© Maya Hasson
Gali Tibbon a débuté la photographie à l'âge de 14 ans environ. Elle était dans la bibliothèque de son grand-père, lorsqu'elle est tombée face à face avec le livre de l'année de LIFE. Emerveillée de voir qu'un appareil photo avait pu capter de surprenantes photographies en noir et blanc, très granuleuses, avec beaucoup d'ambiance, elle est tombée amoureuse sur le coup! Dès lors, elle s'inscrit à un cours de photographie en noir et blanc au Musée d'Israël, elle était le seul enfant.
A l'occasion de la journée de la femme, elle répond à nos question, et revient sur la situation de la femme photoreporter aujourd'hui, ainsi que sur ses sujets.
Quelles figures féminines du photojournalisme vous ont inspirés ?
Tout au long de ma carrière, j'ai été inspiré par plusieurs femmes photographes telles que Eve Arnold, Mary Mark Allen, Cristina Garcia Rodero, Alexandra Boulat, parmi d'autres.
Quel est votre parcours, comment êtes-vous venue au dur métier de photojournaliste ?
Ayant grandi à Jérusalem, dont l'histoire a été considérée comme le centre du monde, et depuis de nombreuses années a été, et peut-être encore, au centre de l'attention internationale, il était donc naturel d'être attiré par le photojournalisme et le rapportage.
© Gali Tibbon
Le photojournalisme est un monde d'hommes, même si il y'a de plus en plus de femmes dans les agences. Quels sont les désavantages d’être une femme ? Et quelles sont vos relations avec les reporters hommes sur le terrain ?
La plupart des femmes photojournalistes sont des joueurs qui ne sont pas membres du « club des mecs ». Je pense qu'au début, il y-a toujours de la suspicion et probablement un manque de respect. Une femme photographe doit souvent prouver qu'elle est aussi bonne qu'un homme sinon meilleure. Vous devez gagner cela. Vous êtes souvent jugée non seulement par les images que vous prenez, mais aussi par votre audace et par les limites que vous êtes prêtes à dépasser pour obtenir une image.
Je ne crois pas qu'il existe de nombreux inconvénients, mais par exemple au Moyen-Orient, où la culture et la religion ont une grande influence sur la vie quotidienne, et dans toutes ces sociétés qui sont toujours régulées par le sexe, il y a des problèmes d'accès. Mais les femmes sont créatives et ces situations nous obligent à trouver des solutions et des angles différents à l'Histoire.
Quand on parle de femmes photojournalistes on pense aux désavantages , mais quels sont les avantages d'une femme ?
Je pense que notre principal avantage est la capacité de transformer un inconvénient en quelque chose de positif. Nous avons tout simplement un angle de vision différent, moins prévisible, souvent plus frais et particulier. D'une certaine façon, c'est comme si quelqu'un ne vous laisse pas entrer par la porte, vous êtes alors obligé d'essayer de pénétrer par la fenêtre. Et ce que vous obtenez à partir de la fenêtre est toujours très intéressant.
© Gali Tibbon
Que pensez vous de l'évolution du statut de femme photojournaliste dans l'Histoire ?
Je pense qu'il y-a eu une incroyable évolution dans la façon dont le travail, et l'existence, des femmes photographes est considéré aujourd'hui. Dans le passé, elles étaient toujours comme poussées sur le côté, et le travail qu'elles faisaient n'était pas apprécié à sa juste valeur.
Comment articulez vous votre vie de femme et celle de reporter de guerre témoin de la douleur ?
Être une femme dans une situation de conflit n'est pas toujours simple. Je pense que de façon général les femmes ont tendance à être plus émotive et ont plus d'empathie envers les êtres qu'elles photographient. Mais si vous êtes une femme qui fait ce métier, vous êtes déjà différente . Cette profession attire les femmes très spéciales avec des personnalités très fortes. Parfois, il faut être plus forte que vous ne l'êtes en réalité, tout simplement parce qu'on ne peut pas faire autrement sur le terrain. Vous êtes témoin d'atrocités qui se produisent très rapidement et vous devez continuer de travailler, prendre des photos mais aussi penser à votre propre sécurité.
Ressentez vous une forme de culpabilité ou de tristesse en photographiant la misère ? Une forme de « Conscience Malheureuse» ?
