© Catherine Balet
C'est à une véritable conversion de l'oeil à laquelle nous invite Catherine Balet avec ses « Strangers in the Light». La couverture laisse peu présager de son univers. Un voile opaque la recouvre, laissant passer des abscisses de lumière. Le titre prend tout son sens lorsque l'on parcourt ses premières pages.
On découvre une scène de la nativité. Un enfant au centre, entouré par sa famille. La lumière émane de leurs téléphones, appareils photos, ordinateurs. Une nouvelle renaissance? Ces visages sont sans expressions, déshumanisés. Au milieu de cet accumulation de technologie, les personnages semblent parfois chercher un contact humain, un regard les trahis. Comme ce couple face à face mais séparé par deux ordinateurs.
© Catherine Balet
Catherine Balet dans sa préface révèle sa réflexion, son projet : « Strangers in the light » : « Si j'ai voulu traduire l'absence d'expression de mes personnages émergeant de l'obscurité, avec leur regard rêveur et vide, c'est pour souligner qu'ils se tiennent justement dans un entre-deux, dans un état de repli, accrochés à la lumineuse prothèse numérique devenue le prolongement de leur corps. »
Cette série de photographies a été travaillée, réfléchie. Du choix des vêtements, aux couleurs. L'apparence des protagonistes, les décors, l'ambiance sont approfondis. « Il fallait rechercher le bon casting, les accessoires et l’environnement. La difficulté était de faire coïncider les quatre éléments pour que la photo prenne vie. Cela m’a pris deux ans pour réaliser les 85 images du livre ». Les remerciements de fin révèlent l'investissement des modèles et stylistes. La particularité des photographies, est étayée par un papier agréable, granuleux, épais, lumineux, reflétant les éclairages.
© Catherine Balet
Tout semble passer par ce simulacre digital qui nous magnétise. Que ce soit la cuisine, la religion, le sexe, les jeux, le travail. Le fictif s'introduit dans la vie réelle. Deux hommes jouent « à la guerre » vêtu de treillis, casques et armes. Des héros en combinaisons de Catwoman et Batman se divertissent avec des jeux vidéos. De nombreux univers disparates sont incarnés. Une mariée vêtue de son écrin blanc, un prêtre accomplissant la messe devant un ordinateur, connecté à deux femmes en prière. Catherine Balet met également en scène des personnages cinématographiques. A l'image des quatre gangsters maniant le poker.
© Catherine Balet
Irréversible non communication, solitude de la modernisation. Un simple repas de famille, un des moments les plus conviviaux de la journée se transforme en dîner connecté. Chacun son jouet, aucun contact humain n'est possible. « La série « Strangers in the light » traite du paradoxe entre les progrès étonnants qu’offrent les outils numériques et leurs dérives dans nos sociétés. Je suis contemporaine de ce paradoxe et j’utilise leur capacité d‘intégration, de fonctionnement à faible lumière, particulièrement pour cette série. »
Certaines photos plus que d'autres se risquent à la destabilisation. Le regard ose à peine les contempler. Ce couple nu qui s'observe à travers l'écran glacial de l'ordinateur. La lumière accède à l'intimité, elle devient voyeuse.
© Catherine Balet
Au milieu de ces photos, mises en scènes, apparaissent des visages, photographiés de près, sans artifices, lumineux, humidifiés par des larmes. La tension augmente. Pourquoi en viennent-ils aux sanglots ?
Ces personnages, qu'ils soient proches ou inconnus, sont des étrangers les uns pour les autres. Ils sont happés par ces lueurs artificielles. Les humains se métamorphosent en robot, à l'image de cet homme connecté par une oreillette, éclairé par un rayonnement vert, ou cet individu chauve avec ses lunettes carrées illuminées par l'écran. Les photographies de Catherine Balet exposent une lumière insidieuse, pénétrant dans la chair, à travers les ondes, les lumières. L'olympia de Manet porte un ipod à la place du sexe féminin, le numérique s'accapare notre corps.
© Catherine Balet
Catherine Balet puise une partie de ses références dans les oeuvres picturales, tout en les détournant. On remarque une référence à la jeune fille à la perle de Vermeer de Delft. Semblable à cette femme portant un costume de l'époque flamande devant un ordinateur. Ses tableaux modernes font écho aux peintures de Georges De La Tour ou Jean-François Millet. « Pour la réalisation de chaque image, il y avait d’abord l’idée que je mettais en correspondance avec un tableau classique, non comme une parodie mais comme un support pour la composition. »
© Catherine Balet
Les personnages de ces photographies symbolisent l'être connecté. Ceux, qui ne peuvent plus quitter leur téléphone sans se sentir « nu ». Ceux qui à peine installés confortablement dans leur canapé, appuient sur le bouton « marche » de leur ordinateur. Ceux, qui branchent chaque jour leurs écouteurs, pour s'évader ? La première photographie donne la vie. Le livre se conclut sur un enterrement, inspiré de L'Angélus de Millet. Une croix brandie au milieu d'un champ, deux personnes têtes baissés à ses pieds, un adieu à la technologie ou à notre humanité ?
© Catherine Balet
Photographies et Vignettes © Catherine Balet
Strangers in the Light par Catherine Balet
Editions STEIDL GL
29,7 x 29,7 cm / 96 pages
28 euros
Louise Leclerc