À partir de là, nous avons pensé à réaliser un film, et l’aventure a commencé. Le projet a véritablement décollé l’année dernière, avec les appartements Parisien. Nous avons eu beaucoup de retours, les gens étaient intéressés par le projet.
Nous avançons doucement dans le projet car nous manquons de temps. Le principe est quand même assez long, pour arriver au résultat final de la vidéo. Actuellement, nous avons beaucoup de matière, beaucoup de rush, dont nous avons sorti quelques photos sur internet.
Etiez-vous déjà familier du sténopé?
Nous avions expérimenté le sténopé au cours de notre formation. Le système nous plaisait déjà, mais autant que d’autres dispositif. Pour nous, c’était vraiment par accident ce retour vers le sténopé.
Est-ce important pour vous de remonter à l’origine du dispositif faiseur d’image?
Ce qui nous plaît, c’est qu’aujourd’hui beaucoup cherchent à tout prix à avoir la dernière caméra, la haute définition. Tandis qu’avec ce projet, cette dimension passe à côté. C’est merveilleux un dispositif aussi simple, il n’y a pas d’objectif, seulement du noir et un trou.
Nous travaillons tous les deux dans l’image, un domaine qui comporte beaucoup de contraintes techniques, où il est important d'avoir l’image la plus nette possible. Alors qu’avec presque rien, il est possible d'obtenir des choses merveilleuses, accessibles à tous.
© Antoine Levi et Romain Alary
Quel regard portez-vous face au matériel, notamment l’arrivée du numérique?
Nous faisons partie de cette génération qui a connu les deux, donc nous avons su nous adapter sans problème. Cela permet de faire et refaire des choses différentes. Évidemment, si l'on avait suffisamment d’argent, nous adorerions travailler en argentique. Ce qui est drôle, c’est que même si l'on travaille en numérique, l'on tente de se rapprocher de la définition de la pellicule. Nous avons tout de même cette culture de la pellicule, ce qui est essentiel. L’avantage avec le numérique, c’est aussi que les disciplines sont moins séparées. Il est désormais possible de basculer de la photographie à la vidéo plus facilement.
Vous avez lancé un appel à candidature pour photographier des appartements, que vous investissez ensuite. Comment cela se passe t-il ?
L’idée est de garder le lieu tel qu’il est. Si l’appartement est trop ordonné, cela ne nous intéresse pas. Nous n'apportons pas de modifications importantes au lieu proposé, nous cherchons à garder l’esprit de l’appartement.
Pourquoi ce choix des appartements ?
Nous avions envie de faire une topographie de la ville de Paris. Avec la possibilité de décliner cela dans d’autres grandes villes du monde. Avec l’idée que les intérieurs et les extérieurs ressemblent vraiment à ses habitants. Réaliser ce projet autour de Paris nous a demandé beaucoup de travail, alors nous espérons que cela nous ouvrira des portes pour aller travailler ailleurs.
© Antoine Levi et Romain Alary
Quels sont les contraintes et les avantages de ce dispositif ?
La simplicité du dispositif est impressionnante. Dans la projection, c’est vraiment très facile à installer, et c’est immédiat. L'un des appartements que nous avons investi était immense, il faisait 350 m2. Dans le salon, il y avait 4 fenêtres, nous les avons recouvertes de bâches, nous avons fait un petit trou et tout d’un coup les projections sont apparues. C’était comme au cinéma, le mur blanc était immense. Nous sommes resté des heures et des heures à regarder, nous avons même installé un lit. Lorsque la propriétaire a vu le résultat elle a voulu que d’autres gens en profitent, donc nous avons invité du monde. Les gens ne comprenaient pas que cela puisse fonctionner, ils pensaient que nous utilisions un vidéo-projecteur. En réalité, c’est encore plus simple que cela.
Vous n’avez jamais eu de mauvaises expériences de terrain dans ces appartements ?
Pas vraiment. De manière générale, c’est toujours dans la bonne humeur. Le problème va plutôt être dans les contraintes météorologiques. Parfois, le temps est vraiment trop mauvais, il fait tellement gris dehors, que cela ne fonctionne pas bien. Ou alors les murs ne sont pas vraiment blancs, mais l'on arrive toujours à sortir une image photo. A l’inverse, nous pouvons réaliser des choses fabuleuses avec le temps idéal.
Vous avez décliné le projet de nombreuses façon, vous avez notamment collé vos images dans la rue à Arles, mais aussi investi des friches, pouvez-vous nous en parler ?
L’avantage de ce projet, est d’être aussi ouvert et dynamique. Nous avons encore beaucoup d’idées en tête.
La rue est aussi un moyen d’exposer notre projet hors du web, de la TV. Cela permet aussi d’avoir un retour des gens, beaucoup plus direct. Avec internet, nous avons également des retours, mais ils n’ont pas la même dimension. Le questionnement est souvent axé sur l’aspect technique de notre travail, ce qui nous intéresse moins. Pour nous, le plus important est de savoir ce que dégagent ces images chez les gens.
En ce qui concerne les friches, il s'agit d'un endroit où l'on a seulement pu faire des photos. Les bâtiments allaient être détruits le lendemain, nous étions vraiment contraints par le temps pour réaliser quelque chose à partir de ce lieu.
© Antoine Levi et Romain Alary
Le dispositif est-il inépuisable ?
Oui, c’est comme si nous avions découvert une nouvelle façon de voir le monde, que l’on peut utiliser pour une multitude de choses différentes. Il nous reste encore beaucoup d’appartements à explorer, mais aussi d’autres lieux.