Lorsque vous photographiez des situations difficiles, qui reflètent la misère humaine, ce n'est jamais facile. Il y-a toujours l'espoir que les photos que vous prenez impactent de nombreuses personnes et aient un effet, voir peut-être jusqu'à changer les choses.
© Gali Tibbon
Quel fut le reportage le plus douloureux à réaliser ? Et celui qui fut le plus fort ?
Je pense que la période la plus difficile fut au cours de la deuxième Intifada (2000-2005), beaucoup de choses se passaient, c'était très violent. Ce n'était pas une guerre, il n'y avait pas de ligne définie ou de bordure délimitant l'endroit ou l'on est en sécurité de celui ou on ne l'est pas.
La plupart des personnes blessées et tuées étaient des civils et l'étaient dans des endroits où l'on doit normalement se sentir en sécurité.
Partout on pouvait voir la panique dans les yeux des gens, on était témoin du syndrome de stress post-traumatiques à la moindre porte claquée par le vent. On ne pouvait pas y échapper.
Je pense que l'un de mes plus reportages le plus fort fut celui réalisé en Ethiopie, le pèlerinage de Noël à Lalibela, j'ai rencontré des gens incroyables qui ont été à pied pendant des jours, j'avais le sentiment de voyager au temps de la Bible. Tout était très pur et simple.
© Gali Tibbon
Beaucoup de vos reportages tournent autour de la religion, et ils montrent avec force et intensité le pouvoir de la foi. Pourquoi êtes vous si attiré par la religion ? Etes vous croyante ?
J'ai toujours été intéressée par la foi et la religion, je pense que si nous regardons l'Histoire, ainsi que l'Histoire récente, nous verrons que la plupart des conflits sont liés à la religion, d'une manière ou d'une autre. La couverture des conflits ainsi que des sujets de religion, de mon point de vue, ont tous deux à voir avec l'humanité et la nature humaine, la lutte pour le bien et le mal.
Venir d'une ville sacrée et spirituelle comme Jérusalem a eut une grande influence sur mon travail. Jérusalem n'est pas seulement le centre de l'attention politique internationale, elle est aussi au centre des trois grandes religions monothéistes. A mi-chemin entre l'est et l'ouest, Jérusalem n'est pas devenue un melting-pot, mais reste une mosaïque de cultures et de religions qui se croisent sans jamais se mélanger, chacune restant aussi distincte que possible de l'autre. L'attirance de milliers de pèlerins chaque année, provenant de divers pays avec une foi différente, m'a donné envie d'explorer, d'apprendre, de comprendre et de découvrir ce qu'il y a au-delà. J'aime à penser que je suis une personne spirituelle, mais je ne suis pas religieuse. Pour travailler sur le thème de la Foi, j'ai été à de nombreuses cérémonies et rituels religieux, à bien plus que les plus croyants.
Vous ne ressentez pas souvent l'énergie spirituelle qui vous entoure, mais quand cela arrive, ça vous frappe dans tous les sens. C'est une chose étonnante qui arrive quand des centaines de personnes récitent les mêmes versets, d'une manière rythmique, jusqu'à ce qu'ils deviennent tous une seule voix. J'ai découvert que la religion se situe dans de nombreux endroits, mais la spiritualité est beaucoup plus difficile à trouver.
J'ai appris que la Foi est un grand défi pour la photographie. Il y-a toujours cette question: puis-je réellement photographier la foi? Et c'est l'une des questions que je me posais en travaillant. Je pense que la foi est difficile à photographier. Il faut traduire la spiritualité dans une dimension plus réaliste, en une seule image fixe.
© Gali Tibbon
Vous photographiez toutes les religions, et la plupart des personnes cherchent à les différencier, à les séparer, mais, pour vous, qu'est ce qu'il les rassemble ? Qu'est ce qui les rapproche les unes des autres ?
Tous les croyants ont en commun la foi et la croyance en leur propre chemin. D'une certaine manière tous pensent que leur chemin est le juste chemin et c'est cela qui les sépare des autres. Dans chaque religion, il y-a généralement une sorte de structure systématique, une hiérarchie. Vous disposez d'un prêtre ou un chef spirituel, qui n'est pas seulement un chef, mais également le lien qui unit les croyants à Dieu. Il y a des rituels et des fêtes qui rassemblent les gens socialement, cela renforce leur foi car ils font partie d'un tout plus grand. Chaque religion a ses dates sacrées et des rituels importants, qui sont le point culminant dans le calendrier des croyants et le cercle de la vie.
