
© Anna Sarah
Acey Harper commence sa carrière en tant que photojournaliste, à la fin des années 1970. Il travaille à l'époque pour un petit journal du sud de la Floride. Puis, il se voit offrir un poste au sein de la rédaction d'USA TODAY, à Washington. Il s'agit du premier et unique journal national des Etats-Unis. Il acquiert ainsi une très belle expérience, qui lui permet de se lancer en tant que photographe indépendant à la fin des années 1980. Il travaille alors pour divers magazines et livres. Par la suite, il déménage finalement à San Francisco où il souhaite continuer son travail de photographe indépendant. Néanmoins, il commence à être sollicité comme photographe d'entreprise. Il participe également à l'édition de plusieurs ouvrages tels que les livres « Day in the life » et « Official Presidential Inaugural ».
Ayant complètement changé de voie, et décidé de se consacrer à des projets plus personnels, Acey Harper présente sa série « No Limits », à la Galerie de l'Hôtel Jules&Jim. Il s'intéresse alors à l'univers des acrobates, et propose des images étonnantes.
© Acey Harper
Vous avez été photojournaliste, pourquoi avoir changé d'orientation photographique ?
J'ai débuté en tant que photojournaliste dans les années 1970. J'ai travaillé pour tous les plus grands magazines du monde tels que le Time, People ou encore Stern. Lorsque j'étais basé à Miami, j'ai voyagé dans tous les Etats-Unis, aux Caraïbes, en Amérique centrale. Après avoir déménagé à san Francisco, j'ai voyagé en Asie.
Aux débuts des années 2000, j'ai commencé à percevoir un changement dans ce milieu. Il y avait moins de missions et il me semblait que la photographie était dévaluée. C'était décourageant, mais j'adore faire des photos.
Je sentais qu'il fallait que je change mon approche, mais aussi qui j'étais. Je voulais trouver une autre façon de m'exprimer avec les images. Je souhaitais aussi produire des clichés pour moi-même, et non plus pour quelqu'un d'autre, tel qu'un éditeur ou directeur artistique. Je désirais satisfaire ma propre vision. J'ai réalisé que là était le plus important pour moi, et que j'étais prêt à faire tous les sacrifices pour produire mes propres photos. Celles-ci devaient devenir mon art.
Comment est né ce projet qui a consisté à photographier des acrobates ?
Une de mes amies devait écrire une série de textes sur le monde des acrobates et sur l'apprentissage de leurs compétences. Elle a appris à manier le trapèze volant, à un âge où la plupart des acrobates ont pris leur retraite. Elle était très enthousiaste à propos du monde des arts du cirque. Elle m'a demandé de prendre quelques photos pour accompagner ses écrits.
J'étais intéressé et j'ai commencé à produire une série de portraits sur toile de fond. Ils étaient merveilleusement illuminés, techniquement parfaits, mais ne possédaient pas d'âme. Ils n'avaient pas de sens. Puis, lors d'un week-end, j'ai photographié l'un de mes sujets favoris, une trapéziste, à la campagne. Nous avons accroché son trapèze à un chêne. J'ai été stupéfait par le résultat. J'aimais la lumière sur elle, et la façon dont le décor semblait rayonner grâce à elle. J'ai su que là était la réponse.
J'ai donc commencé à photographier des acrobates dans différents lieux : arbres, déserts, plages, prés de bâtiments ou de ponts. Cela a changé mon approche, et m'a donné une nouvelle vision et une nouvelle manière de percevoir les choses. En réalité, j'ai commencé à photographier à partir de mes rêves, et de mon imagination. Je suis devenu obsédé par le fait de faire les images de ce projet, et je me suis engagé pleinement afin de réaliser ces nouveaux clichés. Elles étaient une pure expression de mon imagination. Elles sont mon art.
© Acey Harper
Pourquoi cet univers vous attirait-il ?
Lorsque j'étais photojournaliste, je racontais les histoires des autres. Je photographiais seulement ce qu'il se passait et n'interférait jamais avec la réalité. Mais avec ce projet, je pouvais photographier à partir de mes rêves, et de mon imagination. Il n'y avait pas de limite à ce que je pouvais imaginer, ou réaliser.
J'étais motivé et inspiré par le courage brut de ces jeunes artistes du cirque, qui cherchent quotidiennement de nouvelles façons de bouger leur corps. Chaque jour, chaque action, et chaque performance leur sert à créer une nouvelle version d'eux-mêmes. Comme eux, j'avais besoin une nouvelle façon de m'exprimer. J'ai réinventé ma façon de voir les choses.
Au départ, je voyais les acrobates comme des sujets de photographie très intéressants. Mais alors que je continuais à travailler avec eux, j'ai aussi commencé à les voir comme des partenaires, des collaborateurs à la création des images. Ces dernières ont donc une part de photographie, et une part de performance artistique.
Comment se déroulaient les séances photos ? Comment décidiez-vous de la mise en scène ?
Les lieux et l'environnement des photographies sont aussi importants que les personnes qui sont sur celles-ci. Je recherchais le décor qui allait convenir à un acrobate particulier, ou l'acrobate qui allait correspondre à un certain lieu. J'essayais de faire correspondre les lieux à l’activité qu'allaient faire les acrobates, ou à la forme qu'ils allaient établir avec leur corps.
