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Figé, émoussé, la tête vide. ou la clinique photographique de Natacha Nikouline

Mardi 19 Février 2013 14:54:46 par actuphoto dans Livres Chroniques

© Natacha Nikouline

Pour seul titre, une phrase :  Figé, émoussé, la tête vide, pour seule illustration, une photographie : la silhouette d'une femme vissée sur sa chaise, baignée d'une lumière bleuâtre. Le livre de Natacha Nikouline promet de nous immerger dans les abîmes d'une existence anéantie. Par la médiation du texte, la préface de Claude Louis-Combet adoucit cette chute comme elle nous place d'emblée « sous le signe du nu ». Qu'est-ce que la nudité photographiée par Nikouline sinon la vulnérabilité de l'être face à l'étrangeté du monde?

 

© Natacha Nikouline

 

Etrange, il l'est l'univers de ce livre. Des citations parsemées de Stanislas Prybyszewski, mots perdus sur la page blanche, des images de corps nus qui se débattent « devant le mur blanc » , « devant le papier peint » ou « sur le carrelage », une pathologie imaginaire « ovairalgie ». « La tête vide ». L'écho de cette expression martèle le lecteur tandis qu'elle résonne à chaque page tournée. Car il n'y en a pas de « tête » dans ces photographies. On ne la cherche même plus autour de ces corps tronqués... Où donc la trouver dans ce décor vide, clinique, aseptisé? Le monde dans lequel la photographe enferme ses sujets ne laisse aucune place à la rêverie.. Il est déjà mort ce monde : murs blancs, papier peint suranné, carrelage froid. Rien ne s'y exprime, tout ne renvoie qu'à sa propre dégénérescence. Tout comme les modèles, nous sommes cloîtrés, les yeux enchaînés à ces corps qui pourraient être le nôtre.

 

© Natacha Nikouline

 

Ils peuvent nous ressembler parce qu'ils sont anonymes. Le mur blanc aspire entièrement la tête de la personne adossée tandis que les femmes « devant le papier peint » sont privées de visage. En leur interdisant toute identité, Natacha Nikouline exploite une fascination universelle : la dialectique du corps. La série « devant le mur blanc » et « sur le carrelage »- au cadrage fixe, frontal ou en plongée, resserré sur les sujets- rappellent un catalogue de photographies médicales. Chaque spécimen, sous le projecteur d'une lumière crue, y est saisi dans son essence au centre d'un environnement neutre et invariable tandis que l'intitulé « Ovairalgie » mime le jargon médical.

 

© Natacha Nikouline

 

Au-delà de cette esthétique clinique, le grain subtilement flouté de l'image sensibilise cet univers, joue sur la profondeur d'un champ restreint et excite le regard du spectateur. Outre l'impression de voyeurisme, à travers la serrure de l'objectif, c'est la matière qui kidnappe l'attention. Seul élément vivant du cadre, elle se tord, se ride ou se fissure. Ethérée ou adipeuse, la peau se confond avec une enveloppe polymorphe où s'imprime la mémoire corporelle. De cette succession de poses, poignent les contorsions, les distorsions, et parfois même l'inertie. Ces femmes sculptent leur épiderme comme elles cherchent à s'y agripper. Silhouettes recroquevillées, crispées, éclatées ou démembrées alternent avec celles, inertes et brisées, d'un individu épuisé. C'est la lutte vaine contre les murs d'une cellule ou contre le carcan biologique que semblent nous décrire ces photographies. Si l'atmosphère chirurgicale incite à confondre ces corps avec la dépouille d'un animal à l'abattoir, leur rébellion contre l'inéluctable rétablit leur irrémédiable humanité. Qui ne se reconnaîtrait pas dans ses attitudes de révolte, d'impuissance puis de désespoir ? Qui n'a jamais voulu, à l'instar de Stanislas Prybyszewski, « [s']enfoncer en [soi], [se] cacher en [soi]-même » ?

 

© Natacha Nikouline

 

Pour toute figure, la photographie de clôture choisit une simple chaise de métal. Personne, la chaise est vide. Cette absence ancre un peu plus la présence de ces sujets étêtés qui ont saturés les pages du livre. Point final et dramatique, le mutisme de l'objet interroge le destin de ces êtres humains qui ont disparu du cadre. Ainsi souligne-t-il par opposition la sensualité de ce travail photographique. Suite à cette « lecture », c'est bien « figé, émoussé » que l'on se sent, mais, loin d'avoir « la tête vide ». Des questions s'y bousculent quant à la représentation du corps et sa symbolique : ceux que met en scène Nathalie Nikouline en appellent-ils à la mort ou à une renaissance? Le nôtre nous colle déjà trop à la peau et comme la main gauche referme le livre, la droite commence à se crisper.

 

© Natacha Nikouline

 

Orianne Hidalgo

Photos et vignettes © Natacha Nikouline

Figé, émoussé, la tête vide.

Natacha Nikouline

Work is progress éditions

36 pages, 500 exemplaires

23,5 x 33,5 cm

30 euros


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© Actuphoto.com Actualité photographique

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