
Catalina Martin-Chico dit avoir été vers la photographie plus que vers le journalisme. L'amour de la photo, elle l'avait déjà inconsciemment en voyageant, ce qu'elle ressentait c'était l'envie d'immortaliser un instant.
Pour elle, la photographie est une excuse pour vivre des choses humaines, des choses qu'elle a toujours eu envie de vivre. La photoreporter aurait pu se diriger vers l'humanitaire ou vers un métier permettant de témoigner, d'arranger les choses.
C'est l'humain qui l'a mené vers la photographie.
Y a t-il des figures féminines du photojournalisme qui vous inspirent?
Non, pas forcément féminines, mais quand j'ai commencé j’étais fan de Bruce Davidson. je ne sais pas si aujourd'hui on retrouve une influence de son travail dans le mien, mais il avait une intimité avec les gens, il était très naturel, avec des compositions proches et j'aime cela. Je shoot toujours au 35 et j'aime la proximité... J'ai besoin de parler avec les gens, qu'ils m'ouvrent leurs maisons, j'ai besoin de vivre avec eux, de comprendre leur problématique. C'est une nécessité, un plaisir mais surtout c'est ma démarche.
Rwanda © Catalina MC/cosmos
Quel est votre parcours, comment êtes-vous venue au rude métier de photojournaliste?
J'ai appris le métier de photojournaliste sur le tard, cela s'est développé en deuxième carrière.
J'ai été à la faculté puis j'ai eu un boulot qui n'avait rien à voir avec la photographie durant cinq ans. J'étais salariée avec mes tickets restaurant, mes congés payés et je n'étais pas très heureuse. Et un jour je suis partie à New-York, j'y ai pris des cours de photographie à l'International Center of Photography. Mais je ne pensais pas encore à en faire mon métier, j'avais simplement décidé de faire de la photo car c’était un plaisir.
Ainsi, ma démarche consistait à photographier par plaisir pendant des années, je ne pensais pas à publier à tout prix. J'avais mes projets personnels et puis, longtemps après avoir débuté, j'ai commencé à vivre de la photo.
En tout cas j'ai débuté la photographie non pas par ambition mais par Amour de la photographie et de l'humain.
C'est un milieu initialement masculin, bien que l'on recense de plus en plus de femmes dans les agences. Quels sont pour vous les inconvénients d'être une femme? Et quel est votre rapport avec les reporters hommes sur le terrain?
Je ne trouve pas qu'il y ait beaucoup de désavantages au niveau du reportage. Les femmes ont des avantages, les hommes en ont aussi et finalement le tout s'équilibre.
Je travaille majoritairement seule ou avec un journaliste. Mais les rares fois où j’ai bossé sur des news avec beaucoup de confrères sur le terrain cela s'est bien passé. C’est sympa de les retrouver après une journée de boulot difficile. Mais je n'ai pas l'habitude de croiser tellement de journalistes.
Socotra © Catalina MC/cosmos
Quand on parle de photo-reporters femmes on pense aux inconvénients mais quels sont les avantages?
Sur le terrain on a des accès que les hommes n'ont pas. Je travaille au Yémen, j'ai accès aux femmes et aucun homme photographe n'y aurait accès, c'est un avantage certain!
Les Yéménites me laissent rentrer chez elles, elles se dévoilent, on peut avoir un rapport de proximité.
Apres les hommes peuvent avoir accès à des sujets où je n’aurais pas accès mais cela reste quand même assez rare.
Mais je ne suis pas certaine que le fait d'être un homme ou une femme change quelque chose au niveau du regard.
Un homme peut avoir une sensibilité bien plus forte qu'une femme. Je pense qu'on est photographe avant d'être un homme ou une femme.
Que pensez-vous de l'évolution du statut de photo-reporter femme dans l'histoire?
Je n'ai pas connu l'âge d'or du photojournalisme, il est certain qu’il y a des femmes qui nous ont ouvert les portes. C'est grâce à leur combat qu'aujourd'hui il n'y a pas tellement de différences.
J'ai commencé la photographie tardivement, je n'ai pas eu de bâtons dans les roues, de difficultés. Que ce soient des difficultés relatives au métier mais aussi celles dues à la vision de la société.
