© Anna Malagrida
Avant d’être nommée directrice du jeu de paume en Octobre 2006, Marta Gili était responsable de la fondation d'art visuel La Caixa à Barcelone durant 12 ans.
La fondation La Caixa appartenant à une caisse d’épargne très puissante en Espagne et possédant de nombreux centres culturels dans plusieurs villes, cette femme de poigne s'occupait de la programmation de chacun de ces centres. Expositions de photographies, films... Un rôle assez similaire à celui qu'elle occupe actuellement Jeu de Paume selon ses propres mots.
Pour débuter, comment se passe votre direction du Jeu de Paume? En tant que directrice d'une institution photographique reconnue et en tant que femme.
C'est ma 6ieme année et je suis ravie. Je pense qu'on a bien travaillé, mes équipes et moi-même, on a mis en route une programmation particulière dans le contexte parisien.
Comme il s'agit d'un lieu lié à l'image je pense qu'on doit relayer toutes les pratiques artistiques autour de l'image : La photographie, la vidéo, les installations, le net-art, les films, le cinema... Et finalement, l'articulation entre le contemporain et le soit-disant « historique » marche très bien. Mais comme le Jeu de Paume n'est pas un musée, il n'y a pas de collection, je voulais que cela devienne véritablement un lieu de connaissance. Que nous puissions offrir au public ,et à nous même comme premier public, des éléments de réflexion, des bases de questionnements à propos de notre expérience de la vie et parfois des réponses, mais la plupart sans réponse, comme dans la vie.
Y-a-t-il une linéarité dans les artistes que vous exposez ?
Evidemment, pour moi, une programmation d'exposition ce n'est pas des éléments qui naissent sans aucun récit, il y a une narration.
C'est « ma » programmation, celle d'un autre sera différente mais pour moi c'est la construction d'une narration qui se joue au fur et à mesure des années. Une programmation qui n'est pas linéaire mais traverse plusieurs sujets, plusieurs expériences et qui est en transit, comme le titre d'Adrian Paci.
Parfois on peut trouver des résonances entre plusieurs expositions présentes en même temps, mais également avec des expositions qu'on a présenté bien auparavant ou qu'on présentera plus tard.
C'est une narration fragmentaire, mais dont le fil conducteur est la tension entre le politique et le poétique.
Waterbearer, 1986 © Lorna Simpson
Nous sommes en train de réaliser un hors-série spécial pour la journée de la femme, et nous aimerions revenir sur le choix de votre programmation au jeu de paume.
La photographe Laure Albin Guillot très en vogue dans l’entre-deux-guerres, est assez méconnue de nos jours, sa personnalité a été peu étudiée. Pourquoi ce choix ?
Il y a toute une histoire assez touchante avec Laure Albin Guillot, l'idée est de présenter le travail d'une femme française complètement invisible.
Or, je ne suis pas française et j’ai été surprise de cela : Pourquoi le travail d'une femme comme celle-ci n'a jamais été montré ?
Je connaissais quelques images, comme les spécialistes, mais je me suis demandée ce qu'elle avait fait d'autre, si il y avait autre chose ?
Répondre à cette question a été très facile, tout l'archive de Laure Albin Guillot est à La Parisienne de la Photographie, qui est une médiathèque de la ville de paris. On a fait des recherches avec la conservatrice, Delphine Desveaux.
Il y avait beaucoup de « matière », mais il fallait montrer cette femme dans son ambiguité. Contrairement à d'autres photographes qu'on a présenté, c’était une démarche classique, une photographie classique, mais en même temps il y avait quelque chose d'innovateur. En effet, elle commence à imaginer que la photographie peut-être utilisée comme un élément décorateur, un élément de design. Dès lors, elle fait des recherches, des expérimentations.
Mais ce qui est incroyable c'est que dans les années 1930-1940 elle a un pouvoir institutionnel en France et ce vis-à-vis de la photographie, alors pourquoi est-elle si peu visible ?
C'est pour cela qu'on a fait cette exposition, j'étais ravie. Et en même temps, on a découvert quelque chose, je reconnais ma naïveté,
Laure Albin Guillot avait déjà été exposée au Jeu de Paume, elle avait organisé une exposition en 1937 sur les femmes artistes, elle y était elle-même intégrée.
Ainsi, c'est une sorte de retour poétique de Laure Albin Guillot au Jeu de Paume en 2013.
© Laure Albin Guillot
Le parcours d’Eva Besnyö commence au sein du mouvement féministe des « Dolle Mina ». Ces hommes et ces femmes majoritairement issus du mouvement protestataire étudiant qui réclament l’égalité des droits. Pourquoi ce choix ?
C'est la démarche qui m’intéresse le plus : Une femme, comme plusieurs photographes hongrois, quitte le pays pour des raisons politiques, un gouvernement autoritaire, afin de développer sa démarche ailleurs. Beaucoup de jeunes vont à Paris, d'autres à Berlin comme elle.
Là-bas, elle commence à s’intéresser au mouvement des travailleurs et s’engage activement dans une démarche politique et photographique. C'est cela qui m’intéresse, ce mélange entre pratique professionnelle et idéologique. En réalité, elle a réussi a saisir le monde du travail parce qu'elle est militante dans ce mouvement.
