Laura El Tantawy est une photojournaliste Egyptienne. Elle a commencé à prendre des photographies lorsqu'elle était à l'université, durant les deux dernieres années de son cursus, et le coup de foudre fut instantané. Il lui apparait que la photographie est une forme d'expression artistique avec des limites infinies, elle décide alors de débuter sa carrière.
Diplômée en Journalisme et en Sciences Politiques, elle intervient, en 2010, à l'Université d'Oxford pour parler de la liberté, de l'expression ainsi que de la place des blogs et des journaux indépendants dans le processus de liberté en Egypte. Elle vit aujourd'hui entre le Caire et Londres.
Y-a-t-il des femmes de photojournalistes qui vous inspirent?
Non, pas au début de ma carrière. Mes premières influences je les puisais chez les photographes masculins, mais je suis très inspirée par le travail de Rebecca Norris Web et Alexandra Boulat.
Le photojournalisme est un monde de l'homme, même s'il y-a de plus en plus de femmes dans les agences. Quelles sont les inconvénients d'être une femme? Et quelle est votre relation avec les reporters hommes sur le terrain?
Il n'y a pas d'inconvénients à être une femme et je n'ai jamais pensé au photojournalisme ou à la photographie comme étant un monde d'hommes. Mais c'est peut être le cas, mais c'est le cas de la plupart des secteurs... Ce n'est pas un problème sauf si je choisis de le voir comme tel.
Je travaille seule sur le terrain et lorsque j'ai une relation avec autrui, quand nous interagissons tous en travaillant sur des projets collectifs , il s'agit de personnes de confiance avec qui j'ai décidé d'interagir, lors de festivals, événements...
© Laura El Tantawy
Quand on parle de femmes photojournalistes nous réfléchissons en terme d'inconvénients, mais quels sont les avantages?
Je crois que la photographie est l'autonomisation, surtout pour moi qui viens d'une culture traditionnelle. La photographie me donne l'occasion de parcourir le monde, d'explorer différentes cultures, de raconter des histoires. La photographie est l'opportunité de rencontrer des gens que je n'aurais jamais pu rencontrer si je n'avais pas été une photographe.
Que pensez-vous de l'évolution de la situation de la femme photojournaliste dans l'Histoire?
Je pense que c'est une progression naturelle, mais pour laquelle les femmes ont dû se battre. Il y-a beaucoup de femmes extrêmement fortes qui font ce métier à l'heure actuelle. Et ces femmes sont jeunes, les photographes en herbe ont beaucoup de modèles à regarder.
Comment articulez vous votre vie de femme et de photojournaliste, de témoin de la douleur des autres?
Pour moi les deux sont une seule et même chose. Je ne me définis pas comme une photojournaliste. Je suis un être qui aime faire de la photographie. J'ai envie d'exprimer quelque chose et c'est cela qui me maintient inspirée et créative.
Ressentez-vous une sorte de culpabilité ou de tristesse en photographie la misère? une sorte de «conscience malheureuse»?
Non, je ne pense pas. Je pense que chaque histoire, chaque situation doit restée circonscrite. J'explore des questions que je ne peux rapprocher de mon expérience personnelle. La plupart de ceux que je photographie sont tristes ou mélancoliques mais cela m'inspire, je pense que c'est plus proche de la réalité.
© Laura El Tantawy
Qu'est ce qui vous aide à tenir debout après ce que vous avez vu?
La motivation de s'en sortir et de raconter encore et toujours d'autres histoires.
Quel reportage était le plus difficile à réaliser? et celui qui était le plus enrichissant?
Le plus dur est le reportage que j'ai fait en Egypte. J'ai commencé en 2005 et aujourd'hui encore, j'explore ce projet. C'est difficile parce que je raconte aussi une part de ma vie en racontant l'histoire de l'Egypte. Braquer l'appareil photo sur ce qui est le plus familier est très difficile.
Mon travail le plus satisfaisant est le projet sur les suicides de fermiers en Inde. C'est une histoire que je voulais vraiment raconter, et je l'ai fait parce que je voulais le faire - je n'ai pas eu le soutien d'une institution ou d'une publication, j'ai trouvé l'argent pour mon deuxième voyage sur Kickstarter. Je l'ai porté seule.
vos photographies sont vraiment poétiques, qu'elles sont vos sources d'inspiration dans le monde de l'art?
Je suis très inspirée par la musique et la poésie et tout ce qui est de l'ordre du mystère et de la réalité.
© Laura El Tantawy
Votre reportage "voile" est une série de photos très sensuelles et sensibles, nous avons presque la sensation de respirer du parfum, de sentir le vent dans le voile... c'est très féminin et séduisant, grâce aussi à l'utilisation du médium.
Pouvez-vous nous parler de ce projet, de votre dessein? Quelle est votre opinion sur le voile et son interdiction en France?
La série sur le voile a commencé de façon instinctive. J'avais une série d'images et j'ai réalisé qu'il y avait une ligne directrice, j'avais photographié un thème commun sans en avoir conscience. L'intention derrière l'ouvrage est de montrer que le voile n'est pas seulement un attribut des femmes musulmanes, il peut franchir les frontières religieuses et culturelles. Le voile peut rassembler les femmes et les cultures, il n'est pas synonyme de division.
La loi française interdit de se couvrir? Je ne savais pas! Je crois que les gens devraient être libre de choisir la façon de s'habiller et de se montrer en public.
Vous vivez en Egypte, alors quelle est la situation actuelle en Egypte, ce qu'il est important de se rappeler?
Je vis entre Londres et Le Caire.
L'Egypte est maintenant dans une phase de transition après plus de 30 années de répression. Apres le départ de Moubarak il s'est avéré que le problème ne venait pas seulement du gouvernement, mais aussi des gens. L'infrastructure de base est quasiment inexistante et nous avons des années à rattraper avant de nous rapprocher d'une démocratie. La révolution est en cours et le gouvernement actuel ne va pas rester en place longtemps.
Quelle est la situation des femmes dans les pays arabes et plus précisément en Egypte? Est-ce que le féminisme est actif en Egypte?
Les femmes gagnent beaucoup de terrain en Egypte et partout elles prennent du pouvoir. Le problème est dans les petits villages et les petites villes, mais je crois que ce mouvement finira par les atteindre. La situation des femmes est meilleure qu'elle ne l'a jamais été parce que plus personne n'a peur de s'exprimer. Alors que certaines choses étaient autrefois des tabous sociaux, comme le harcèlement sexuel, elles sont à présent abordées en public et les victimes parlent.
© Laura El Tantawy
Vous faites beaucoup de reportages sur les femmes, y a-t-il une part de féministe en vous? et dans votre esprit qu'elle est la situation des femmes dans le monde?
Oui, je crois que oui, je suis féministe.
La situation des femmes n'est pas parfait, mais de façon générale cela s'arrange. Cela va beaucoup mieux qu'il y-a 10 ans et dans 10 ans nous serons encore mieux lotis que nous le sommes maintenant.
Que pensez-vous de la journée de la femme? et avez-vous déjà participé à des événements liés?
Non, je n'ai jamais pris part à tous les événements autour de la journée des femmes.
Et enfin, êtes-vous optimiste pour l'Egypte?
Oui, je le suis.
Propos receuillis par Laura Béart Kotelnikoff
Photos © Laura El tantawy