6Mois est en librairies, et fait à nouveau parler d'elle. La revue de photojournalisme s'est habillée d'un titre prometteur : « La fureur de vivre ». Les premières lignes de son édito annoncent tout de suite la couleur des pages qui vont suivre : « Stephen Mayes, le responsable de l'agence VII à New York, l'une des plus exigeantes aujourd'hui, appelle les photographes à casser les codes du photojournalisme figé dans l'horreur. « Les représentations de la guerre s'enferment dans les stéréotypes. Certains codes visuels reviennent régulièrement. Ils nous montrent ce que nous savons déjà, au lieu de tenter d'ouvrir de nouveaux horizons », dit-il en dénonçant l'uniformisation des images. Il suggère aux photojournalistes de raconter d'autres histoires, plus proches de la vie quotidienne ou du monde économique. »
Ainsi, ce numéro s'est inscrit dans une prise de distance face aux sujets trop vus, trop lus. En prime, le reportage de Miquel Dewever-Plana dont une image puissante illustre la couverture de 6Mois. Un reportage réalisé au Guatemala, sur sa violence, à travers les yeux de jeunes issus de gangs mais surtout d'Alma, jeune femme au centre d'un projet que le photographe de l'agence VU' a réalisé avec la journaliste Isabelle Fougère. De ce projet est né un livre, mais aussi un webdocumentaire, « Alma, une enfant de la violence », qui a remporté le World Press Multimedia 2013.
6Mois s'impose cette fois encore dans l'univers de la presse photojournalistique. Des choix rédactionnels intéressants et passionnants, images de choix et sujets déroutants.
Rencontre avec sa rédactrice en chef, Marie-Pierre Subtil.
Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de 6Mois
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J'ai débuté comme journaliste à la télévision, au début des années 80, avant d'entrer au Monde où j'ai passé 22 ans, couvrant successivement l'Europe, l'Afrique, les banlieues françaises, la Russie. Quand j'ai quitté le quotidien il y a deux ans pour m'occuper de 6Mois, j'étais grand reporter.
Comment est née la revue 6Mois ?
6Mois est née de XXI. La revue trimestrielle étant un succès, ses fondateurs, l'éditeur Laurent Beccaria et le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, ont décidé de lancer une revue de photojournalisme sur les mêmes bases : publier des travaux journalistiques approfondis, dans une revue de qualité, distribuée en librairies.
© Paolo Marchetti
Quelle est sa visée ? Ses enjeux ? Sa ligne directrice ?
Le propos de 6Mois est de raconter le monde d'aujourd'hui, de montrer comment les gens vivent aux quatre coins de la planète, avec des sujets réalisés sur la longueur. Chaque portfolio publié fait au moins 20 pages. Cela suppose un engagement de la part des auteurs, qui sont autant journalistes que photographes.
Le nouveau numéro de 6Mois est sorti il y a peu en librairies : pouvez-vous nous parler du choix de Miquel Dewever-Plana ?
Nous avons vu le travail de Miquel Dewever-Plana en projection à Visa, le festival de photojournalisme de Perpignan, en septembre. Les photos défilaient avec, en bande-son, la voix du photographe qui racontait la vie des gangs du Guatemala. La qualité des photos, alliée au timbre de la voix et à la pertinence de la démarche, était telle que le choix s'est imposé, c'était typiquement un sujet pour 6Mois.
Que pensez-vous de son travail ?
Miquel Dewever-Plana est à la fois un excellent photographe, un excellent journaliste, et un homme engagé. Il a passé cinq ans sur ce travail, en donnant aux Guatémaltèques qu'il a suivis non seulement un visage, avec ses photos, mais aussi la parole, puisqu'il les a enregistrés et a restitué leurs propos dans son livre, L'Autre Guerre, paru aux Editions du Bec en l'air. Son travail est exceptionnel.
Que pensez-vous du webdocumentaire « Alma, une enfant de la violence » ?
Personnellement, je ne suis pas fan des webdocs, je préfère les histoires avec une narration linéaire. Or celui-ci renoue avec ce type de narration, grâce au témoignage très fort d'Alma qui focalise l'attention du spectateur sur une histoire.
Comment réalisez-vous vos choix de photographes ?
Nous ne parlons pas de photographes mais de photojournalistes, et nous les publions en fonction de coups de coeur. Nous avons bien sûr des critères : le sujet doit raconter un petit bout du monde d'aujourd'hui, pas le monde en voie de disparition mais le monde en construction. Et nous aimons voir les sujets photographiés en situation, plutôt qu'en série de portraits.
© Janet Jarman
Avez-vous des regrets quant à certains photographes dont vous ne pourriez parler ?
Aucun
Etant donné qu'il y a deux numéro par an, n'est-ce pas frustrant ?
Nous n'avons pas le temps d'être frustrés. Il nous faut six mois pour le faire, et aux lecteurs six mois pour le lire. Six mois pendant lesquels la revue reste sur la table du salon. Les enfants, la belle-mère, les voisins, picorent une histoire de-ci, de-là, puis la revue va compléter sur une étagère le début d'une collection qui raconte le vingt-et-unième siècle.
Propos recueillis par Claire Mayer