Photos et vignette © Graciela Iturbide
Désireuse de travailler dans le monde du cinéma, la photographe Graciela Iturbide en vient tardivement à la photographie. C'est au contact de Manuel Alvarez Bravo que l'artiste Mexicaine devient elle aussi photographe, sans pour autant reproduire les pratiques de son maître. Photographe majeure de la scène internationale, Graciela Iturbide, est aujourd'hui l'une des figures les plus renommée de la photographie Mexicaine.
Au fil des pages de ce Photopoche, on capte le pouvoir évocateur et l'évidence poétique des photographies de Graciela Iturbide. Néanmoins, un voile énigmatique subsiste, les clichés intriguent tout autant qu'ils affectent. Toute la beauté et la force du travail photographique de Graciela Iturbide s'exprime dans cette capacité à porter vers un ailleurs, un espace mental unique et personnel.
Dans son introduction, Michel Frizot rends hommage à son « aptitude constante aux associations imaginaires : ses photographies, y compris les plus réalistes, s'offrent comme support d'une rêverie et d'une interrogation à lever, dont l'issue restera en suspens ».
Un dialogue entre la photographie et son spectateur émerge. Oeuvres ouvertes, les photographies de Graciela Iturbide se déclinent en métaphores.
© Graciela Iturbide
« Invitation au voyage », les clichés en noir et blanc de la photographe s'ancrent aussi dans l'univers Mexicain et la tradition expressionniste de certains peintres comme Riviera ou Orosco. La filiation avec Frida Khalo, à qui elle rend hommage avec la série «Le bain de Frida », se dessine dans leurs attachement commun au monde Indigène.
La photographe séjournera à de nombreuses reprises auprès de communautés indigènes. Avec la peuplade Séri en 1978, elle réalisa alors les célèbres clichés « mujer Angel » et « El desierto de Sonora ». Puis, c'est un séjour à Juchitàn, petite ville Zapotèque où les femmes jouent un rôle dominant dans l'organisation sociale.
Loin d'être une position touristique ou anthropologique, la photographe est immergée au sein des populations. Une proximité qu'exprime Graciela Iturbide, « l'appareil est un prétexte à partager la vie des gens, la succession et la simplicité de leurs fêtes- un moyen de me plonger dans mon pays. (…) Je ne pense jamais à mes images en terme de projet. Ce sont des situations que je vis et que je photographie; les images, je les découvre après coup ». La photographie est vécue comme un catalyseur de rencontres. Certaines de ses photos deviennent ainsi les symboles d'une identité indigène, dans un Mexique où la question indigène est profondément délaissée par le pouvoir politique. La série «Juchitàn de las mujeres » permet de doter la communauté d'images signifiantes, et c'est tout un peuple qui se reconnait dans les photographies de Graciela Iturbide. « Notre dame des iguanes », cliché réalisé en 1979, participera à la consécration de la photographe.
© Graciela Iturbide
Une double page révèle une association pertinente dans le travail de l'édition. D'une part à droite, une photographie réalisée au Panama, représente ce qui semble être une personne cachée par un drap. D'autre part à gauche, « la petite fille au peigne », une fillette de dos, entourée d'une serviette avec un peigne coincé dans les cheveux. Le talent De Graciela Iturbide, pour montrer et dire autant qu'elle dissimule est ici révélé.
Issue d'une famille bourgeoise et conventionnelle de treize enfants, Graciela Iturbide aura trois enfants. C'est malheureusement la disparition tragique, en 1970, de sa fille Claudia, qui la confronta à l'essence de la photographie. Dès lors, la photographe demeura hantée par la présence de la mort. Les racines mexicaines de Graciela Iturbide, se retrouvent également dans son traitement de la mort. La mort, plus qu'ailleurs, est au Mexique fortement acceptée et ritualisée au quotidien. Une dimension que l'on retrouve dans les travaux de Graciela Iturbide. Elle publie en 1993 «En el nombre del padre», qui montre le mélange des mythes précolombiens et de la religion catholique dans les pratiques mexicaines.
La mort traverse l'oeuvre de la photographe. Elle peut y être représentée dans sa matérialité, comme avec la série « la Mixteca » qui retrace le rite de l'abattage annuel de troupeaux de chèvres. Il est presque difficile de soutenir du regard certaines de ces photographies. Pourtant, même lorsque la photographe exprime la mort de manière frontale, il subsiste une dimension métaphorique. Comme avec « les poulets », une femme, un poulet dans les bras, se détache sur un mur immaculé des coulées d'un liquide. Trainées que l'on devine être du sang. Subtil, le noir et blanc invite à la libre interprétation de ce mur meurtri.
© Graciela Iturbide
Substitut de la mort, les oiseaux occupent une grande place dans les photographies de Graciela Iturbide. Un cliché saisit au Mexique en 1990, montre l'envol d'un groupe d'oiseaux aux côtés d'un arbre. Messagers de la mort, oiseaux et branches se confondent.
On trouve dans ses photos une vocation à l'allégorie ainsi qu'un appel à l'immensité et l'isolement. Graciela Iturbide propulse dans un univers mental. « La trajectoire que l'on peut suivre dans ses livres va de l'univers féminin à l'évanescence de l'esprit-oiseau, de la mort à la rédemption, de la vie des gestes à la sensibilité de la surface, de la corporeité à l'indétermination des formes », nous dit Michel Frizot dans sa préface.
© Graciela Iturbide
Pour autant, la pratique photographique de Graciela Iturbide n'est pas ancrée dans l'immédiateté, mais d'avantage le résultat d'une attitude empathique. Il s'agit pour elle de comprendre, d'adhérer d'être au plus proche des gens et de leur façon de vivre, de ressentir. L'appareil photographique constitue en ce sens un instrument d'appartenance et non de jugement.
Mexicaine, la photographe renoue aussi avec un art chamanique. Elle dit rêver à l'avance de photographies qui se concrétiseront plus tard. « Je suis un témoin de la dimension poétique et de la magie de l'homme, jusqu'à une mystique de la vie quotidienne peut-être. », exprime Graciela Iturbide. Un témoignage qu'elle sait cultiver dans son travail photographique, ou la puissance évocatrice bouleverse autant qu'elle transporte.
Manon Froquet