© Benjamin Girette / IP3 Press
Holly Pickett a toujours été entourée par l'art et par la photographie, dès son plus jeune âge. Venant d'une famille d'artistes, son grand-père peintre est en effet photographe. C'est lui qui lui a appris à peindre quand elle était enfant. Il a également offert son premier « vrai » appareil photo à celle qui déclare : « La photographie était une évidence pour moi ». Rencontre avec la photographe, à l'occasion de la journée de la femme.
Avez-vous des femmes de photojournalistes qui vous ont inspiré?
Alexandra Boulat et Dorothea Lange m'ont inspiré par leur courage, leur empathie et leur esthétique. J'admire aussi beaucoup de femmes photographes contemporaines dont Maggie Steber, Stephanie Sinclair, Bruce et Andrea. Vraiment, il y-a tellement de femmes photojournalistes incroyables, fortes, brillantes, elles m'inspirent dans mon travail.
Quel est votre parcours, comment êtes-vous venu au métier de photojournaliste?
J'ai étudié le journalisme et l'Histoire à l'Université du Montana. J'ai fait trois stages en tant que photographe dans des quotidiens durant mes études et on m'a offert un poste au sein de The Spokesman-Review, à Washington, où j'ai passé quelques années. J'ai véritablement debuté ma carrière de photographe free-lance en quittant le journal et en allant au Caire, en Egypte en Janvier 2008.
Demonstrators tear down a Mubarak poster on the "Day of Rage", Cairo, Egypt, Jan. 28, 2011 © Holly Pickett
Le photojournalisme est un monde d'hommes, même s'il y-a de plus en plus de femmes dans les agences. Quelles sont les inconvénients d'être une femme? Et quelle est votre relation avec les reporters hommes sur le terrain?
Oui, les photojournalistes hommes sont plus nombreux que les femmes, mais le nombre de femmes dans le domaine est en augmentation, et il y-a aussi de nombreux éditeurs qui sont des femmes dans les magazines et journaux.
Je ne vois vraiment pas les inconvénients d'être une femme dans ce métier, pas plus que je vois la nationalité américaine ou le fait d'être petite comme un désavantage.
De même pour les rapports avec les journalistes hommes, en fait actuellement, il y-a de très nombreuses femmes qui occupent des postes de directeurs ou de correspondants étrangers, donc je travaille avec les femmes autant, voir plus, qu'avec les hommes. Les femmes sont en train de gagner le respect de leurs collègues masculins.
Quand on parle de femmes photojournalistes on pense aux inconvénients, mais quels sont les avantages?
Peut-être que certains pensent aux inconvénients lorsqu'ils parlent des femmes photojournalistes, mais je n'aime pas cela.
Être une femme m'a aidé à photographier les hommes, les femmes et les enfants. Je pense en partie parce que les femmes sont perçues comme moins menaçantes que les hommes, du moins dans la plupart des sociétés avec lesquelles j'ai travaillé. De plus, dans certaines sociétés traditionnelles, les sexes sont séparés, j'ai, en tant que femme, l'occasion de témoigner du côté féminin de l'histoire, alors qu'un photographe homme pourrait avoir plus de difficultés.
Rebels celebrate in Ajdabiya, Libya, March 26, 2011 © Holly Pickett
Comment articulez-vous votre vie de femme et celle de journaliste, de témoin de la douleur des autres?
Il est possible de se donner tout entier à ce métier et je pense que parfois on néglige d'autres aspects de la vie. Il y a des femmes qui veulent des enfants, une famille ainsi que ce genre de carrière, je n'en connais que quelques-unes qui ont réussi. Je sais que certaines femmes photojournalistes ont eu une étonnante carrière, mais elles étaient seules. Ce n'est pas un équilibre facile. Et il faut aussi un homme particulier pour comprendre ce que nous faisons et pourquoi - comprendre les longues heures de travail, le calendrier très chargé, les risques que nous prenons parfois parce que nous sommes passionnés par une histoire ou une question.
Ressentez-vous une sorte de culpabilité ou de tristesse en photographiant la misère? une sorte de «conscience malheureuse»?
Il est toujours difficile de photographier les gens qui souffrent. On se sent impuissant, on a le sentiment d'exploiter, surtout quand on sait que, à la fin de la journée, vous avez seulement documenté la douleur d'une personne. Vous ne changez ou n'aidez pas concrètement, directement. Il peut être difficile de regarder les gens dans les yeux et d'essayer de leur expliquer. Je crois que les photographies aient un impact et puissent contribuer au changement, mais ce n'est pas immédiat et souvent ils ne le ressentent pas.
Comment faites-vous pour tenir debout après ce que vous avez vu?
Je pense que vous vous demandez comment je fais pour encaisser ce que je vois et continuer? La plus grande force pour moi est sociale -je parle de la famille, des amis et collègues, en particulier ceux avec qui je traîne, bois et danse. Travailler sur la douleur des êtres me rend reconnaissante de la vie. J'essai de manger de la bonne nourriture, de dormir, de me promener, d'écrire, de lire, d'écouter de la musique, j'essaye juste de me détendre.
