Rencontre Sakina Sfaoui, Sarah Moon Mai 2012
José Chidlovsky a eu un parcours tardif. Il monte une première société de production à Toulouse, qu'il animait, et pour laquelle il écrivait des scénarios. Puis c'est à Paris qu'il monte une petite entreprise, pour fabriquer des documentaires. Il co-réalise une émission pour France 3, « qu'est-ce qu'elle dit Zazie », et c'est dans les années 1995-1996 qu'il se met à la réalisation.
« Mais un certain ostracisme de la part de certaines chaînes de télévision sur les sociétés de production de programme a fait que j'ai tout arrêté. Depuis, je ne fais que de la réalisation à mon propre compte. »
A la base de la création de l'association « 100 voix », « association créée en janvier 2012 à l’initiative de l’association Aurore qui a pour objectif l’apprentissage du récit par l’image (photo et vidéo) afin de permettre aux personnes en situation d’exclusion et de précarité accueillies par Aurore de se reconstruire et de recouvrer leur propre identité. », José Chidlovsky nous explique le fonctionnement de cette association, et le propos de l'exposition « l'une et l'autre », qui débutera le 8 mars à la galerie Fait & Cause à Paris, en écho à la journée internationale de la femme.
© Vera Boissinot 2012
Qu'est-ce qui vous a mené vers cette association, « 100 voix » ?
Cette association est la base d'un projet que j'ai proposé à l'association Aurore (L’association Aurore a pour but la réinsertion sociale et professionnelle de personnes en situation d’exclusion et/ou de précarité. Ndlr). J'ai co-réalisé un film il y a quelques années sur les personnes privées de papiers à Paris et à Toulouse, qui a été diffusé sur France 2. Le principe du film était, plutôt que de traiter d'un sujet et de parler de ces personnes-là, de faire en sorte que ce soit elles qui parlent et qui à la fois témoignent de leurs conditions d'existence, et également de leur regard face à la société qui ne les accueille pas. Ce principe m'a intéressé par rapport à toutes les personnes qui se trouvent dans la possibilité de parler. L'idée était donc de s'appuyer sur une structure, Aurore, qui accueille des personnes sont en situation d'exclusion, de précarité, fragiles et abîmées par la vie, de leur donner les moyens de se raconter. Pour cela, on leur propose à la fois le récit photographique, et filmique.
J'ai donc mené le projet de l'association « 100 voix » et très vite la photographe Sarah Moon s'est associée, puis d'autres photographes.
C'est une population très fragile, ce n'est pas du tout évident de pouvoir mener à bout un travail avec elles, ça mobilise beaucoup d'énergie. On a hésité pendant longtemps à faire intervenir des photographes qui étaient prêts à travailler dans cette association, parce qu'ils sont très pris, ont des problèmes de budget... Au niveau photographique, on a mis en chantier des carnets de route, et sur cette base-là on va faire intervenir des photographes, car c'est un projet plus simple pour eux.
Rencontre Michelle K., Sarah Moon Mai 2012
Comment vous organisez-vous ?
Il y a deux manières de faire. On est accueillis dans les structures d'accueil, et on leur fournit du matériel. Parfois, pourtant, ces femmes photographient avec leurs téléphones, elles préfèrent plutôt qu'un appareil photo. Ce qui est très touchant, c'est le fait que nombre d'entre elles aient décidé, au fil des ateliers, d'acquérir elles-mêmes des appareils photos. C'est vraiment invraisemblable, ce sont des gens qui sont totalement démunis, et qui économisent pour s'offrir un appareil, ou qui se privent du peu qu'ils ont pour s'en acheter un plus rapidement...
Rencontre Sakina Sfaoui, Sarah Moon Mai 2012
Pouvez-vous nous expliquer le projet de l'exposition « l'une et l'autre », présenté à l'occasion de la journée de la femme ?
