« Iraq is flying » © Jamal Penjweny
Des irakiens qui volent... C'est l'idée originale du photographe Jamal Penjweny. Au départ berger, Jamal Penjweny devint progressivement peintre puis réalisa des sculptures avant de se lancer dans la photographie : « Lorsque j'étais berger, j'ai pensé devenir peintre, et j'ai commencé à réaliser des sculptures. Puis pendant quelque temps j'ai voulu photographier mes sculptures, et c'est ainsi que j'ai commencé à devenir photographe. »
En 2006, il commence une série qu'il intitulera « Iraq is flying », autrement dit « l'Irak vole », et sur laquelle il travaillera jusqu'en 2010 : « Lorsque nous étions enfants, nous pensions toujours que les avions servaient uniquement aux bombardements et à la guerre. Nous n'avions jamais eu la chance de voler dans un avion. Donc nous avions créé un jeu de bonds, nous voulions sauter aussi haut que nous le pouvions pour essayer de voler. C'est ce qui m'a donné l'idée de mettre en place ce projet. L'idée est que l'Irak vole, il saute dans un nouvel Irak, ce n'est pas uniquement un pays en guerre mais quelque chose de nouveau. »
« Iraq is flying » © Jamal Penjweny
Ce projet a mûri dans l'esprit rêveur de l'artiste, devenu photoreporter : « Pendant 5 ans après la guerre, j'étais photojournaliste. J'ai remarqué que les médias parlaient uniquement des mauvaises choses en Irak, ils ne montraient jamais le positif. Un jour, j'ai commencé à penser que j'aimerai changer cela et montrer un autre Irak.
Dans le photojournalisme, vous ne pouvez pas exprimer les choses que vous avez à l'intérieur de vous, vous pouvez uniquement montrer ce qu'il se passe. Donc ce projet est un carrefour entre photojournalisme et ce que vous avez en vous, votre imagination. »
« Iraq is flying » © Jamal Penjweny
Alors Jamal commença à photographier des irakiens, de tous genres, dans toutes circonstances, mais avec une particularité : en sautant. Militaires, enfants, bergers, paysans, ils sont différents, mais tous prennent la même pose cocasse et touchante devant son objectif. Des shootings organisés avec soin par l'artiste, qui a pris ce projet très à cœur : « Je voulais montrer tout l'Irak, et c'était encore dangereux dans beaucoup d'endroits. Je demandais à chaque fois aux gens ce qui était important dans leur ville, afin que je puisse capturer les moments décisifs de chaque emplacement. La seconde partie consistait à expliquer aux gens comment sauter. Je leur montrais comment faire, en sautant moi-même pour commencer, afin qu'ils ne se sentent pas honteux de le faire eux-mêmes. Puis je leur demandais de sauter, sauter, de nombreuses fois, afin que je capture le moment du saut. Parfois, les gens devaient sauter une cinquantaine de fois ! »
« Iraq is flying » © Jamal Penjweny
Ces irakiens que Jamal a photographié, n'ont jamais été pris au hasard. « J'ai choisi des gens en fonction de la ville où nous étions. Je prenais en compte la culture de la ville, quel genre de personnes vivait ici, ce qui était le plus important dans cet endroit. C'était comme le casting d'un film, il est important de choisir les bonnes personnes au bon moment, ce qui n'est pas chose facile car ce sont des gens normaux et non des professionnels, donc le voisinage entier voulait venir et observait. La foule faisait des plaisanteries et se réunissait autour de la scène, donc prendre une image pouvait durer des heures ! »
Cette série très personnelle du photographe comporte aussi et surtout un message qu'il tient à faire passer : « J'ai voulu montrer au monde entier ce qu'il se passait en Irak, que les gens n'avaient pas choisi leur condition au sein de cette guerre. Dans les médias, tout ce que nous entendons à propos de l'Irak concerne la guerre, mais les gens ne la choisissent pas, et toutes les choses qui arrivent ici viennent des politiciens et de l'extérieur. Le message est de montrer de l'intérieur les gens de ces zones de guerre, leurs rêves, leur imagination. La guerre n'est pas quelque chose que ces gens ont choisi. » En effet, la situation irakienne est toujours préoccupante, et une amélioration ne semble guère se profiler à l'horizon : « L'Irak est toujours en guerre, et ce n'est pas une situation facile à résoudre. C'est l'un des plus riches pays au monde, et tous ses problèmes ne viennent pas d'aujourd'hui mais ont commencé il y a un long moment. L'Irak a toujours été, à travers l'histoire, un pays d'agitation. »
« Iraq is flying » © Jamal Penjweny
Un très beau projet donc, et des images rêveuses, et envieuses, malgré tout, d'un futur prometteur. « Mon meilleur souvenir est le jour où un groupe s'est réuni autour de moi, et un vieil homme m'a dit « si tu trouves une femme agréable pour moi je sauterai en l'air pour ta photographie », à quoi je lui ai répondu que s'il sautait très haut, il aurait plus de poids pour se marier. »
Son image préférée, Jamal Penjweny la choisi sans détour. « Celle avec la vache dans les marais irakiens, car cela me rappelle le temps où j'étais berger lorsque j'étais enfant. Si vous regardez cette image, c'est comme si le petit garçon était assis dans le ciel, et la vache le regardait. Il est heureux, aussi, il n'avait jamais vu de berger comme cela auparavant. »
« Iraq is flying » © Jamal Penjweny
Jamal Penjweny, un photographe à suivre, un artiste aux projets plein la tête. « Mon nouveau projet photographique est à propos de votre imagination ; les choses que nous n'avons pas dans la réalité mais auxquelles nous rêvons.
L'année passée, j'ai également ouvert Caffe 11, un café et centre culturel/galerie d'art à Sulaymaniyah afin de créer un espace pour initier les gens à l'art et la culture. Nous allons ouvrir un second café dans quelques mois à Erbil et travaillons sur le projet d'en ouvrir d'autres, également à l'international. »
Un travail remarquable, sensible et captivant, à suivre sans hésiter sur http://www.jamalpenjweny.com/
Claire Mayer