A man prays next to his destroyed home after Operation Cast Lead in Jabaliya, Gaza Strip, Jan. 26, 2009 © Holly Pickett
Quel reportage était le plus difficile à réaliser? Le plus enrichissant?
Je pense que mes premières semaines en Libye, au début de la révolution, étaient assez difficiles. Il y avait si peu d'informations fiables sur ce qui se passait, et beaucoup de balles qui volaient autour de moi en permanence.
L'une des histoires les plus accomplissantes sur lesquelles j'ai travaillé était un reportage sur une famille de réfugiés irakiens au Caire. Ils ont aujourd'hui obtenu l'asile aux États-Unis, et nous sommes devenus de amis tandis que je travaillais sur leur histoire. Je suis d'ailleurs toujours en contact avec eux.
Vous avez fait plusieurs rapports au sujet du printemps arabe, les médias tentent d'unifier, de formater toutes les révoltes, mais selon vous quelles sont les différences?
L'histoire récente et le peuple de chaque pays sont différents, alors il est évident que le résultat de chaque révolte sera différent. La disponibilité des armes, la stabilité économique, la tactique gouvernementale pour mater les révoltes, l'intervention internationale, la situation géographique, la composition ethnique et religieuse... Les différences sont énormes.
Pouvez-vous décrire les sentiments que vous aviez au cœur de ces évènements? Une sorte d'énergie, d'étincelle, une impulsion humaine? Êtes-vous optimiste?
Au début, c'était impressionnant de voir les gens surmonter leur peur et se lever pour changer le cours de l'histoire. C'était vraiment incroyable. Mais cela semble avoir été la partie la plus facile. En réalité, il est beaucoup plus difficile d'arrêter la violence une fois qu'elle s'est mise en marche. Il est difficile pour toutes les factions de se réunir et d'apprendre l'art du compromis. La seule chose dont je suis sûre, c'est que le printemps arabe s'est avéré extrêmement difficile à prédire.
Girls attend class in a new school in Farghamanch, Badakhshan province, Afghanistan, Oct. 24, 2009 © Holly Pickett
Quelle est la place des femmes dans ces révoltes dans chaque pays?
Elles sont là, parfois aux côtés des hommes lors des manifestations, parfois elles tiennent leurs propres manifestations, parfois en arrière-plan, mais elles sont toujours là, participantes.
Vous avez fait plusieurs reportages sur l'Afghanistan, pourriez-vous nous parler de cette expérience? Et la situation actuelle en Afghanistan?
L'Afghanistan est un de ces lieux qui vous rentre dans la peau. J'ai eu la chance de travailler dans plusieurs coins du pays, y compris la province de Kandahar, Badakhshan, Herat, Farah et provinces Paktya. Je travaillais majoritairement avec la population civile, et non pas avec les militaires. Je suis impatiente d'y retourner cette année, mais je n'ai pas été depuis 2010, donc je ne peux pas vraiment aborder la situation actuelle.
Pouvez-vous nous parler de monde de la drogue en Afghanistan? Est-ce que la consommation de drogues a augmenté depuis le début de la guerre? Cette pratique s'applique t-elle également aux femmes?
J'ai photographié la consommation de drogues - opium et d'héroïne - en Afghanistan en 2009. À l'époque, une nouvelle enquête des Nations Unies avait signalé une augmentation du nombre d'utilisateurs, y compris chez les femmes. Les drogues comme l'opium sont facilement disponibles, elles ne coutent rien, et la vie est vraiment dure.
Karima smokes opium in the small room where she and her six children live, Kabul, Afghanistan, April 5, 2009 © Holly Pickett
Quelle est la place de la femme dans ce pays? Et au Moyen-Orient au niveau mondial?
Je ne considère pas l'Afghanistan faisant partie du Moyen-Orient. À mon avis, l'Afghanistan reste l'un des endroits au monde où il est des plus difficiles et dangereux d'être une femme. Le taux de mortalité maternelle est encore l'un des plus élevés au monde, il y a de nombreuses femmes victimes de violence familiale et le mariage précoce est encore d'actualité.
Vous avez réalisé beaucoup de reportages sur les femmes, y at-il une part de féministe en vous? Et selon vous, qu'elle est la situation des femmes dans le monde?
Oui, je suis attirée par les histoires de femmes, elles représentent 50 % de la population mondiale. Si vous ignorez les femmes, vous ignorez la moitié de l'Histoire.
En fin de compte, je pense que la question des droits des femmes est surtout une question de droits de l'Homme. Et pourquoi une femme instruite, libre, globe trotteuse comme moi ne pourrait-elle pas être un peu féministe?
Karrar, a young Iraqi refugee, sleeps next to his father, where he feels safe, Cairo, Egypt, June 27, 2008 © Holly Pickett
Et enfin, que pensez-vous de la journée de la femme? et avez-vous déjà participé à des événements en lien?
Je suis en faveur d'une journée qui apporte de la féminité au monde, mais non, je n'ai jamais participé à un événement en lien.
Propos receuillis par Laura Béart Kotelnikoff
Photos © Holly Pickett