Le dénominateur commun à tous les récits, tous les travaux, c'est la question de l'identité. Pour cela, il y a une série de projets qui a été lancée, collectifs mais qui participent d'une démarche individuelle. Il y a eu toute une phase de préparation au départ : ne serait-ce que pour celles qui ont choisi un film plutôt qu'un travail photographique, on passe toujours par la photo, pour qu'elles apprennent ce qu'est une image. Il y a eu plusieurs projets qui ont été mis en œuvre, et l'exposition va présenter la plupart de ces travaux. Il y a plusieurs volets, « rencontres, quand les images se substituent aux mots », « carnets de route, récits photographiques d'un moment de vie » « Animal totem et l'une par l'autre : métamorphoses et vocalises », « Travaux individuels ».
Rencontre Nelly Royer, Sarah Moon Mai 2012
Comment s'est passée l'approche avec les femmes ?
L'approche a été longue. Ce que nous ne voulions absolument pas faire, c'est un atelier où la partie technique aurait été prédominante. Nous voulions vraiment que la technique vienne avec la pratique. Nous ne voulions pas non plus apparaître comme des divertisseurs, c'est à dire que sur une période plus ou moins longue nous amusions tout le monde puis que nous repartions. Nous voulions vraiment nous inscrire dans la durée. Là aussi, la photo est quelque chose d'invraisemblable, car à partir du moment où ces femmes s'emparent de l'appareil photo et photographient, elles s’aperçoivent assez rapidement que ce n'est pas la photo qui leur appartient, mais le fragment du réel qu'elles ont saisi. Elles se rendent compte que l'image est comme un miroir d'elles-mêmes. Elle se reconnaissent alors dans leur photo et en se reconnaissant, elles parlent d'elles-mêmes beaucoup plus facilement, ce qui permet de briser la glace. Cela a pris trois ou quatre bons mois avant de parvenir au résultat.
© 100 voix
Avez-vous essuyé beaucoup de refus ?
Non, de l'indifférence de la part de certaines, beaucoup d'inquiétudes de la part de celles qui participaient au projet, et d'autres se sont retirées puis revenues avec les ateliers comme celui de l'animal totem de Flore Ael Surun. Celles qui se sont accrochées, la majorité, le restent.
Par le biais de cette exposition, quel impact attendez-vous ?
D'abord par rapport à elles. En fait, ce qu'il y a de plus merveilleux, c'est qu'ils s'agit de gens qui sont essentiellement passifs, surtout à partir d'un certain âge, car les plus jeunes sont surtout déstabilisées. A partir du moment où elles prennent une photo, que cette photo rentre dans un travail, participe à un nouvel échange à la fois entre elles, puis elles et nous ect, elles passent d'un état de passivité à un état actif. L'exposition est un aboutissement, en sachant qu'il y a un un critère qui est important, celui de la sélection de la photo. Il n'est évidemment tenu aucun discours sur un jugement de valeur de l'image, juste sur la progression du travail, ses insuffisances ect. Elles savent elles-mêmes, pour la plupart, ce que valent leurs images.
© Pénélope Bertrini, Carnet de Route. Extraits Automne 2012
Le choix des photos pour l'exposition a été pour elles un véritable aboutissement, les images ont été choisies par des photographes, des galeristes, sans indulgence, ce qui leur donnent de l'importance, elles se réinsèrent comme cela.
Nous espérons donc, par le biais de cette exposition, lancer publiquement l'association, ce qui va de pair avec le lancement du site, que plus de photos soient vendues, car on va organiser annuellement une vente aux enchères où ces images seront vendues aux côtés d'autres de photographes connus.
© Abel et Caïn
Que pensez-vous de la journée de la femme ?
Ca devrait être tous les jours ! Je pense que la semaine de la journée de la femme les journaux féminins devraient avoir la pudeur de ne pas paraître, et les hommes et de partir, de laisser les femmes tranquilles !
L'association « 100 voix » est à retrouver ici : www.centvoix.com
Propos recueillis par Claire Mayer