Pour nous, c’est avant tout faire un projet comme en avons envie. C’est un projet indépendant, il n’y pas de production, donc aucun compte à rendre à qui que ce soit. Si cela plaît et intéresse les gens tant mieux, si ce n’est pas le cas tant pis, cela reste du plaisir pour nous.
L’aspect participatif est aussi très agréable. Notre entourage, qui ne vient pas forcément du monde de l’image, nous aide. Au sein de notre travail, cela apporte une autre dimension, les gens s’intéressent au projet.
Vous étiez familier de la figure d'Aberlado Morell, comment vous positionnez-vous par rapport à ses travaux?
Son travail allait assez loin dans la recherche, mais il n’a jamais utilisé l’image mouvement. Il n’a pas exploité complètement le dispositif. Peut-être était-il davantage dans une vision classique. De notre côté, nous cherchons à expérimenter d’autres choses. Ce qui nous intéresse vraiment, c’est de voir comment évolue la lumière à l’intérieur des pièces et de voir le temps évoluer. Nous travaillons notamment avec le défilement du soleil. Notre médium final n’est pas le même, pour nous cela reste la vidéo. Abelardo Morell a toujours utilisé un dispositif photographique frontal. Tandis que dans nos travaux, la caméra se balade, nous essayons de capter différents points de vue. Beaucoup d’années se sont écoulées depuis ses travaux et il existe aujourd’hui de nouveau moyens de captations numériques.
En réalité, nous nous sommes davantage intéressés aux travaux liés au sténopé, une fois que l’on s’est mis à travailler sur ce projet. Nous avons aussi appris avec l’expérience. Au fil des accidents, des problèmes techniques, nous améliorons la projection, affinons les cadrages. La première vidéo que nous avons réalisé sur Paris nous paraît caduque aujourd’hui.
© Antoine Levi et Romain Alary
La dimension temporelle est frappante dans vos vidéos, pouvez-vous nous en parler ?
Nous jouons un peu avec cette notion, qui nous paraît intéressante. Nous nous redons compte que cela ne bouge pas non plus énormément. Nous tentons de capter le mouvement des nuages, les changements d’éclairage. C’est davantage un élément avec lequel nous jouons dans le montage, où l’on va dilater ou raccourcir certains aspects.
Votre démarche est-elle expérimentale ?
Complètement, non pas en ce qui concerne les films que l’on présente, mais sur la base un peu labo. Comme en ce moment, où nous travaillons sur l’idée d’un sténopé en trois dimension.
Dans l’expérimentation, nous cherchons à pousser toujours plus loin le procédé. En ce moment, nous nous intéressons aux lieux abandonnés, nous voudrions aussi travailler avec des peintres.
© Antoine Levi et Romain Alary
Envisagez-vous d’intégrer des figures humaines dans vos vidéos ?
Cela fait partie des choses que nous aimerions essayer. Mais c’est un peu compliqué, il faudrait pouvoir trouver quelqu’un qui accepte de rester avec nous une demi journée, et de se déplacer très lentement. Ou alors quelqu’un qui dort.
Quel regard avez-vous, lorsque vous découvrez les images projetées et ensuite vos images captées : êtes-vous surpris ?
Il y a de la surprise et surtout nous avons toujours envie d’en avoir plus. Nous voulons aller plus loin encore dans le dispositif, que ce soit encore plus important, plus surprenant. Même avec l’expérience, lors de la projection, nous doutons que cela fonctionne, alors que cela fonctionne obligatoirement.
Lorsque les images apparaissent, c’est une redécouverte totale du lieu. Certain propriétaires des appartements restent avec nous. Ils découvrent les projections, et sont complètement fascinés. Ils vivent là, au quotidien, et tout à coup arrivent des lumières sur leur plafond, leur cuisine, leur chambre…
Il y a un côté inattendu et surprenant. Nous ne voyons pas tout de suite certains mouvements de lumière, c’est après que nous les découvrons, en regardant les images captées. Mais avec l’image tout est très aplati, la projection réelle est beaucoup plus impressionnante. La caméra exclue certaines choses : par exemple le fait de se balader dans l’appartement donne une autre dimension.
© Antoine Levi et Romain Alary
Votre regard par rapport à Paris a-t-il changé depuis le début du projet ?
Désormais, nous sommes beaucoup plus à la recherche d’endroits intéressants. Pendant un moment, nous voulions projeter la tour Eiffel, donc nous avons cherché tous les meilleurs angles pour capter cette image. Aujourd’hui, notre vision de Paris a pris cette perspective de recherche.
A l’avenir, si nous réussissons à obtenir un financement, nous pourrons alors louer des appartements ou des chambres d’hôtel, que nous aurons délibérément choisi.
Actuellement, même si nous arrivons à avoir plus ou moins ce que nous voulons, nous sommes obligés de nous adapter aux lieux proposés par les gens. Par exemple, nous avons eu un appartement avec des grilles devant la fenêtre, nous avons été contrains du faire avec. Nous sommes toujours confronté à des choses un peu étranges, donc nous composons avec.
© Antoine Levi et Romain Alary
Y a-t-il des lieux qui vous font fantasmer pour ce projet ?
Nous aimerions beaucoup projeter en direct dans le cadre d’une exposition. Les gens se retrouveraient à marcher au plafond.
Avez-vous beaucoup de projets à venir ?
Énormément. Dans un premier temps, finir ce qui est en cours, et dans un second, nous aimerions beaucoup faire voyager le projet. Nous avons aussi beaucoup d’idées liées au bunker et aux blockhaus, nous aimerions travailler dans les bois, ou utiliser un camion.
Propos recueillis par Manon Froquet