© Milomir Kovacevic
C'est avec émotion et sans voix que l'on découvre les photos de Milomir Kovacevic. A travers ses clichés assez paradoxaux, associant à l'image à la fois douceur et violence, on découvre un pays blessé, divisé, éclaté en plusieurs fragments. Cette guerre a été si violente qu'elle a eu l'effet d'une bombe sur tout un pays qui n'existe plus, la Yougoslavie. Elle a non seulement éclaté un pays en plusieurs morceaux, mais elle a surtout mutilé tout un peuple.
Milomir Kovacevic nous montre à travers son objectif les horreurs des hommes sur la population, sur sa ville. Le 6 avril 1992, la guerre qui a commencé en Croatie s'étend à la Bosnie-Herzégovine. Cette guerre s'avère être un massacre venant des Serbes (entre autre) qui souhaitent mettre en place une politique de « purification ethnique ». Ils veulent morceler ce pays en plusieurs régions afin de « parquer » chacun en fonction de sa « pureté ethnique ». Cette entreprise absolument aberrante fit se révolter la population en organisant des manifestions pour protester contre ces mesures.
© Milomir Kovacevic
Les conséquences de cette guerre ont été terribles : massacres, viols, crimes. Tout le monde assista à ce spectacle désolant et terrifiant qui sévi durant 4 ans, jusqu'en 1996.
Les photos que prend Milomir Kovacevic font aussi acte de dénonciation de ces horreurs, mais font également office de mémoire, de souvenir. On voit dans ces clichés des enfants, des personnes âgées, des jeunes, hommes et femmes, heurtés par les séquelles des balles qui leur ont retiré un être cher. Les dégâts des obus montrent une ville en ruine, perdue, vide, morte. Les populations fuient leur pays pour échapper à leur tour à ces tristes sorts : n'être plus que ruine, se sentir vide et dévasté dans son propre pays.
© Milomir Kovacevic
Par ses clichés, Milomir Kovacevic montre la détresse d'un peuple qui a sombré dans le chaos après la mort de leur dirigeant communiste, Tito au pouvoir jusqu'en 1988. Pourtant, malgré la dictature communiste développée par son dirigeant, la Yougoslavie connaît néanmoins des avancées remarquables dans les politiques d'industrialisation, d'urbanisation et de développement sans précédent dans les Balkans grâce à cette ère Titiste. Pour beaucoup, Tito représentait le symbole de la paix et de la vie commune de tous les peuples yougoslaves. Dans son ouvrage, on voit de nombreuses affiches ou photos de Tito dans les rues, des hommes lors des manifestations brandissants des portraits de Tito.
Le livre est présenté en étapes. Tout d'abord, Milomir Kovacevic montre la population juste avant la guerre, il fait des portraits des enfants, de ses amis, il montre des gens heureux. La photo qui surplombe Sarajevo montre une ville encore intacte, des rues calme.
© Milomir Kovacevic
Viennent ensuite de nombreux clichés sur les manifestations que la population commence à entreprendre, réclamant la « paix ». Chaque banderole, chaque message clame « l'unité et la Yougoslavie ». Ces habitants ne veulent pas que les partis nationalistes prennent de l'ampleur et partagent le pays en région « ethniquement pures ». Ils se mobilisent dans un esprit commun de révolte contre le gouvernement.
A la moitié du livre, Milomir Kovacevic commence à montrer le pays et ses habitants touchés par cette guerre. Les ruines des bâtiments, la fumée dans la ville, les impacts de balles sur les vitrines de magasins montrent la violence de ces affrontements. Les cimetières se remplissent, les visages se figent, les regards sont vides. Les enfants jouent avec des armes.
Le livre se termine sur des témoignages d'habitants de Sarajevo, qui ont quitté leur ville pendant la guerre, et présentent chacun un souvenir qui leur rappelle leur ville meurtrie. Cet objet est celui qui leur rappelle leur vie passée à Sarajevo : c'est ce qui leur reste de cette ville, cet objet-souvenir auquel ils raccrochent tous leurs souvenirs.
© Milomir Kovacevic
Les photos sont prises en noir et blanc, comme si le photographe avait choisi d'unifier la couleur pour rappeler la solidarité d'un peuple. Ceci donne aussi un caractère dur, et le fait d'avoir ces clichés en petit format fait que le regard est d'avantage centré sur tous les détails de la photo.
Milomir Kovacevic est né en 1961 et commence la photo à l'âge de 17 ans en arpentant les rues de Sarajevo. Il photographie la « beauté de ses habitants », puis peu à peu, le chaos grandissant de sa ville. Il se définit lui même comme un chroniqueur visuel, il rapporte grâce à ses photos l'horreur d'un conflit, les blessures traumatisantes et les reconstructions fragiles de tout un peuple. La balle qui le toucha au menton, mais surtout l'assassinat de son père lors du siège marquent un point décisif de plus dans sa quête photographique qui devient un besoin non seulement pour lui, mais pour tout un peuple de rapporter ces faits.
© Milomir Kovacevic
Sarajevo
Editions Acte Sud
117 photographies noir et blanc – 144 pages
12,5x19
13 euros
Eloïse rey