Il est frontal le livre de Roel Jacobs. Dès la première page d'Isolated Rowhouses, les mots d'Henri Michaux résonnent comme un avertissement : « Celui qui n'accepte pas le monde n'y bâtit pas de maison ». La préface de Patrick Roegiers, véritable ode à la maison, semble s'accrocher à cette citation pour révéler le lien affectif qui se noue entre l'homme et son habitat. Comme une cascade de vers, ce texte nous emporte dans la poésie du photographe belge. Celui qui donnât une identité à ces habitations quelconques, ces habitations devant lesquelles on passe sans jamais s'arrêter, ces habitations qui referment un chemin déserté.
© Roel Jacobs
D'emblée, la première photographie nous désarme. Apaisés par le murmure des mots, nous nous heurtons à la rigidité d'un paysage froid et désolé souligné par la rectitude géométrique de l'image. Le squelette de la photographie s'incarne en un quadrillage rigoureux du champ. Les points de fuite nous emmènent irrémédiablement au centre de l'image où trône, droite, impassible, close, une maison anonyme. Que le regard caresse la cime des arbres alentours, qu'il se hasarde dans l'herbe fauchée au premier plan ou qu'il glisse sur les câbles électriques tendus dans l'air, la force concentrique des perspectives le contraint éternellement à rencontrer celui de cette bâtisse nue, commune, isolée.
© Roel Jacobs
Eternel, c'est le mot qui pourrait embrasser les « isolated rowhouses » de Roel Jacobs. Peu importe le rythme auquel les pages se tournent, nous nous confronterons toujours à une maison perdue au bord d'une route, bordée par un champ, une haie, un bosquet. Le ciel ? Il est lourd et blanc comme la page dépouillée qui encadre la photographie. Sempiternelles balafres, seuls les fils électriques portés par un frêle poteau égratignent cette masse nuageuse. Ils n'épargnent pas non plus ces maisons dont ils transpercent le toit. Plantées fièrement dans leur espace, massives au milieu d'une végétation grignotée par l'hiver, ces constructions semblent défier le temps.
© Roel Jacobs
Cette série de portraits provoque aussi le spectateur. Car il s'agit bien de portraits. C'est le regard stoïque de ces maisons que soutient le notre. Leurs fenêtres, autant d'yeux rivés sur l'objectif, nous interrogent alors que l'immobilisme des bâtisses , seuls personnages sur scène, interrompt le dialogue. La pièce qui se joue ici se découvre en traversant le livre. Toutes ces maisons se rassemblent en un unique acteur qui s'anime au fil des pages. Les fenêtres ouvertes ou fermées, voilées de rideaux ou parées de volets, nuancent son regard. Simples revêtements en béton ou façades de briques, les murs sont autant de costumes dont les teintes, blanches, grises ou rouges inspirent une tonalité dramatique. Parfois dissimulée derrière le feuillage des deux grands arbres ou les troncs étroits d'un bois, la maison peut se montrer coquète et facétieuse. Plus ou moins centrée dans le plan ou éloignée dans le champ, elle joue avec son décor comme elle module ses entrées en scène. Si une autre bâtisse tente de se faufiler dans le cadre, elle l'évince immédiatement tandis qu'elle profite d'une prise de vue frontale. Quoiqu'il arrive, le photographe isolera son actrice favorite.
© Roel Jacobs
Isolated Rowhouses impose le silence, puis, doucement, un souffle théâtral ondule l'homogénéité des photographies. De l'austérité initiale, on se retrouve face à l'espièglerie du photographe. D'abord étrangères et anonymes, ces maisons nous deviennent familières. Un échange de clins d’œils entendus nous a invité dans leur comédie. Au-delà du paysage, c'est à travers nous-mêmes que nous pousse à regarder ces façades esseulées. En donnant tout de suite une place au spectateur par rapport au champ photographique, en nous enfermant dans un face à face, l'esthétique géométrique de Roel Jacobs anime brique, tuile et béton. Sans aucune figure, sans aucun corps ni aucun mouvement, elle opère une catharsis subtile. Qu'est ce que la dérive ? Où s'arrête la solitude ? Où commence le dialogue ? Ici, il n'est pas question de romantisme ou de passion des éléments. Ici, il n'y a qu'une maison sur laquelle s'arrête un regard.
© Roel Jacobs
Photos et vignettes © Roel Jacobs
Orianne Hidalgo
Isolated Rowhouses
Roel Jacobs
Husson éditeur
60 pages
29,7 x 24 cm
36 euros