© Stephan Larroque
Le photographe Stephan Larroque s'est intéressé récemment à un problème d'actualité, le manque de prévention sur le cancer du sein chez les jeunes femmes. En France, 5% des cancers du sein concernent des femmes de moins de 40 ans. Ils sont souvent agressifs et détectés trop tard. Il y a une urgente nécessité à promouvoir un dépistage précoce. Certaines malades, en lutte avec la maladie, et sans doute aussi avec elle-même, osent en parler et se montrer. Pour les autres, pour sensibiliser, pour agir ! A l'occasion d'une exposition collective de photographie, il présente son travail issu de sa rencontre avec Sabrina, une jeune femme atteinte par la maladie.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je fais des photographies depuis 20 ans. Tous les jours. C’est une histoire un peu longue à raconter mais l’appareil de photo est venu à moi… j’ai perdu un copain qui était photographe professionnel dans un accident de la vie et c’est à moi que sa mère a confié son matériel. Je sortais d’une école de commerce et n’avais jamais rencontré de déclencheur ! J’ai ouvert le sac, monté l’objectif et mis mon œil dans le trou. La vie s’écrit parfois comme ça.
Comment vous êtes-vous intéressé à la sensibilisation des jeunes femmes au cancer du sein ?
J’ai été contacté par Barbara Pastre de l’association « La Montpellier Reine a du Cœur » qui avait déjà organisé des manifestations de sensibilisation autour du sujet et qui souhaitait cette fois monter une exposition photo. L’idée : provoquer la rencontre entre jeunes femmes en traitement et des photographes. Dix jeunes femmes ont répondu à l’appel et ont choisi le photographe avec lequel elle voulait travailler. J’ai été l’un d’entre eux.
© Stephan Larroque
© Stephan Larroque
Votre travail s'inscrit dans une exposition collective « Ce crabe qui nous pince les miches », pourriez-vous nous expliquer l'origine du projet et ses perspectives ?
Réponse apportée par Barbara Pastre.
L’association « La Montpellier – Reine a du cœur » organise chaque année depuis 2009, le dimanche de la fête des mères, « La Montpellier – Reine » : course caritative contre le cancer du sein. A travers cet évènement sportif et surtout ludique, la Montpellier - Reine a pour objectif d’informer et de sensibiliser le plus de femmes possible, à l’importance majeure du dépistage du cancer du sein. Nous avons eu de nombreux témoignages de jeunes filles entre 17 et 38 ans qui ont eu un cancer du sein. Nous avons voulu les faire témoigner avec leurs propres mots. Nous avons donc contacté des dizaines de photographes qui ont répondu positivement à ce projet : "Ce crabe qui nous pince les miches". Cette exposition photo a pour but de créer une identification, afin que les jeunes filles prennent conscience que le cancer n’est pas une maladie qui concerne uniquement les femmes de 50 ans et plus. L’idée : nous travaillons avec dix modèles et dix photographes. Chaque photo a une identité propre autour d’un duo modèle - photographe.
La photo recto : le photographe fait ressortir son propre univers, celui-ci à un goût plus affiné pour créer une ambiance à laquelle des jeunes filles pourront s'identifier immédiatement. La photo est prise en situation.
La photo verso : prise poitrine dénudée, on comprend que le modèle a eu un cancer du sein.
L’exposition : des panneaux de deux mètres de haut, exposer selon un parcours qui permettra aux visiteurs de découvrir la photo recto puis la photo verso afin de créer un choc.
L’objectif : Les jeunes gens fonctionnent uniquement à l’image et c’est pourquoi nous avons choisis ce moyen de communication. Nous voulons créer une identification qu’elles puissent se dire : « Cela peut m’arriver aussi !! »
© Stephan Larroque
Quelle est l'histoire de votre rencontre avec Sabrina la jeune femme qui pose dans cette série de photographies ?
Sabrina c’est une porte qui s’ouvre. Une belle jeune femme de 28 ans, qui vit dans un appartement décoré, chaleureux, généreux. Elle a un sourire incroyable. La première image ? La mienne : il y a des miroirs panoramiques disposés à hauteur d’yeux sur les murs du salon ! Vivre au quotidien avec son image. L’image donnée, renvoyée, perçue… Décor planté.
En tant qu'homme, quel a été votre regard ou votre ressenti pendant la réalisation de ce reportage qui touche la féminité ?
Ces photos sont faîtes avec Sabrina. Le rapport homme femme est partagé par le photographié et le photographe. Le contexte, c’est une femme qui pose sein(s) nu(s) devant un objectif tenu par un homme… et qui en attend en retour un regard, au mieux un propos. C’est une expérience humaine partagée, bien avant d’être un portfolio. Au final, la question ne s’est pas posée. Pour Sabrina je crois que le photographe a pris le pas sur le bonhomme derrière l’objectif ! En ce qui me concerne, j’en ai fait un moteur, une ambition. Rendre à Sabrina la confiance dont elle me témoigne, c’est le moins que je puisse faire. Et puis je suis le papa d’une petite fille, alors forcément ça déplace le cadre.
Que symbolisent les contrastes entre l'ombre et lumière et les jeux de reflets dans votre série de photographies ?
Les miroirs du salon, les cheveux artificiels rangés dans la boîte en carton, le pull rabaissé sous les fesses… être célibataire, avoir un cancer et 28 ans a aussi à voir avec la perception de l’image que l’on a de soi. Comment je suis, comment je deviens, comment je me vois et surtout comment suis-je vu par les autres ? De plus, il y a le quotidien de la maladie. Avec ses contrastes, ses lumières et ses ombres. Un jour ça va et puis l’autre moins.
© Stephan Larroque
© Stephan Larroque
Pouvez-vous nous expliquer plus particulièrement votre démarche artistique à travers les deux photographies Recto / Verso ?
C’est en parlant avec Sabrina que les images se sont construites. Surtout, je voulais qu’elle profite, qu’elle s’amuse de l’expérience. Elle m’avait dit : «j’aimerai tellement pourvoir mettre l’image sur le mur de mon salon, même si je sais que mon apparence actuelle est temporaire. » J’ai essayé de travailler autour du rapport qu’elle entretenait avec son image. J’aime bien l’aspect théâtral, en représentation de l’image recto. J’y vois la vie, une femme, la nuit. La photo verso, je la voulais plus intimiste. C’était l’idée du miroir, du « vivre avec les effets de la maladie », face à soi-même. Sabrina a mis sa perruque pour cette image. La guerrière. Elle se refuse à sortir dans la rue avec, alors forcément !
© Stephan Larroque
© Stephan Larroque
Vous avez réalisé une série sur le cancer du sein chez une jeune femme, pensez-vous qu'il serait également intéressant de sensibiliser davantage le cancer du sein chez les hommes ?
Sans aucun doute. Savoir c’est se donner la liberté d’anticiper.
Quels sont vos futurs projets ?
Je veux continuer à travailler avec Sabrina sur le sujet. Aller plus loin. Prendre le temps de rencontrer, d’écouter. Aujourd’hui, j’arrive au terme d’un travail entamé il y a plus d’un an sur l’enseignement catholique. Je poursuis les prises de vues du projet « BLEU », reportages dans les usines de nos campagnes et écrit chaque fois qu’il est possible une nouvelle page du projet « Stand Up », rencontres photographiques avec la génération « pics ».
Vignette et photos © Stephan Larroque
Propos reccueillis par Justine Mahé