© Thierry Cohen
Thierry Cohen a longtemps travaillé pour des clients institutionnels, des maisons de disques, ou encore des cabinets d’architecture. Mais depuis 2006, il se consacre davantage à des projets personnels, tels que celui qu’il nous présente dans cet ouvrage.
Villes éteintes repose sur une idée originale et pertinente. Thierry Cohen a photographié de nombreuses grandes villes, et y a reporté les ciels qu’elles devraient avoir si elles n’étaient pas tant polluées et éclairées. Pour cela, il s’est rendu dans des déserts ayant exactement la même latitude que les villes en questions, afin d’y photographier les fameux ciels. Le photographe a choisi les villes les plus représentatives de notre époque, de notre modèle économique, et de notre société. C’est ainsi qu’il a photographié de nombreuses cités américaines (au sud et au nord, ex : Rio de Janeiro, San Francisco, New York), mais aussi des villes asiatiques (Tokyo, Shanghai). Les séances photos ont été réalisées de jour, souvent sous des ciels plutôt gris.
Brooklyn © Thierry Cohen
A travers cette démarche qui comprend une dimension artistique, Thierry Cohen exprime un réel but. Celui de dénoncer la disparition des étoiles dans les villes. Comme il nous l’expliquait dans l’interview qu’il nous a accordée, le projet des Villes éteintes a une vocation écologique, mais va également bien au-delà. Le photographe veut y transmettre un message bien plus spirituel et poétique. Selon lui, les étoiles seraient un lien très fort unissant les hommes depuis toujours. Il considère que nous avons perdu ce lien, tout comme nous ne mesurons plus la place de l’Homme dans l’univers. Ce livre est donc le fruit d’une intense réflexion menée par le photographe. D’ailleurs, la réussite de ces images repose dans leur capacité à interpeller le spectateur, tout en l’éblouissant de beauté.
Rio © Thierry Cohen
Thierry Cohen le sait, peu de gens ont un jour eu l’occasion d’observer des ciels tels que ceux qu’il présente dans ce livre. Les images du photographe sont ainsi absolument étonnantes et inédites pour le spectateur lambda. Toute la magie de l’idée repose dans ce rapport établi entre des ciels inconnus du grand public, et des villes qui sont en revanche très célèbres, et dont les images sont propagées dans le monde entier. Cela crée un grand paradoxe, et le spectateur n’en est que plus captivé.
Rio © Thierry Cohen
Cet ouvrage ouvre donc la voie à de nombreuses interrogations qui viennent hanter le spectateur. Celui-ci réalise qu’il ne connaît pas les véritables ciels naturels, et que cela lui est impossible dans les villes où se concentre la majorité de la population. La dimension écologique de ce projet est donc bien posée, même si l’aspect spirituel émeut bien plus encore le spectateur. Ce dernier ne peut que se sentir tout petit face à l’immensité et la grandeur des ciels exposés par Thierry Cohen. Même les villes que l’on imagine gigantesques, imposantes et indestructibles, semblent ridicules, écrasées par la luminosité et la beauté des étoiles. Thierry Cohen nous confiait d’ailleurs qu’il lui était arrivé d’avoir le sentiment d’être plaqué au sol par l’entrée en scène de cet extraordinaire spectacle.
La luminosité des photographies est particulière dans la mesure où celles-ci sont relativement sombres, et semblent uniquement éclairées par la lumière des étoiles. Lors de l’exposition « Villes éteintes » à la Galerie Esther Woerdehoff, les clichés étaient encadrés sous Diasec, donnant ainsi une brillance aux photos, qu’il est bien plus difficile de retranscrire sur papier. Néanmoins, dans cet ouvrage, le pari est plutôt bien réussi. Les images conservent leurs puissants contrastes, et bénéficient d’une jolie mise en valeur, même si l’on n’y retrouve pas l’effet époustouflant du Diasec.
San Francisco © Thierry Cohen
A travers cet ouvrage, Thierry Cohen offre des images étonnantes et inédites, mais posent également des questions rarement évoquées. Il considère aujourd’hui que son projet des Villes éteintes n’est pas encore terminé, et espère pouvoir photographier Mexico, Chicago, ou encore Dubaï.
Sao Paulo © Thierry Cohen
Villes éteintes, Thierry Cohen, textes de Maylis de Kerangal et Jean-Pierre Luminet
92 pages – 21 X 31
Editions Marval
35 euros
Adèle Latour