Comment parvenez-vous à articuler votre vie de femme et celle de reporter de guerre?
C'est assez personnel, mais je crois que la différence dont vous parliez tout à l’heure, entre un homme reporter et une femme, peut se situer à ce niveau là.
Rwanda © Catalina MC/cosmos
Est-ce que vous ressentez une forme de culpabilité de partir ou de photographier la douleur? Une "Conscience Malheureuse"?
Non je ne me sens jamais coupable.
D'une part je ne fait pas beaucoup de news, et dans mes autres reportages je ne me retrouve pas forcement dans la position de “voyeur”. D'autre part, je sais aussi poser l'appareil. J’ai souvent de vrais rapports humains avec les gens que je photographie alors tout se fait de manière assez instinctive…
Et puis il y-a la révolution au Yémen, j'ai vécu des moments où je prenais des photos alors que les êtres autour de moi étaient en réelle souffrance. Mais j’étais investie d’un rôle, celui de dénoncer, de témoigner et je n'hésitais pas car je sentais une sorte de responsabilité. Les yéménites me favorisaient l'accès aux blessés, à la violence, parfois même au détriment des médecins. Mais c'est réellement eux qui me dictaient ma conduite et en tant qu'outsider je me devais de témoigner, donc je ne ressentais absolument pas de culpabilité, bien au contraire!
Quel reportage a été pour vous le plus difficile à réaliser?
J'hésite...
En fait il y a 2 différentes difficultés.
1- Celles liées au danger, à la violence, à la peur. Je pense au mois passé au Yémen pendant la révolution, j’étais seule dans un appartement, au même moment Ben Laden était tué… ou en Tunisie lorsque Ben Ali est tombé et que le journaliste Lucas Dolega a été tué…
2- Celles liées à la frustration, où l'on nous empêche de faire notre travail, les accès sont bloqués et on voit le temps défiler, l'avion est là, on n'a pas d'images, on ne sait pas si on va en avoir.
Je me rappelle d'un reportage sur les femmes anti-terroristes où j'ai eu les photos au dernier moment, j'ai du cacher les cartes mémoires dans mon soutien-gorge et prier pour que personne ne m’attrape! C'était difficile et en ce sens cela a de la valeur.
Et celui vous ayant apporté le plus de fierté, de sentiment d'accomplissement?
De la même façon, c'est aussi les difficultés qui amènent à être meilleure.
La première fois où je suis allée au Yémen j'ai été dans un orphelinat pour adolescentes, des jeunes filles qui n'avaient pas souvent vu des occidentales. C'était dur psychologiquement, et elles ne voulaient pas se laisser photographier. Même pas de dos, même pas les mains, pas le visage… Elles partaient en courant dès que je prenais une photo et je me disais que je n'y arriverai jamais. C'était difficile pour elles mais aussi pour moi, à tel point que j'avais parfois envie d'en pleurer.
Et pourtant, à la fin j'avais des photos, et des photos qui n'avaient rien à voir avec ce que j'avais fait avant. Un autre genre, bien plus personnel.
La difficulté nous pousse dans nos retranchements, c'est le moment où l'on doit être meilleure.
Yemen © Catalina MC/cosmos
Vous allez au Yémen depuis 5 ans, vos reportages sont poignants. Qu'est ce que vous pouvez nous dire ce de Pays?
Oui, depuis 5 ans je vais au Yémen entre 1 et 3 mois par an environ et il y-a tellement à dire sur ce pays!
J’ai choisi ce pays au départ parce que justement j’avais une vraie curiosité personnelle, je n’avais pas de réelle image en tête et je ne lisais rien dessus ! Une fois sur place j’ai eu envie de raconter des histoires humaines, et cela ne s’arrête pas!