J'ai travaillé avec chaque photographe afin qu'il trouve sa mise en scène personnelle. Bien avant chaque séance, nous discutions des compétences spécifiques de chacun – qui allaient de la contorsion et l'équilibre sur les mains, au balancement dans les airs, ou à un travail plus complexe nécessitant une plate-forme ou une base : trapèzes, cordes, et autre matériel exotique de cirque. Nous avons parlé de leurs « actes », mais aussi, plus profondément, de la façon dont ils se considérent eux-mêmes comme des artistes – quels sentiments apportaient-ils à leurs acrobaties sur scène, et quelles images et émotions étaient dans leurs rêves et dans leurs pensées personnelles lorsqu'ils pratiquaient leur art.
Je recherchais des lieux ou des décors qui allaient venir compléter les lignes de leur corps et ce qu'ils en faisaient, et qui allaient évoquer un sentiment, ou une image. Comme nous discutions ensemble de ce que nous voulions montrer, naturellement, l'idée d'un lieu émergeait. Souvent, il s'agissait d'un lieu que j'avais vu, et que je réservais au bon sujet. J'en ai repéré certains grâce aux bouche à oreille, ou même sur Google Earth. Parfois, il s'agissait du fantasme de l'acrobate qui avait envie de réaliser son tour dans une situation inhabituelle. Il était important que quelque soit le concept – qu'il se soit agit d'être sur une plage, ou installé dans les combles d'un ancien domaine viticole, ou dans le hall du pont de Brooklyn – il devait nous convenir à tous les deux.
© Acey Harper
Pourquoi avoir choisi de ne faire que du noir et blanc ?
Dés le tout début du projet, j'ai su que je ne voulais travailler qu'en noir et blanc. C'est un projet sur les lignes et les formes des corps. J'ai presque toujours photographié avec une lumière douce et indirecte. J'ai même travaillé dans la brume et le brouillard du petit matin, sous la pluie, ou juste avant le lever du soleil à l'horizon. Je voulais que les corps brillent, et qu'ils ressemblent à des sculptures.
Je sentais que le couleur serait comme une distraction, tandis que le noir et blanc serait une façon pure d'exprimer mes sentiments envers ce sujet.
Pourquoi ce titre de « No limits » ?
J'ai travaillé sans limiter mon imagination. Ces images proviennent de mes rêves ou des fantaisies de ma pensée. Rien ne pouvait m'empêcher de faire ces images.
Autrement dit, il n'y avait pas de limite à ce que je pouvais imaginer, rêver ou créer dans la recherche de ces images. Je n'ai rien laissé me retenir.
© Acey Harper
Comment en êtes vous venus à exposer ces photos à paris ?
En janvier dernier, je suis venu à Paris afin de montrer des échantillons de mon travail avec des acrobates et des artistes du cirque, au festival du Cirque de demain. Les parisiens m'ont alors dit « Vous devez exposer. Quelles est votre galerie ? ». Cela m'a inspiré et encouragé. Je suis devenu ami avec l'un d'entre eux, un photographe, Christophe Chaumanet qui m'a dit « Nous devons trouver une galerie avant que tu repartes ».
Son enthousiasme correspondait au mien, mais je n'avais qu'une seule journée pour trouver cette galerie. Donc, moins de 24 heures avant mon départ, nous nous sommes retrouvés rue de Seine, et nous sommes allés voir les lieux d'exposition un par un. Avec l'aide de Christophe, je me suis présenté, j'ai essayé de montrer des échantillons de mon livre, et l'on m'a répondu à plusieurs reprises de revenir un autre jour. Tout le monde semblait manquer de temps.
Puis, alors que nous marchions dans la rue, après plusieurs refus, nous avons aperçu de magnifiques photographies, non pas dans une galerie, mais dans le hall du restaurant l'Alcazar. La chance, n'est-ce pas ? Alors que nous sommes entrés, le maître d'hôtel nous a offert une visite personnelle de leur collection. Après avoir vu le livre, il est devenu assez emphatique. « Allons à la Galerie Space 54 » a t-il dit, « afin de rencontrer Madame Juliette Aittouares-Caillon ». Nous avons donc fait une escale de plus. La chance a continué à jouer, car Madame Juliette Aittouares-Caillon était sur le point de partir lorsque nous sommes arrivés. C'était vraiment la magie des destins ! Elle s'est arrêtée sans raison, et a demandé à voir mon travail.
Elle n'avait pas pour habitude de montrer de la photographie, mais elle avait promis de trouver une galerie qui le ferait. Deux jours plus tard, j'étais de retour en Californie. Puis, deux mois après mon séjour à paris, j'ai reçu un appel d'un ami de Christophe. Quelqu'un était intéressé. André Hug avait vu le livre. Lui et sa femme, partenaires dans la Galerie Catherine et André Hug , étaient intéressés.
Christophe les a rencontrés, et il m'a appelé en me disant : « Tu dois revenir immédiatement en France. Ils vont te donner une exposition en solo ».
J'ai pris un avion pour Paris dans la semaine. Je les ai tout de suite aimés. Je savais aussi qu'ils étaient les meilleures personnes avec qui je pouvais travailler. Ainsi, notre exposition est née. Je suis très fière de celle-ci, et très reconnaissant envers eux, et mon ami Christophe Chaumanet.
Quels sont vos futurs projets ?
On me demande souvent quels sont mes futurs projets. Je ne sais pas. J'aime la photographie, et j'adore travailler de manière totalement engagée. J'ai aussi encore beaucoup d'autres idées pour réaliser des photographies avec des acrobates. En fait, j'ai commencé une série de photographies ici, à Paris. Elles sont très intéressantes, et je pense qu'elles pourraient former une autre exposition dans le futur !
L'exposition se déroule à la Galerie de l'Hôtel Jules&Jim du 9 novembre 2012 au 5 décembre 2012.
Propos recueillis par Adèle Latour