André Malraux disait : « Le 21eme siècle sera religieux ou ne sera pas. » que pensez vous de cela ? Etes vous optimiste ou sceptique vis à vis des religions ?
Je pense que la citation de Malraux est intéressante, car il y-a une décennie, il semblerait que chacun d'entre nous voulait devenir citoyen d'un village global. Nous mangeons la même « mal-bouffe », nous regardons les mêmes émissions de télévision et les mêmes films, nous portons les mêmes marques, la mondialisation est partout et tout le monde veux en faire partie et il y a un prix à payer pour l'héritage négligé, que ce soit nos cultures et nos traditions religieuses.
Mais à présent, le monde est en pleine crise économique, les gens réalisent qu'il est difficile et coûteux de chasser le fantasme de la mondialisation et le retour aux sources, à la foi, à la religion est un processus naturel. Souvent, quand les choses deviennent difficiles les gens trouvent du réconfort dans la foi. Je pense que nous pouvons observer un important retour de la religion aux Etats-Unis avec les «born again», les chrétiens évangéliques, mais aussi en Europe avec la deuxième génération d'immigrants venus de nombreux pays musulmans, leurs parents étaient séculaires avec un rêve d'intégration mais les jeunes recherchent leurs racines et leur identité, et les trouvent souvent à la mosquée.
© Gali Tibbon
Et qu'est ce que vous pensez des femmes ?
Les femmes ont un rôle important dans la religion, en dépit du fait que dans la plupart des textes religieux les femmes sont compromises ou du moins décrites sous un jour peu flatteur. (Surtout du fait que ces ouvrages aient été écrits par des hommes). Une femme avec la foi a une influence bien plus grande sur son entourage; et elle pourra éventuellement élever la génération suivante dans sa perception de la croyance. Beaucoup de femmes trouvent un réconfort et une écoute dans la religion, je pense aussi que, souvent, la présence des femmes dans les rituels religieux est bien plus fréquente que celle des hommes.
Vous avez fait de nombreux reportages traitant des femmes. Y-a-t'il une part de féministe en vous ? Et selon vous quelle est l'état des lieux du statut de la femme dans le monde ?
Je pense que de nos jours la plupart des femmes sont féministes, nous sommes tous élevés avec une plus grande conscience des questions de genre et de l'égalité des droits. Certaines sont plus militantes que d'autres mais je pense que toutes les femmes sont intéressées par l'égalité des droits, l'égalité des salaires, des possibilités d'emplois, une plus grande représentation dans les fonctions publiques, les parlements, les gouvernements, etc.
© Gali Tibbon
En ce qui concerne votre série : « Female Combat Soldiers » est il possible de l'entrevoir comme une revanche ? Le clin d'oeil d'une femme photojournaliste à une femme soldat, deux affaires d'hommes...parait-il ?
Bien que beaucoup de progrès aient été fait durant les siècles passés il y-a encore de nombreux domaines qui sont considérés comme étants "une affaire d'homme", donc une fois que les femmes occupent ces postes, cela a un grand intérêt, c'est parfois un phénomène. Je pense que la plupart des gens sont surpris de voir une jeune femme de 19 ans avec un fusil (et non pas avec une robe et des talons) bien plus qu'ils ne le seraient s'il s'agissait d'un jeune homme. Le fait qu'il y-ait aussi des soldats femmes est un changement dans la perception de l'histoire parce que les femmes étaient les victimes de conflits. Et maintenant, il y a des femmes qui refusent d'être passives et de laisser leur sexe les limiter.
© Gali Tibbon
Que pensez vous de la journée de la femme ? Avez-vous déjà participé à des événements liés à cela ?
Je pense journée de la femme est une belle chose et cela nous rappelle tout n'est pas encore parfait. Mais le fait que nous ayons besoin de marquer cette journée signifie qu'il y-a encore beaucoup de travail à faire.
Propos receuillis par Laura Béart Kotelnikoff
Photos © Gali Tibbon