Evidemment en tant que femme j’ai eu envie très vite de m’immiscer parmi les Yéménites pour voir, comprendre et raconter. Etant une femme, voir que toutes les femmes sont intégralement cachées me poussait à m'interroger! Mais je n’ai pas eu envie de parler uniquement des femmes, il y avait les somaliens qui traversaient le golfe d’Aden, une immigration sud-sud des 200 derniers juifs qui restent au Yémen, on peut encore parler des chefs de tribus, des familles qui ont leur fils à Guantanamo, etc
Et je n’arrive pas à arrêter d’y aller ! J’ai encore plein de choses à raconter, et le pays, aussi difficile soit-il, me manque. Evidemment plus le temps passe et plus les accès dans le pays deviennent difficiles, dues aux noyaux d’Al-Qaïda plus présents que jamais sur le territoire.
Qu'elle est la place des femmes dans la révolution au Yémen?
Le Yémen n'est pas comme les autres pays du printemps arabe.
En Tunisie, en Egypte des partis islamistes ont pris le pouvoir et les populations ont des choses à perdre et elles se battent pour les sauvegarder et prospérer dans la démocratie.
Le Yémen est un pays tellement conformiste et islamiste qu’ils n’ont rien à perdre à ce niveau là, et ils ne peuvent qu'avancer.
Pendant la révolution les femmes ont prit une place importante, au sein du changement, au coeur de la contestation, mais aussi dans l’organisation, dans les manifestations. Elles n’ont pas cédé.. Le fait par exemple que Tawakkul Karman ait reçut le prix Nobel de la paix montre que la révolution a mit l'accent sur leur rôle.
Vous avez réalisé deux reportages sur le voile, un au Yémen et un en France. Pourquoi cela vous intéresse? Et que pouvez-vous nous en dire?
En réalité, je ne me focalise pas sur le voile. Au Yémen, j'ai rencontré des jeunes femmes de 16 à 25 ans, qui parlaient un peu anglais et j'ai commencé à les suivre. Toutes portent le voile!
Le but était de montrer ce qu'était la vie d'une jeune femme de 25 ans au Yémen, puis on est devenues amies et j’ai voulu raconter comment on est fille dans un contexte pareil…
Je voulais montrer qu'une Yéménite comme toutes les femmes s'apprête, se maquille, se met du rouge à lèvres et pourtant, ces lèvres, personne ne les verra. Comment est-on femme sans le regard des autres?
Le reportage en France était une commande du Monde magazine, suite à mon habitude de photographier des femmes voilées je pense!
Mais le rapport au voile était complètement diffèrent du fait d’avoir le choix de le porter ou pas…
©Catalina MC/cosmos
De façon générale, votre travail se focalise sur une population marginalisée, les jeunes mères au Mississippi, les familles étrangères… Qu'est ce qui vous pousse vers ce genre de sujet?
C'est l'envie de témoigner, de mettre le doigt sur une injustice, ou sur une aberration, sur ce que l'on tait.
Cela m'intéresse d'avantage de raconter des histoires méconnues, délicates.
Pour le Mississippi on a conscience de la situation, mais c'était une commande avant les élections. Néanmoins, il est intéressant de rappeler que dans cet état, en ce qui concerne les droits des femmes, les choses sont quasiment aussi retardées qu'au Yémen alors qu'il s'agit du pays le plus développé au monde. L’oeuf fécondé a autant de droits que la mère, on estime qu'il vaut mieux être mère à 14 ans plutôt que d'avorter, c'est incroyable!
Vous traitez également de la Tunisie, à l'heure de la révolte, une révolte qui prend ses racines il y a quelques mois et qui sonne de nouveau son glas. Alors que l'on parle des printemps arabes tentant de formater toutes ces révoltes, qu'est ce qui, selon vous différentie une révolte en Tunisie d'une révolte au Yémen? Qu'elles ont été vos sentiments?
La Tunisie, c'est la toute première, et je pense que le Yémen n'aurait pas enclenché une révolution s'il n'y avait pas eu la Tunisie. Je ne l’ai pas vu venir en tout cas. D’ailleurs durant les premières manifestations que j’ai vu à Sana’a ils portaient des pancartes “Dégage” en français! Les mêmes que j’avais vues à Tunis!
Comme je disais plus haut les situations des 2 pays avant la révolte étaient complètement différentes et aujourd'hui c'est aussi le cas. Les femmes étaient en première ligne du combat, mais évoluent dans une société encore trop conservatrice qui s’appuie sur une interprétation trop rigide de la religion. Elles sont classées comme des citoyens de 2e classe et là est la différence avec la Tunisie ou l’Egypte.