Ces images sont grandioses et elle n'avait jamais été montrée en France, or, notre mission est de montrer des artistes dont le travail peut nous faire bouger.
Diane Arbus, qui pratiquait une photographie se confrontant aux faits, une exploration de la relation entre apparence et identité, illusion et croyance
Diane Arbus c'est tout le contraire, une femme photographe des plus connues de l’Histoire de la photographie et pourtant je pense qu'elle est complètement méconnue. C'est le cas de beaucoup de blockbusters dont on montre toujours la même chose et dont on exprime toujours le même récit, car la photographie peut dire ce que nous voulons qu'elle dise.
Or, je voulais dire autre chose sur Diane Arbus, quitte à ne pas être didactique, Diane Arbus n'est pas seulement une grande artiste, c'est un esprit de résistance, elle est contestataire même si l'Histoire de la photographie ne la présente pas comme telle.
Elle a une façon de regarder la ville, les gens, les marginaux qui est très intéressante au regard d'aujourd'hui.
Je crois que les expositions, la lecture des travaux des artistes changent en fonction des contextes dans lesquels ils sont exposés et ils changent la réception. Et j’espère que public passé par le jeu de paume a saisi autre chose de Diane Arbus.
© Adrian Paci
Et toujours dans l'interrogation du genre mais du genre féminin, Claude Cahun, dont les photographies autobiographiques font une large place à l'identité sexuelle. Elle qui aspirait à être d'un « troisième genre », indéfini.
Claude Cahun est une artiste découverte il y a 20 ans avec l'exposition du musée d'art moderne de la ville de Paris. Mais je me suis dit qu'il y avait de nombreuses recherches faites depuis et une génération, ou deux, n'a jamais vue une exposition de cette artiste.
Elle était française et elle se posait des questions liées au genre et cela m’intéresse beaucoup. Des questions d'identité organique pour une femme : Qui suis-je, quelle place j'occupe dans la société et comment les autres nous perçoivent, qu'il s'agissent des hommes et des autres femmes ? Ce sont des questions que l'on se pose aujourd'hui.
L'idée d'une programmation d'exposition est de montrer que les questions sont universelles et que l'on se pose toujours les mêmes aujourd’hui. Elles sont posées différemment, par d'autres et dans d'autres contextes mais il y a une forme de résonance. A mes yeux, tous les artistes présentent une résonance, mais qu'elle est cette résonance avec nos questionnements d'aujourd'hui ?
En ce qui concerne les expositions à venir:
Lorna Simspon, dont la photographie bouscule les conventions autour du genre, de l’identité, de la culture et de la mémoire, elle qui aborde la représentation complexe du corps noir, à travers différents médiums. Elle fut la première femme noir à participer à la Biennale de Venise.
De surcoît, Lorna Simpson utilisait les mots pour supporter ses images, alors que bien souvent l'image peut se suffire à elle-même, qu'en pensez-vous ?
C'est une artiste, avec qui j'ai déjà travaillé, assez révélatrice de toute une problématique propre aux Etats-Unis : L'invisibilité des Afro-Americaines dans la société.
Une problématique qu'on peut également étendre à l'Europe.
Son travail a évolué depuis mais il est toujours très fort. Je trouve que depuis les années 1990 jusqu'à aujourd'hui, elle pose des questions qui sont encore sans réponse, alors qu'ils ont un président afro-américain.
C'est important de montrer son travail et ses questions car notre société française est très mêlée, très mélangée et nous avons des problèmes pas encore résolus, et pas seulement en France, dans toute l'Europe.
Five Day Forecast, 1988 © Lorna Simpson
Ashlam shibli qui se revendique palestinienne d'Israël, vous allez exposer son travail Eastern LGBT (2004–2006), qui est un acronyme de Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, adopté par des associations de soutien aux homosexuels.
C'est une autre démarche, la photographie documentaire, cela m’intéresse énormément. Elle déconstruit certaines réalités, celles des médias, récurrentes voir surabondantes, pour montrer LA réalité. Elle fait attention à ce que signifie « chez soi » ou « avoir un chez soi », elle s'attache aux communautés qui ne peuvent jamais parler d'un « chez soi ».
Que pensez vous de la journée de la femme?
Depuis mon enfance, la journée de la femme est fêtée la veille de mon anniversaire, je me suis donc toujours liée à cette journée, d'une part pour des raisons biographiques, mais surtout pour des raisons militantes.
Je pense qu'aujourd’hui, il est malheureux qu'il soit encore nécessaire d'avoir une journée de la femme.
Que pensez-vous de l'évolution de situation de la femme photographe?
Je pense qu'il n'y a pas de statut de femme photographe, pas plus qu'il y a un statut de femme artiste. Je crois qu'on a tous le même statut, hommes et femmes confondus, après ce qui diffère c'est le degré de visibilité, et au Jeu de Paume on essaye de donner la même visibilité aux hommes et aux femmes.
Momentum © Lorna Simpson
Pensez-vous donner une orientation plus féminine au jeu de paume ?
Je n'aime pas dire cela, je ne crois pas avoir une programmation très dédiée aux femmes artistes, c'est la parité, autant de femmes que d'hommes, comme la société.
Nous n'éliminons pas les hommes du monde de l'Art mais nous intégrons les femmes.
Propos receuillis par Laura Béart Kotelnikoff