© François Kollar
Ce livre propose des clichés inédits du photographe François Kollar qu’il réalisa dans les années 1930, au cours d’une enquête sur l’univers maritime et ses travailleurs. Ce reportage répondait à un projet lancé en 1931, par l’éditeur Jacques Lagrange, qui souhaitait mettre en avant les travailleurs français. Une toute petite partie de ces photos fût publiée en 1932-1934 dans La France travaille, et c’est aujourd’hui une grande et belle collection que nous proposent de découvrir les trois auteurs de cet ouvrage. Ainsi, en accompagnant les clichés de commentaires pertinents, Florence Calame-Levert, Aymeric Perroy, et Jérôme Decoux, nous prouvent que les sublimes photographies de François Kollar sont de précieux témoignages de la vie des cités portuaires, surtout à une époque de grands bouleversements, au cours de laquelle la mécanisation était en marche.
Avec cet ouvrage, le lecteur découvre un univers intense, au milieu d’une époque charnière. A travers ses clichés, François Kollar saisit aussi bien l’aspect économique et industriel de l’univers de la mer et des activités portuaires, que l’aspect humain et sensible des ces cités en bord de mer, et de ces marins courageux. Le photographe s’intéresse aux infrastructures, aux bateaux, aux constructions, mais aussi aux maisons des cités portuaires et à leurs habitants. Il est tourné vers la mer et les quais, mais aussi vers la terre, avec ses toits et ses maisons. Les marins et le village sont donc les acteurs et le théâtre des photographies de François Kollar. Sur chaque image, c’est l’intensité d’un moment, qu’il soit quotidien ou exceptionnel, que le photographe parvient à nous transmettre.
Grâce à ce livre, nous pénétrons l’univers maritime, mais c’est surtout l’atmosphère des ports que nous découvrons. En effet, la situation présentée dans ce livre n’est pas celle des marins en mer, et c’est bien en cela qu’elle est caractéristique des bouleversements de l’époque. François Kollar n’est pas parti en mer, il a sillonné les ports de France et nous en présente leur quotidien, leurs paysages, et leurs activités. Dans la première partie de l’ouvrage, Jérôme Decoux, historien de formations, qui travaille au sein du service de l’inventaire du Patrimoine du conseil régional de Haute-Normandie, nous décrit ces lieux si particuliers : « Site naturel, point de passage, lieu de vie, espace de travail, territoire domestiqué et ultime frontière du monde habité, le port est, dans ses formes contradictoires, un lieu investi d’une charge imaginaire très importante ». Cette description correspond bien à ce que nous retrouvons dans les photographies de François Kollar.
Comme nous l’explique Aymeric Perroy, responsable du patrimoine maritime à la ville du Havre, la « construction navale » était l’une des activités les plus importantes dans la vie des ports des années 1930. François Kollar rend bien compte de ce phénomène. Ainsi, ces images qui proviennent d’une autre époque sont très impressionnantes. En effet, le photographe ne saisit pas seulement les hommes, mais aussi les gigantesques navires, avec leur si belles coques.
Néanmoins, au-delà de l’aspect réaliste et authentique d’un univers si singulier, les photographies de François Kollar sont également des preuves des immenses évolutions et mutations techniques que connût ce monde. Jérôme Decoux ajoute « François Kollar rend compte d’un paysage neuf et toujours en mutation ». Ainsi, si ses images présentent une dimension technique, le photographe saisit aussi toute l’humanité d’un métier en plein bouleversement.
D’ailleurs, François Kollar semble toujours s’être imprégné de l’univers comme pour se confondre dans le décor, et capter toute l’authenticité de ce qu’il observait. Sur certaines photos prises dans des bars, il s’invite mais ne semble pas gêner l’atmosphère ambiante : rien ne doit pouvoir perturber la joie de ces marins qui se réunissent autour d’un verre, probablement soulagés d’avoir à nouveau les pieds sur terre.
Ainsi, les photographies de François Kollar sont les témoignages d’un mode de vie, de la réalité de ces cités portuaires, mais servent aussi à comprendre l’histoire de cette époque en proie à d’immenses bouleversements. Ces derniers ont modifié la manière de transporter les marchandises et de construire les navires, mais ont également profondément transformé la vie de ces hommes et femmes, aussi bien de ceux qui vivaient en mer, que de ceux qui résidaient dans les villages portuaires.
Il est enfin judicieux de souligner que malgré l’aspect fixe et immobile de ses photographies, François Kollar saisit parfaitement les mouvements des marins. Florence Calame-Levert, docteur en ethnologie et conservateur du patrimoine l’exprime ainsi : « François Kollar n’embarque jamais vers le large. Jamais il ne suit le circuit des êtres et des choses. Il les envisage circonscrits seulement au moment bref de leur passage. Depuis les limbes portuaires d’où il se tient, le photographe rend compte du mouvement incessant d’un rivage à un autre monde ».
Les Hommes de la mer, Dans l’objectif de François Kollar, Florence Calame-Levert, Aymeric Perroy et Jérôme Decoux
192 pages – 24 X 27
Editions de La Martinière
35 euros
Adèle Latour