Yemen © Catalina MC/cosmos
En Tunisie toujours, votre reportage sur l'islam à la faculté est assez frappant et presque prémonitoire. Une photographie de deux femmes sur un bac, l'une en niqab et l'autre habillée de façon très moderne, presque "fashion", pourrait être symbolique de l'affrontement politique actuel entre le parti Ennhada et le Front Populaire. Comment la femme se situe en Tunisie?
C’était un reportage que l’on avait fait en octobre donc assez récent. On travaillait sur la menace islamiste dans les universités, car c’est là où le salafisme peut s’installer, au niveau des jeunes... Cette Université de lettres est une université très ouverte, femmes complètement dévoilées et femmes voilées cohabitent. La seule règle était d’enlever le niqab en cours dans un intérêt pédagogique…
Ce que j’ai pu ressentir à travers mes différents séjours en Tunisie, en travaillant pour ELLE magazine autour des questions des femmes, c’est évidemment la crainte d’une partie des femmes de perdre leurs acquis mais je ressens une véritable “hargne” et une volonté de ne pas se laisser faire. Les femmes avaient une place dans la révolution et elles la gardent.
Vous photographiez beaucoup la femme, Y a-t-il une part de féministe en vous?
Ce n’est pas une démarche consciente.
Je suis féministe comme je suis humaniste.
J'aime défendre les droits de l'Homme avec un grand H avant tout. Je suis contre toute forme d'injustice, contre les injustices envers l'humanité, que ce soit envers les femmes, les enfants ou les hommes. Cela ne s'arrête pas simplement à la femme, ce n'est pas militant de ma part de faire que des sujets sur les femmes, je m'intéresse aussi à l'homme, à l'enfant, à l'être humain de manière générale. Ils me touchent tous de la même manière. J'aime dénoncer toute injustice et tout droit bafoué. Après évidemment comme toute femme je suis féministe, je le sens dans ma chair. C'est instinctif.
Quelle est la place de la femme en Égypte? dans le printemps arabe?
J'ai peu travaillé en Égypte, je suis venue avant la révolution et l’été dernier pour un sujet sur le lancement d’une chaine TV salafiste. J’ai effectivement eu la sensation que la menace était assez visible, rien que par le fait du lancement de cette chaine, de par les témoignages des filles sur place qui ressentent une “pression” dans leur condition de femme mais qui ont l’air, comme en Tunisie, décidées de lutter pour conserver leurs droits.
Egypte © Catalina MC/cosmos
Pour vous quel est l'état des lieux de la situation de la femme dans le monde?
C’est une question un peu difficile et tellement vaste! De manière générale, il y a encore tellement de travail à faire! Nombreux sont les pays où la femme est encore l’inferieure de l’homme et les droits basiques ne sont pas respectés.
Après il est étonnant de voir, selon les périodes de l’histoire, les femmes se voiler et se dévoiler ! C'est le cas au Yémen, il y-a 40 ans les femmes étaient bien moins voilées qu’aujourd'hui où elles portent toutes le voile intégral. La révolution semble avoir peut-être aussi changé quelque chose à ce niveau… Est-ce que ce sont des phases, des modes, des gouvernements? Est-ce que c'est la politique ou la tradition qui évolue?
Mais de façon générale je pense qu'elles se battent les femmes, de plus en plus. Et ce même dans des pays où on ne les attendait pas.
Que pensez-vous de la journée de la femme? Et avez-vous déjà participé à des événements en lien?
Rien que l’existence d’une journée de la femme en dit long en soi. Ca montre bien qu’il y a une réelle problématique autour de nos droits. Si ce jour pouvait être un jour où l’on s’arrête vraiment sur les réels problèmes pour faire avancer les choses je suis évidemment pour, mais je ne sais pas si c’est le cas aujourd’hui.
J’aimerais que ce jour n’aie pas besoin d’exister!
Propos receuillis par Laura Béart Kotelnikoff
Photos Catalina Martin-Chico